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tot après, ainsi que Mariamne, et une foule d'autres pieces".

Il se trouvait alors en France une dame célébre par son goût pour les arts et pour les sciences. Vous devinez bien, messieurs, que c'est de l'illustre marquise du Chatelet dont nous voulons parler. Elle avait lu les ouvrages philosophiques de notre jeune auteur; bientôt elle fit sa connaissance; le desir de s'instruire, et l'ardeur d'approfondir le peu de vérités qui sont à la portée de l'esprit humain, resserra les liens de cette amitié, et la rendit indissoluble. Madame du Châtelet abandonna tout de suite la Théodicée de Leibnitz, et les romans ingénieux de ce philosophe, pour adopter à leur place la méthode circonspecte et prudente de Locke, moins propre à satisfaire une curiosité avide qu'à contenter la raison sévère. Elle apprit assez de géométrie pour suivre Newton dans les calculs abstraits; son application fut même assez persévérante pour composer un abrégé de ce système à l'usage de son fils. Cirey devint bientôt la retraite philosophique de ces deux amis. Ils y composaient, chacun de son coté, des ouvrages de genres différents qu'ils se communiquaient, tachant, par des remarques réciproques, porter leurs productions au degré de perfection où elles pouvaient probablement atteindre. Là furent composées Zaïre, Alzire, Mérope, Sémiramis, Catilina, Électre ou Oreste.

de

M. de Voltaire, qui fesait tout entrer dans la sphère de son activité, ne se bornait pas uniquement au plaisir

* Mariamne avait été représentée en 1724, avant le voyage de Fauteur en Angleterre.

d'enrichir le théâtre par ses tragédies. Ce fut proprement pour l'usage de la marquise du Châtelet qu'il composa son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations; l'Histoire de Louis XIV, et l'Histoire de Charles XII, avaient déjà paru*.

Un auteur d'autant de génie, aussi varié que correct, n'échappa point à l'académie française; elle le revendiqua comme un bien qui lui appartenait. Il devint membre de ce corps illustre dont il fut un des plus beaux ornements. Louis XV l'honora de la charge de son gentilhomme ordinaire, et de celle d'historiographe de France, qu'il avait, pour ainsi dire, déjà remplie, en écrivant l'Histoire de Louis XIV.

Quoique M. de Voltaire fût sensible à des marques d'approbation aussi éclatantes, il l'était pourtant davantage à l'amitié. Inséparablement lié avec madame du Châtelet, le brillant d'une grande cour n'offusqua pas ses yeux au point de lui faire préférer la splendeur de Versailles au séjour de Lunéville, bien moins à la retraite champêtre de Cirey. Ces deux amis y jouissaient paisiblement de la portion de bonheur dont l'humanité est susceptible, quand la mort de la marquise du Châtelet mit fin à cette belle union. Ce fut un coup assommant pour la sensibilité de M. de Voltaire, qui eut besoin de toute sa philosophie pour y

résister.

Précisément dans le temps qu'il fesait usage de toutes ses forces pour apaiser sa douleur, il fut appelé à la cour de Prusse. Le roi, qui l'avait vu en l'année 1740,

* L'Histoire de Charles XII est de 1731. Le Siècle de Louis XIV ne parut qu'en 1752. Madame du Châtelet était morte en 1749.

desirait de posséder ce génie aussi rare qu'éminent; ce fat en 1752 qu'il vint à Berlin. Rien n'échappait à ses connaissances; sa conversation était aussi instructive qu'agréable, son imagination aussi brillante que vanée, son esprit aussi prompt que présent; il suppléait, par les graces de la fiction, à la stérilité des matières; en un mot, il fesait les délices de toutes les sociétés. Une malheureuse dispute qui s'éleva entre lui et M. de Maupertuis brouilla ces deux savants, qui étaient faits pour s'aimer et non pour se haïr; et la guerre qui survint en 1756 inspira à M. de Voltaire le desir de fixer son séjour en Suisse. Il se rendit à Genève, à Lausanne; ensuite il fit l'acquisition des Délices, et enfin il s'établit à Ferney. Son loisir se partageait entre l'étude et Touvrage; il lisait et composait. Il occupait ainsi, par la fecondité de son génie, tous les libraires de ces

cantons.

La présence de M. de Voltaire, l'effervescence de son génie, la facilité de son travail, persuada à tout son voisinage qu'il n'y avait qu'à le vouloir pour être bel esprit. Ce fut comme une espèce de maladie épidémique dont les Suisses, qui passent d'ailleurs pour n'être pas des plus déliés, furent atteints; ils n'exprimaient plus les choses les plus communes que par antithèses en épigrammes. La ville de Genève fut le plus vivement atteinte de cette contagion; les bourgeois, qui croyaient au moins des Lycurgues, étaient tous disposés à donner de nouvelles lois à leur patrie; mais aucun ne voulait obéir à celles qui subsistaient. Ces mouvements, causés par un zèle de liberté mal enendu, donnèrent lieu à une espèce d'émeute ou de

ridicule. M. de Voltaire ne man

guerre qui ne fut que qua pas d'immortaliser cet événement en chantant cette soi-disant guerre, sur le ton que celle des rats et des grenouilles l'avait été autrefois par Homère. Tantôt sa plume féconde enfantait des ouvrages de théâtre, tantôt des mélanges de philosophie et d'histoire, tantôt des romans allégoriques et moraux: mais, en même temps qu'il enrichissait ainsi la littérature de ses nouvelles productions, il s'appliquait à l'économie rurale. On voit combien un bon esprit est susceptible de toute sorte de formes. Ferney était une terre presque dévastée quand notre philosophe l'acquit: il la remit en culture: non seulement il la repeupla, mais il y établit encore quantité de manufacturiers et d'artistes.

Ne rappelons pas, messieurs, trop promptement les causes de notre douleur; laissons encore M. de Voltaire tranquillement à Ferney, et jetons, en attendant, un regard plus attentif et plus réfléchi sur la multitude de ses différentes productions. L'histoire rapporte que Virgile, en mourant, peu satisfait de l'Eneide, qu'il n'avait pu autant perfectionner qu'il aurait desiré, voulait la brûler. La longue vie dont jouit M. de Voltaire lui permit de limer et de corriger son poème de la Ligue, et de le porter à la perfection où il est parvenu maintenant sous le nom de la Henriade.

Les envieux de notre auteur lui reprochèrent que son poème n'était qu'une imitation de l'Énéide; et il faut convenir qu'il y a des chants dont les sujets se ressemblent; mais ce ne sont pas des copies serviles. Si Virgile dépeint la destruction de Troie, Voltaire étale les horreurs de la Saint-Barthélemi; aux amours

de Didon et d'Ence, on compare les amours d'Henri IV et de la belle Gabrielle d'Estrées ; à la descente d'Enée aux enfers, où Anchise lui découvre la postérité qui dot naitre de lui, l'on oppose le songe d'Henri IV, et lavenir que saint Louis dévoile en lui annonçant le desun des Bourbons. Si j'osais hasarder mon sentiment, j'adjugerais l'avantage de deux de ces chants au Français: savoir, celui de la Saint-Barthélemi et du songe de Henri IV. Il n'y a que les amours de Didon, ou il parait que Virgile l'emporte sur Voltaire, parceque l'auteur latin intéresse et parle au cœur, et que Lauteur français n'emploie que des allégories.

Mais si l'on veut examiner ces deux poèmes de bonne o, sans préjugés pour les anciens ni pour les modernes, on conviendra que beaucoup de détails de l'Enéide De seraient pas tolérés de nos jours dans les ouvrages de nos contemporains; comme par exemple les honneurs funebres qu'Énée rend à son père Anchise, la fable des Harpies,, la prophétie qu'elles font aux Troyens qu'ils seront réduits à manger leurs assiettes, et cette prophétie qui s'accomplit; la truie avec ses neuf peuts, qui désigne le lieu d'établissement où Énée dost trouver la fin de ses travaux; ses vaisseaux chanes en nymphes; un cerf tué par Ascagne qui occanne la guerre des Troyens et des Rutules; la haine que les dieux mettent dans le cœur d'Amate et de Lavine contre cet Énée que Lavinie épouse à la fin. Ce wat peut-être ces défauts, dont Virgile était lui-même mecontent, qui l'avaient déterminé à brûler son ouvrage, et qui, selon le sentiment des censeurs judicieux, davent placer [Enéide au-dessous de la Henriade.

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