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IV. Les Singes et les Bonnets de Coton.

Il y a des animaux qui sont rebelles à toute éducation; il en est d'autres que l'on instruit à reproduire certains gestes, certaines allures. Le singe imite l'homme de lui-même; mais son imitation est comme sa figure une contrefaçon.

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Un jour un pauvre colporteur passait dans un bois peuplé de singes. C'était vers le midi. Notre homme, fatigué des courses de la matinée et épuisé encore plus par la chaleur, s'assit au pied d'un marronnier. Bientôt une douce langueur s'empare de ses membres, le sommeil appesantit ses paupières. Le lieu semblait l'inviter au repos. Audessus de sa tête, des ombrages touffus; autour de lui, une mousse épaisse et jaunissante. Le marchand s'étend aussitôt sur le tapis que lui a préparé la nature. Mais pourquoi ne prendrait-il pas toutes ses aises? Sa balle ouverte, il en tire un bonnet de coton (il cultivait cette intéressante branche de commerce), le met sur sa tête, s'étend de nouveau, ferme l'œil et s'endort. Or notre homme n'avait pas remarqué que l'arbre sous lequel il prenait un sommeil réparateur était l'asile d'une multitude de singes. A peine est-il endormi, que de toutes parts arrivent messieurs les singes. En un clin d'œil la balle est pillée et chacun de nos magots coiffé d'un bonnet de coton.

Bientôt le colporteur se réveille. Est-il le jouet d'une hallucination? Mais non; le fait n'est que trop réel. Plus de balle, ou plutôt plus de bonnets de coton! Sa balle, tout à l'heure si ronde, si pesante, vide maintenant, n'offre plus à sa vue consternée qu'une informe enveloppe, dépliée, sans valeur. "Volé! je suis volé !" s'écrie-t-il. Et il est sur ses pieds. À ce mouvement subit, un bruit confus se fait entendre dans le feuillage d'alentour. L'infortuné lève la tête et voit toute une armée de singes gambadant de branches en branches. Autant de têtes, autant de bonnets de coton, qui semblent lui rire au nez. Comment faire pour rentrer en possession de son bien? Courir après les singes? Autant vouloir mettre la forêt dans sa poche. Enfin il croit avoir trouvé un moyen, et le voilà lançant des pierres. Les singes ripostent et font pleuvoir sur lui une grêle de marrons. injurie les voleurs ; ceux-ci lui répondent par mille cris discordants. Hors de lui et se croyant ruiné, notre homme frappe du pied la terre, saisit avec rage le bonnet qu'il a sur la tête; le seul, hélas ! qui lui reste, puis il le lance violemment à terre. C'est par là qu'il aurait dû commencer; car-nos magots, poussant jusqu'au bout leur talent d'imitation, se découvrent aussitôt, grincent des dents, et font pleuvoir sur le colporteur une pluie de bonnets de coton.

Heureux qui n'a affaire qu'à d'aussi sots voleurs.

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V. Le Retour du Prisonnier.

Un jeune Français était tombé au pouvoir des Russes, pendant la campagne de 1812; il fut envoyé en Sibérie, et resta dans cet affreux pays jusqu'au moment où la paix rouvrit aux exilés et aux prisonniers les portes de leur patrie. La santé de ce jeune homme s'était beaucoup altérée par les fatigues, par la rigueur du climat, et surtout par la tristesse intérieure qui le dévorait. Cependant, à ce mot de liberté qui retentit tout à coup dans son désert, il recueillit toutes ses forces, et se traîna sur la route d'Europe avec les autres prisonniers. Souvent il tombait épuisé sur le bord du chemin, et bientôt il se ranimait à la pensée de cette France qu'il croyait toujours voir au bout de l'horizon. Mais, arrivé dans un village, à trente verstes de Moscou, il sentit ses forces l'abandonner tout à fait; il s'y arrêta, persuadé qu'il devait y mourir, et fit ses adieux à ses camarades, qui poursuivirent leur chemin vers la France.

Plusieurs années se passèrent sans qu'il pût revenir dans sa patrie : sa famille le crut perdu dans cette foule de morts que nous avons laissés dans les plaines de la Russie. Au bout de cinq ans, il fut déclaré absent par jugement du tribunal de Lyon, sa patrie. Il n'avait pourtant point cessé de vivre; et, après qu'il eut passé cinq années dans un hospice, entre la vie et la mort, le printemps de 1818 parut lui rendre les forces et le courage. Il partit, et, se sentant revivre à mesure qu'il marchait, il traversa l'Allemagne, toucha bientôt la frontière et éprouva, en mettant le pied sur le sol de France, une de ces émotions qu'il est impossible de décrire. Il se hâta d'arriver à Lyon, et pleura comme un enfant en revoyant les lieux où il avait passé sa jeunesse. Il ne pouvait se rassasier de revoir tous ces objets connus, et la cathédrale gothique, et l'élégante architecture de l'hôtel de ville, et la magnificence de la place Bellecour, et ce vieux pont de la Guillotière, si long et si étroit. Il courait de la Saône au Rhône, et se plaisait à les contempler tour à tour, l'une tranquille, à demi desséchée et traînant ses eaux languissantes à travers les rochers; l'autre roulant à grand bruit ses ondes jaunâtres, et portant, comme en triomphe, jusqu'à la mer, ses flots grossis par les torrents. Dans le lointain se dessinait la chaîne des Alpes, et par-dessus tous ces sommets, le sublime mont Blanc, que la nature a placé sur la terre comme un point de ralliement pour les peuples d'alentour. Rien ne paraissait changé le jeune Lyonnais retrouvait tout à sa place, comme s'il ne fût parti que de la veille. Mais le temps avait fait de terribles révolutions dans ce qui le touchait de plus près; et lorsque, sans se faire connaître, il demanda la demeure de son vieux père et de sa mère, on ne put lui indiquer que

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puis fixait sur son mari un regard scrutateur, et cherchait à lire dans ses yeux, dans ses gestes et dans ses moindres mouvements, s'il rendrait heureuse celle qui se donnait à lui pour la vie. Enfin, au moment où la jeune épouse prononça, d'une voix émue, ce oui si terrible ou si doux, Drymel tomba à genoux, et prononça pour elle une de ces prières qui montent jusqu'à Dieu, parce qu'elles sont désintéressées.

Après la messe, tandis que toute la noce s'était retirée dans la sacristie, et que les témoins et les parents étaient allés signer au registre, le frère resta confondu avec cette foule d'oisifs pour qui tout est spectacle, et qui, en attendant la sortie du cortége, allaient, venaient et causaient dans l'église comme sur une place publique. Enfin, le suisse ouvrit avec grand fracas les deux battants de la sacristie, et la noce traversa l'église entre deux haies de curieux. Drymel alla se mettre près de la porte, sur le passage du cortége. La jeune mariée distingua au milieu du peuple ce visage pâle et grave; elle s'arrêta, le regarda fixement, et passa. Drymel était sur le point de se précipiter au cou de sa sœur ; mais, retenu par une force qu'il avait puisée dans le temple, il eut le courage de se contenir, et s'éloigna rapidement pour n'avoir plus à lutter davantage.

Il partit le soir même pour Marseille. Il y trouva un ancien compagnon d'études, qui, pour avoir fait sa rhétorique et sa philosophie, n'avait point cru déroger en entrant dans le commerce. C'était un négociant intelligent et consciencieux ; c'était aussi un homme aimable et un ami dévoué. On juge avec quelle joie il serra Drymel dans ses bras; il écouta le récit de sa conduite à Lyon avec un attendrissement mêlé de respect, lui promit un secret inviolable, et lui offrit ses services. Le plus grand désir de Drymel était de sortir de France, car il craignait à chaque instant d'être reconnu ; et d'ailleurs, à Marseille même, il ne se sentait pas trop rassuré contre la tentation d'aller embrasser sa sœeur. Son ami avait justement un navire en charge pour l'Amérique méridionale: il proposa à Drymel une place sur le bâtiment et un intérêt dans les marchandises. Celui-ci accepta cette offre avec empressement. Il partit ainsi de France quinze jours après y être rentré depuis on n'en a plus entendu parler. Amasse-t-il, dans un comptoir éloigné, une fortune dont il viendra jouir auprès de sa sœur? ou bien sa santé, déjà si faible quand il est parti, n'a-t-elle pu résister aux fatigues d'une si longue traversée ? C'est ce qu'on ignore; mais, dans ce monde ou dans l'autre, il a reçu sa récompense.

VI. Exécution de Charles Ier.

Au même moment, après quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortait de son lit: "J'ai une grande affaire à terminer, dit-il à Herbert,

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leur tombeau. Il apprit que M. et Mme Drymel (c'était le nom de ses parents) avaient eu un fils qui était mort en Russie, que par conséquent sa jeune sœur s'était trouvée l'unique héritière d'une fortune considérable, et qu'elle allait épouser, sous deux ou trois jours, le fils du plus riche négociant de la ville. À cette nouvelle, le jeune Drymel parut plongé dans des réflexions profondes. Il dirigea machinalement ses pas vers les bords du Rhône; et là, suivant une longue allée d'arbres qui conduisait jusqu'au confluent, il se demanda ce qu'il devait faire : "Irai-je me présenter chez ma sœur, et lui demander une partie de l'héritage paternel? Après tout, j'en ai le droit, et je n'ai rien. Mais elle va épouser un homme riche, qu'elle aime sans doute; cet homme est dans le commerce, il a besoin d'argent; si la fortune de ma sœur était diminuée de moitié, le mariage n'aurait peut-être pas lieu; et ce serait moi qui détruirais l'avenir de ma sœur, de cette pauvre enfant que j'aimais tant, que j'ai fait si souvent sauter sur mes genoux, avant mon départ pour l'armée! Ah! laissons-lui son bonheur et son époux. On me croit mort; ma place est prise dans ce monde: eh bien, ne la réclamons pas. Gardons-nous d'attrister les fêtes de l'hymen par l'apparition d'une figure oubliée depuis longtemps. J'irai à Marseille, j'y trouverai de bons amis, des camarades de collége qui m'ouvriront leurs bras; et, s'il y a encore quelques mauvais jours à passer, n'y suis-je pas préparé? Après ce que j'ai souffert, que puis-je redouter désormais ?". Au moment où il sacrifiait ainsi sa fortune, son visage exprimait la plus vive et la plus douce satisfaction.

Drymel avait pris sa résolution irrévocablement; mais il ne pouvait s'arracher à sa ville natale sans avoir vu sa sœur au moins une fois. Il garda à Lyon le plus strict incognito, et, le jour du mariage étant arrivé, il se rendit à l'église où l'on devait le célébrer; il se plaça derrière le pilier le plus voisin de l'autel, et attendit le cortége avec une impatience qu'il avait peine à contenir. Les chaises étaient disposées pour les assistants, et un prie-Dieu, avec deux cierges, était préparé pour les époux. Enfin le bruit de plusieurs voitures se fit entendre. L'Église fut pleine en un instant, et la jeune épouse parut, plus belle encore que sa toilette, et embarrassée de tous ces regards qui étaient fixés sur elle; le bouquet de fleurs d'oranger lui allait à ravir. "C'est bien elle! ah! qu'elle est belle!" se dit son frère avec un mouvement de fierté qui l'aurait trahi, si l'attention des assistants s'était dirigée de son côté ; mais, au milieu de ce brillant spectacle et des parures élégantes dont l'église était remplie, personne n'alla chercher derrière un pilier un jeune homme maigre, revêtu d'une méchante capote grise. Aucun ami, aucun parent ne reconnut ce témoin venu de si loin, et qui n'était point attendu. Pour lui, penché en avant sur sa chaise, il contemplait sa sœur dans une sorte d'extase,

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