"Qu'il vienne à nous, celui qui pleure." Disait la voix mêlée au murmure des vents; "L'heure du péril est notre heure: Les orphelins sont nos enfants."
Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles, Par un soleil d'été, que les Alpes sont belles ! Tout dans leurs frais vallons sert à nous enchanter, La verdure, les eaux, les bois, les fleurs nouvelles. Heureux qui sur ces bords peut longtemps s'arrêter ! Heureux qui les revoit! s'il a pu les quitter! Quel est ce voyageur que l'été leur envoie, Seul, loin de la vallée, un bâton à la main ? C'est un enfant . . il marche, il suit le long chemin Qui va de France à la Savoie.
Bientôt de la colline il prend l'étroit sentier: Il a mis ce matin la bure1 du dimanche, Et dans son sac de toile blanche
Est un pain de froment qu'il garde tout entier. Pourquoi tant se hâter à sa course dernière ? C'est que le pauvre enfant veut gravir le coteau, Et ne point s'arrêter qu'il n'ait vu son hameau, Et n'ait reconnu sa chaumière.
Les voilà! . . . tels encor qu'il les a vus toujours, Ces grands bois, ce ruisseau qui fuit sous le feuillage! Il ne se souvient plus qu'il a marché dix jours:
Il est si près de son village!
Tout joyeux il arrive et regarde . . . mais quoi ! Personne ne l'attend! sa chaumière est fermée!
Pourtant du toit aigu sort un feu de fumée,
Et l'enfant plein de trouble: "Ouvrez,” dit-il, "c'est moi." La porte cède: il entre; et sa mère attendrie, Sa mère, qu'un long mal près du foyer retient, Se relève à moitié, tend les bras, et s'écrie:
"N'est-ce pas mon fils qui revient ?"
Son fils est dans ses bras qui pleure et qui l'appelle : "Je suis infirme, hélas! Dieu m'afflige," dit-elle; "Et depuis quelques jours je te l'ai fait savoir, Car je ne voulais pas mourir sans te revoir."
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VOYAGEUR ÉGARÉ DANS LES NEIGES DU MONT SAINT-BERNARD. 113
Mais lui: "De votre enfant vous étiez éloignée : Le voilà qui revient; ayez des jours contents: Vivez je suis grandi, vous serez bien soignée: Nous sommes riches pour longtemps.'
Et les mains de l'enfant, des siennes détachées, Jetaient sur ses genoux tout ce qu'il possédait, Les trois pièces d'argent dans sa veste cachées, Et le pain de froment que pour elle il gardait. "C'est lui, je le savais, le Dieu des pauvres mères Et des petits enfants, qui du mien a pris soin; Lui qui me consolait quand mes plaintes amères Appelaient mon fils de si loin. .
Toi, mon fils, maintenant me seras-tu fidèle ? Ta pauvre mère infirme a besoin de secours ; Elle mourrait sans toi." L'enfant, à ce discours, Grave, et joignant ses mains, tombe à genoux près d'elle, Disant: "Que le bon Dieu vous fasse de longs jours!"
II. Voyageur égaré dans les Neiges du Mont Saint-Bernard. La neige au loin accumulée
En torrents épaissis tombe du haut des airs, Et sans relâche amoncelée,
Couvre du Saint-Bernard les vieux sommets déserts.
Plus de routes, tout est barrière ;
L'ombre accourt,1 et déjà, pour la dernière fois, Sur la cime inhospitalière
Dans les vents de la nuit l'aigle a jeté sa voix. À ce cri d'effroyable augure,
Le voyageur transi n'ose plus faire un pas; Mourant, et vaincu de froidure,
Au bord d'un précipice il attend le trépas. La, dans sa dernière pensée,
Il songe à son épouse, il songe à ses enfants; Sur sa couche affreuse et glacée
Cette image a doublé l'horreur de ses tourments.
C'en est fait; son heure dernière
Se mesure pour lui dans ces terribles lieux,
Et chargeant sa froide paupière,
Un funeste sommeil déjà cherche ses yeux.
1. night approaches.-2. it is all over.
Soudain, ô surprise! ô merveille!
D'une cloche il a cru reconnaître le bruit!
Le bruit augmente à son oreille; Une clarté subite a brillé dans la nuit.
Tandis qu'avec peine il écoute,
À travers la tempête un autre bruit s'entend; Un chien jappe, et s'ouvrant la route, Suivi d'un solitaire,1 approche au même instant. Le chien, en aboyant de joie,
Frappe du voyageur les regards éperdus: La mort laisse échapper sa proie,
Et la charité compte un miracle de plus.
Elle donne vie et pensée Aux pauvres de l'hiver sauvés, Du soleil à pleine croisée, Et le ciel pur, qui dit : Vivez ! Sur les chaumières dédaignées Par les maîtres et les valets, Joyeuse, elle jette à poignées Les fleurs qu'elle vend aux palais. Son luxe aux pauvres seuls s'étale. Ni les parfums ni les rayons N'ont peur, dans leur candeur royale, De se salir à des haillons.
Sur un toit où l'herbe frissonne Le jasmin veut bien se poser. Le lis ne méprise personne, Lui qui pourrait tout mépriser!
Alors la masure où la mousse Sur l'humble chaume a débordé Montre avec une fierté douce Son vieux mur de roses brodé. L'aube alors de clarté baignée, Entrant dans le réduit profond, Dore la toile d'araignée Entre les poutres du plafond. Alors l'âme du pauvre est pleine. Humble, il bénit ce Dieu lointain Dont il sent la céleste haleine Dans tous les souffles du matin ! L'air le réchauffe et le pénètre ; Il fête le printemps vainqueur, Un oiseau chante à sa fenêtre, La gaieté chante dans son cœur ! Alors, si l'orphelin s'éveille, Sans toit, sans mère, et priant Dieu, Une voix lui dit à l'oreille :
"Eh bien! viens sous mon dôme bleu !"
"Le Louvre est égal aux chaumières Sous ma coupole de saphirs.
Viens sous mon ciel plein de lumières, Viens sous mon ciel plein de zéphirs!
"J'ai connu ton père et ta mère
Dans leurs bons et leurs mauvais jours; Pour eux la vie était amère, Mais moi, je fus douce toujours. "C'est moi qui sur leur sépulture Ai mis l'herbe qui la défend. Viens, je suis la grande nature ! Je suis l'aïeule et toi l'enfant.
Viens, j'ai des fruits d'or, j'ai des roses. J'en remplirai tes petits bras,
Je te dirai de douces choses, Et peut-être tu souriras!
"Car je voudrais te voir sourire, Pauvre enfant si triste et si beau? Et puis tout bas j'irai le dire A ta mère dans son tombeau !"
Et l'enfant, à cette voix tendre, De la vie oubliant le poids, Rêve et se hâte de descendre Le long des coteaux dans les bois. Là, du plaisir tout a la forme ; L'arbre a des fruits, l'herbe a des fleurs ; Il entend dans le chêne énorme Rire les oiseaux querelleurs.
Dans l'onde il mire son visage; Tout lui parle; adieu son ennui ; Le buisson l'arrête au passage, Et le caillou joue avec lui. Le soir, point d'hôtesse cruelle Qui l'accueille d'un front hagard.
Il trouve l'étoile si belle
Qu'il s'endort à son doux regard!
Oh! qu'en dormant rien ne t'oppresse!
Dieu sera là pour ton réveil !—
La lune vient qui le caresse
Plus doucement que le soleil.
Car elle a de plus molles trêves
Pour nos travaux et nos douleurs.
Elle fait éclore les rêves,
Lui ne fait naître que les fleurs !
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