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LE

BARBIER DE SÉVILLE,

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

Le théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées.

SCÈNE I

LE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se prome

nant.

Le jour est moins avancé que je ne croyois, L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe, il vaut mieux arriver trop tôt, que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable

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de la cour pouvoit me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendroit pour un espagnol du temps d'Isabelle. - Pourquoi non? chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. Mais, quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même! et si je pouvois m'assurer sous ce déguisement... Au diable l'importun.

SCÈNE II.

LE COMTE, caché; FIGARO.

FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandouillère avec un large ruban; il chantonne gaiment, un papier et un crayon à la main.

BANISSONS le chagrin,

Il nous consume.

Sans le feu du bon vin
Qui nous rallume;
Réduit à languir,
L'homme sans plaisir

Vivroit comme un sot,

Et mourroit bientôt;

Jusque-là, ceci ne va pas mal, ein, ein.

Et mourroit bientôt.

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Eh! non, ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble...

Se partagent... mon cœur.

Dit-on, se partagent?... Eh! mon Dieu! nos faiseurs d'opéras comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.

(Il chante.)

Le vin et la paresse

Se partagent mon cœur.

Je voudrois finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. ( Il met un genoux en terre et écrit en chantant.) Se partagent mon cœur.

Și l'une a ma tendresse...
L'autre fait mon bonheur.

Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse:

Si l'une... est ma maîtresse,

L'autre...

Eh! parbleu! j'y suis...

L'autre est mon serviteur.

Fort bien, Figaro!... (Il écrit en chantant.)

Le vin et la paresse

Se partagent mon cœur;

Si l'une est ma maîtresse,

L'autre est mon serviteur.

L'autre est mon serviteur,

L'autre est mon serviteur.

Hen, hen, quand il y aura des accompagnemens là-dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis. (Il aperçoit le comte.) J'ai vu cet abbé-là quelque part. (Il se relève.) LE COMTE, à part.

Cet homme ne m'est pas inconnu.

Et non,

noble...

FIGARO.

ce n'est pas un abbé; cet air altier et

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Je ne me trompe point, c'est le comte Almaviva.

LE COMTE.

Je crois que c'est ce coquin de Figaro.

FIGARO.

C'est lui-même, Monseigneur.

LE COMTE.

Maraud, si tu dis un mot...

FIGARO.

Oui, je vous reconnois; voilà les bontés familières dont vous m'avez toujours honoré.

LE COMTE.

Je ne te reconnoissois pas, moi. Te voilà si gros et si gras...

FIGARO.

Que voulez-vous? Monseigneur, c'est la misère.

LE COMTE.

Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? Je t'avois autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi.

FIGARO.

Je l'ai obtenu, Monseigneur; et ma reconnois

sance...

LE COMTE.

Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon dé guisement, que je veux être inconnu ?

Je me retire.

FIGARO.

LE COMTE.

Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promène. Ayons l'air de jaser. Eh bien! cet emploi?

FIGARO.

Le ministre ayant égard à la recommandation de votre excellence, me fit nommer sur le champ garçon apothicaire?

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