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Le théâtre représente l'appartement de Rosine. La croisée dans le fond du théâtre est fermée par une jalousie grillée.

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ROSINE, seule, un bougeoirà la main. Elle prend dú papier sur la table et se met à écrire.

MARCELINE est malade; tous les gens sont occupés, et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon Argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas dont il ne devine sur le champ l'intention.... Ah! Lindor! (Elle cachète la lettre.) Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu à travers ma jalousie parler long-temps au barbier Figaro. C'est un bon homme qui m'a montré quelquefois de la pitié; si je pouvois l'entretenir un moment!

LE BARBIER DE SÉVILLE. ACTE II, SCÈNE II.

SCÈNE II.

ROSINE, FIGARO.

ROSINE, Surprise.

35

An! M. Figaro, que je suis aise de vous voir!

FIGARO.

Votre santé, Madame?

ROSINE.

Pas trop bonne, M. Figaro. L'ennui me tue.

FIGARO.

Je le crois ; il n'engraisse que les sots.

ROSINE.

Avec qui parliez-vous donc là-bas si vivement? je n'entendois pas; mais...

FIGARO.

Avec un jeune bachelier de mes parens, de la plus grande espérance; plein d'esprit, de sentide talens, et d'une figure fort revenante.

mens,

ROSINE.

Oh! tout à fait bien, je vous assure. Il se nomme?...

FIGARO.

Lindor. Il n'a rien ; mais, s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvoit y trouver quelque bonne place.

ROSINE, étourdiment.

Il en trouvera, M. Figaro, il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez, n'est pas fait pour rester inconnu.

FIGARO, à part.

Fort bien. (Haut.) Mais il a un grand défaut, qui nuira toujours à son avancement.

ROSINE.

Un défaut, M. Figaro! Un défaut! en êtes-vous bien sûr?

Il est amoureux.

FIGARO.

ROSINE.

Il est amoureux! et vous appelez cela un défaut?

FIGARO.

A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune.

ROSINE.

Ah! que le sort est injuste! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité...

FIGARO.

Vous êtes la dernière, Madame, à qui je voudrois faire une confidence de cette nature.

ROSINE, vivement.

Pourquoi, M. Figaro? je suis discrète; ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment... dites donc.

FIGARO, la regardant finement.

Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraîche, agaçant l'appétit, pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus; bouche rosée, et des mains! et des joues! des dents! des yeux !...

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Ah!

ROSINE.

que c'est charmant... pour monsieur votre

parent! Et cette personne est ?...

FIGARO.

Je ne l'ai pas nommée?

ROSINE, vivement.

C'est la seule chose que vous ayez oubliée, monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vîte, si l'on rentroit je ne pourrois plus savoir...

FIGARO.

Vous le voulez absolument, Madame? Eh bien! cette personne est... la pupille de votre tuteur.

La pupille?...

ROSINE.

FIGARO.

Du docteur Bartholo; oui, Madame.

ROSINE, avec émotion.

Ah! M. Figaro!... je ne vous crois pas, je vous

assure.

FIGARO.

Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-même.

ROSINE.

Vous me faites trembler, M, Figaro.

FIGARO.

Fi donc, trembler! mauvais calcul, Madame; quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs, je viens de vous débarrasser de tous vos surveillans jusqu'à demain.

ROSINE.

S'il m'aime, il doit me le prouver, en restant absolument tranquille.

FIGARO.

Eh! Madame! amour et repos peuvent-ils habiter en même cœur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix amour sans repos, ou repos sans

amour.

ROSINE, baissant les yeux.

Repos sans amour... paroît...

FIGARO.

Ah! bien languissant. Il semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grâce: et pour moi, si j'étois femme...

ROSINE, avec embarras.

Il est certain qu'une jeune personne ne peut empêcher un honnête homme de l'estimer.

FIGARO.

Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment.

ROSINE.

Mais s'il alloit faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdroit.

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