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FIGARO, faisant, sans qu'il le voie, le geste de le

rosser.

Tu es loin aussi de savoir tout le succès qu'il te vandra.

CHERUBIN.

Mon ami, tu oublies que je pars..

FIGARO.

Et toi, tu voudrois bien rester.

CHÉRUBIN.

Ah! si je le voudrois!

FIGARO.

Il faut ruser. Point de murmure à ton départ. Le manteau de voyage à l'épaule; arrange ouvertement ta trousse, et qu'on voie ton cheval à la grille; un temps de galop jusqu'à la ferme; reviens à pied par les derrières; Monseigneur te croira parti; tiens-toi seulement hors de sa vue; je me charge de l'appaiser après la fête.

CHERUBIN.

Mais Fanchette qui ne sait pas son rôle.

BAZILE.

Que diable lui apprenez-vous donc, depuis huit jours que vous ne la quittez pas?

FIGARO.

Tu n'as rien à faire aujourd'hui, donne-lui par grâce une leçon.

BAZILE.

Prenez garde, jeune homme, prenez garde! le père n'est pas satisfait; la fille a été souffletée; elle n'étudie point avec vous: Chérubin! Chérubin!

vous lui causerez des chagrins! Tant va la cruche à l'eau!...

FIGARO.

Ah! voilà notre imbécille, avec ses vieux proverbes! Eh bien! pédant, que dit la sagesse des nations? Tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin....

Elle s'emplit.

BAZILE.

FIGARO, en s'en allant.

Pas si bête, pourtant, pas si bête!

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

Le théâtre représente une chambre à coucher superbe, un grand lit en alcove, une estrade au-devant. La porte pour entrer s'ouvre et se ferme à la troisième coulisse à droite; celle d'un cabinet, à la première coulisse à gauche. Une porte, dans le fond, va chez les femmes. Une fenêtre s'ouvre de l'autre côté.

SCÈNE I.

SUZANNE, LA COMTESSE entrent par la porte - à droite.

F

LA COMTESSE, se jetant dans une bergère.

ERME la porte, Suzanne, et conte-moi tout dans le plus grand détail.

SUZANN E.

Je n'ai rien caché à Madame.

LA COMTESSE.

Quoi! Suzon, il vouloit te séduire?

SUZANNE.

Oh! que non. Monseigneur n'y met pas tant de façon avec sa servante, il vouloit m'acheter.

LA COMTESSE.

Et le petit page étoit présent?

SUZANNE.

C'est-à-dire, caché derrière le grand fauteuil. Il venoit me prier de vous demander sa grâce.

LA COMTESSE.

Eh! pourquoi ne pas s'adresser à moi-même? est-ce que je l'aurois refusé, Suzon?

SUZANNE.

C'est ce que j'ai dit : mais ses regrets de partir, et surtout de quitter Madame! Ah! Suzon! qu'elle est noble et belle! mais qu'elle est imposante!

LA COMTESSE.

Est-ce que j'ai cet air-là, Suzon? moi qui l'ai toujours protégé.

SUZANNE.

Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenois, il s'est jeté dessus...

LA COMTESSE, souriant.

Mon ruban?... quelle enfance!

SUZANNE.

J'ai voulu le lui ôter; Madame, c'étoit un lion; ses yeux brilloient.... Tu ne l'auras qu'avec ma vie, disoit-il en forçant sa petite voix douce et grêle.

LA COMTESSE, révant.

Eh bien, Suzon?

SUZANNE.

Eh bien! Madame! est-ce qu'on peut faire finir ce petit démon-là? Ma marraine par-ci; je voudrois bien par l'autre; et parce qu'il n'oseroit seu

lement baiser la robe de Madame, il voudroit toujours m'embrasser, moi.

LA COMTESSE, révant.

Laissons... laissons ces folies... Enfin, ma pauvre Suzanne, mon époux a fini par te dire ?

SUZANNE.

Que si je ne voulois pas l'entendre, il alloit protéger Marceline.

La comtesse se lève et se promène, en se servant fortement de l'éventail.

Il ne m'aime plus du tout.

SUZANNE.

Pourquoi tant de jalousie?

LA COMTESSE.

Comme tous les maris, ma chère, uniquement par orgueil. Ah! je l'ai trop aimé! je l'ai lassé de mes tendresses, et fatigué de mon amour; voilà mon seul tort avec lui: mais je n'entends pas que cet honnête aveu te nuise, et tu épouseras Figaro. Lui seul peut nous y aider : viendra-t-il ?

SUZANNE.

Dès qu'il verra partir la chasse.

LA COMTESSE, se servant de l'éventail. Ouvre un peu la croisée sur le jardin. Il fait une chaleur ici!...

SUZANNE.

C'est que Madame parle et marche avec action. (Elle va ouvrir la croisée du fond.)

LA COMTESSE, révant long-temps.

Sans cette constance à me fuir.... Les hommes sont bien coupables!

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