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« concevoir un esprit qui ne pense point, quoiqu'il soit fort facile d'en concevoir un qui ne sente point, qui n'imagine point (1). On peut voir beaucoup d'autres choses ⚫ semblables dans le même endroit, qui montrent manifestement, ou qu'il avance cela témérairement et sans savoir ce qu'il dit, ou qu'il connaît mieux qu'il ne le ⚫ dit la nature de son âme (2).

Pour établir cette ignorance de l'âme, qu'il affecte par principe, et qu'il n'a réellement pas, Malebranche ne peut donner que des raisons singulières. Arnauld les a réduites à dix principales: j'en rapporterai deux, avec la réfutation dont il les accompagne. « Il est nécessaire, dit Malebranche, de faire de longs raisonnements, pour s'empêcher de confondre l'âme avec le corps. Mais si l'on avait une idée claire de l'âme, comme l'on en a du corps, certainement on ne serait point obligé de prendre tous ces détours pour la distinguer de lui, cela se découvrirait d'une simple vue, et avec autant de facilité qu'on reconnaît que le carré n'est pas le cercle (3). »

Cet endroit et beaucoup d'autres semblables, répond Arnauld, font voir que cet auteur s'imagine qu'on • ne connaît point par une idée claire ce qu'on ne dé⚫ couvre point par une simple vue, mais qu'on ne saurait savoir que par raisonnement..... On doit appeler idée claire la perception de tout ce que nous connaissons clairement par des raisonnements, quelque longs

(1) Rech. de la Vérité, liv. III, part. 1, chap. 1, art. 1.

(2) Vraies et fausses idées, ch. XXIV.

(3) Rech, de la Vérité, éclaircissement XI.

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qu'ils puissent être, pourvu qu'ils soient démonstratifs, « aussi bien que de tout ce que nous connaissons claire«ment d'une autre manière.

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« Et il faut bien qu'il en demeure d'accord, puisqu'il « veut que nous reconnaissions par des idées claires « toutes les propriétés de l'étendue. Car niera-t-il qu'il y en ait une infinité qui ne s'aperçoivent point d'une simple vue, mais qu'on n'a pu découvrir que par de longs raisonnements? Est-ce que Pythagore n'a eu qu'à consulter l'idée du rectangle, du triangle et du « carré pour découvrir d'une simple vue que le carré << de la base devait être égal aux carrés des deux autres « côtés ? Est-ce qu'Archimède n'a eu qu'à consulter « l'idée de la sphère pour découvrir d'une simple vue l'étendue de sa surface devait être quadruple de l'aire de l'un de ses grands cercles? Toutes les proprié«tés des sections coniques se découvrent-elles d'une simple vue? Or, Malebranche s'est déclaré trop hau«tement le protecteur de l'idée claire de l'étendue, pour « ne pas vouloir que tout cela ne se voie par des idées « claires. Il a donc deux poids et deux mesures, lorsque, « pour avoir plus de moyen de soutenir que nous n'a«vons pas l'idée claire de notre âme, il s'avise de pré« tendre qu'on ne voit par une idée claire, que ce que « l'on découvre d'une simple vue, sans avoir besoin de • raisonnement (1).

« que

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Arnauld pourrait même nier qu'il faille des raisonne

(1) Vrales et fausses idées, ch. XXIII.

ments longs, ni courts, pour distinguer l'âme du corps, c'est-à-dire qui faille y arriver de conséquence en conséquence, en partant de quelque principe. Dans ses Méditations, Descartes paraît beaucoup raisonner, mais ce ne sont que des réflexions vigoureuses, par lesquelles l'âme se démêle de ses préjugés, revient à elle-même, se voit distincte du corps, et cette distinction est le résultat des efforts qu'elle fait pour s'affranchir, et non point la conclusion d'aucun argument. Et sur quoi Descartes s'appuierait-il pour raisonner, lorsqu'il commence par chasser toute connaissance, toute notion, par conséquent tout principe?

Voici, continue Arnauld, une autre raison de Malebranche: Je crois pouvoir dire que l'ignorance où sont la plupart des hommes, à l'égard de leur âme, de sa distinction d'avec le corps, de sa spiritualité, de son immortalité et de ses autres propriétés, suffit pour prouver évidemment que l'on n'en a point d'idée claire et distincte. <<< Si les « erreurs des hommes et les doutes déraisonnables qu'ils ont tous les jours sur des choses très-certaines, peu• vent être allégués pour prouver que nous n'avons pas • d'idées claires des choses dont il leur plaît de douter, il n'y a plus rien dont on puisse dire que nous avons « des idées claires. Car y a-t-il rien dont les sceptiques « et les pyrrhoniens n'aient fait profession de douter ? Que si, de ce général, nous descendons au particulier, « comment Malebranche n'a-t-il pas vu qu'on n'avait ⚫ pas moins de droit de conclure de ce qu'il dit que les ⚫ hommes n'ont point d'idée claire et distincte de leur

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qu'ils puissent être, pourvu qu'ils soient démonstratifs, « aussi bien que de tout ce que nous connaissons claire<< ment d'une autre manière.

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« Et il faut bien qu'il en demeure d'accord, puisqu'il « veut que nous reconnaissions par des idées claires « toutes les propriétés de l'étendue. Car niera-t-il qu'il « y en ait une infinité qui ne s'aperçoivent point d'une simple vue, mais qu'on n'a pu découvrir que par de longs raisonnements? Est-ce que Pythagore n'a eu qu'à consulter l'idée du rectangle, du triangle et du « carré pour découvrir d'une simple vue que le carré << de la base devait être égal aux carrés des deux autres « côtés ? Est-ce qu'Archimède n'a eu qu'à consulter « l'idée de la sphère pour découvrir d'une simple vue « que l'étendue de sa surface devait être quadruple de l'aire de l'un de ses grands cercles? Toutes les propriéa tés des sections coniques se découvrent-elles d'une simple vue? Or, Malebranche s'est déclaré trop hau«tement le protecteur de l'idée claire de l'étendue, pour « ne pas vouloir que tout cela ne se voie par des idées claires. Il a donc deux poids et deux mesures, lorsque, « pour avoir plus de moyen de soutenir que nous n'a«vons pas l'idée claire de notre âme, il s'avise de pré« tendre qu'on ne voit par une idée claire, que ce que « l'on découvre d'une simple vue, sans avoir besoin de ⚫ raisonnement (1). »

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Arnauld pourrait même nier qu'il faille des raisonne

(1) Vrales et fausses idées, ch. XXIII.

ments longs, ni courts, pour distinguer l'âme du corps, c'est-à-dire qui faille y arriver de conséquence en conséquence, en partant de quelque principe. Dans ses Méditations, Descartes paraît beaucoup raisonner, mais ce ne sont que des réflexions vigoureuses, par lesquelles l'âme se démêle de ses préjugés, revient à elle-même, se voit distincte du corps, et cette distinction est le résultat des efforts qu'elle fait pour s'affranchir, et non point la conclusion d'aucun argument. Et sur quoi Descartes s'appuierait-il pour raisonner, lorsqu'il commence par chasser toute connaissance, toute notion, par conséquent tout principe?

Voici, continue Arnauld, une autre raison de Malebranche: Je crois pouvoir dire que l'ignorance où sont la plupart des hommes, à l'égard de leur âme, de sa distinction d'avec le corps, de sa spiritualité, de son immortalité et de ses autres propriétés, suffit pour prouver évidemment que l'on n'en a point d'idée claire et distincte. « Si les « erreurs des hommes et les doutes déraisonnables qu'ils ⚫ ont tous les jours sur des choses très-certaines, peu• vent être allégués pour prouver que nous n'avons pas • d'idées claires des choses dont il leur plaît de douter,

il n'y a plus rien dont on puisse dire que nous avons « des idées claires. Car y a-t-il rien dont les sceptiques et les pyrrhoniens n'aient fait profession de douter? Que si, de ce général, nous descendons au particulier, « comment Malebranche n'a-t-il pas vu qu'on n'avait ⚫ pas moins de droit de conclure de ce qu'il dit que les

hommes n'ont point d'idée claire et distincte de leur

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