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vu grandir tous ses enfants et d'avoir pu pourvoir à leur établissement.

Le jeune Joseph avait un esprit prompt et subtil, une imagination ardente, un caractère aventureux et passablement rusé. Il avait deux oncles maternels, bons bourgeois de Palerme, qui jugèrent que cet enfant pourrait aller loin dans les sciences et dans les lettres, et qui se chargèrent de son éducation.

Le plus court chemin pour se distinguer dans la carrière qu'on voulait faire suivre à Joseph était d'entrer dans les ordres ecclésiastiques. Malheureusement les oncles ne prévirent pas combien le neveu serait mauvais prêtre, s'il persistait à rester dans l'Église. Ils le placèrent au séminaire de SaintRoch de Palerme. Joseph Balsamo ne tarda pas à céder à ses instincts d'indépendance et de complète indiscipline: il s'enfuit du séminaire. Rattrapé en compagnie de vagabonds, il fut confié et sévèrement recommandé au père général des Bonfratelli, qui se trouvait de passage à Palerme. Joseph avait alors treize ans. Le père général s'empara de lui et promit d'en faire un moine, bon gré mal gré. Il partit avec lui, et, montés chacun sur une mule, suivis de deux autres frères, ils gagnèrent le couvent de l'ordre de Saint-Benoît, situé aux environs de Cartagirone.

Les murs du couvent étaient fort élevés, et la

porte était confiée à un frère tourier inflexible. Il fallut se résigner. Joseph Balsamo endossa la casaque de novice. Le père général devina son goût pour l'herborisation et sa curiosité pour l'histoire naturelle. Il le confia à l'apothicaire du couvent, espérant ainsi l'attacher à son nouvel état et l'amener un jour à devenir un assez bon religieux. Le jeune Joseph s'accommoda d'abord assez bien de ses relations avec le frère apothicaire; il profita même de ses leçons, et, au bout d'un certain temps, il parvint à manipuler les drogues avec une grande sagacité. Mais les instincts de Joseph s'éveillaient singulièrement, et, dans les premiers éléments de la science, le rusé Sicilien devinait déjà des secrets utiles au charlatanisme. Cependant il s'adonna assez franchement à l'étude des principes de la chimie et de la médecine. Son maître apothicaire espérait beaucoup d'un élève tel que lui.

Un trait assez singulier révèle le caractère à la fois rusé et håbleur qui, dans la suite, se développa d'une manière si prodigieuse chez le jeune Balsamo. Un jour le novice fut chargé, au réfectoire, de faire la lecture d'usage pendant le repas des religieux. Le livre que lisait Balsamo était le Martyrologe; mais voilà que tout à coup il céda à une inspiration diabolique, et se mit à substituer au texte sacré on ne sait quelle version suggérée par son imagination déréglée, altérant le sens et les

faits, et poussant l'audace jusqu'à remplacer les noms des saintes par ceux des courtisanes les plus renommées. Le scandale fut au comble et les bons pères jugèrent dès ce moment-là à quel degré de vice et d'effronterie pourrait un jour arriver un écolier capable à cet âge d'un trait si hardi.

On infligea au novice une rude pénitence. Il s'y soumit en apparence; mais l'occasion qu'il guettait se présenta fortuitement. Une nuit, trouvant moyen de se dérober à la surveillance des gardiens, il s'évada du couvent, courut la campagne, et, après quelques jours de vagabondage, arriva à Palerme.

Ses oncles commencèrent à désespérer de lui. Ni les remontrances ni les conseils n'étaient écoutés. Joseph Balsamo se riait de tout; son goût effréné pour la licence l'entraînait. Il se lia avec des vauriens; ses mœurs furent bientôt perdues. Il se livra à la débauche en compagnie de la jeunesse la plus dissolue. L'ivrognerie, le jeu, le libertinage amenaient des querelles fréquentes, souvent même avec les gens de la police. Joseph Balsamo avait déjà des démêlés fort sérieux avec la justice correctionnelle.

Une accusation très-motivée pesa sur lui: il passait pour fabriquer avec habileté de faux billets de théâtre qu'il vendait avec une rare effronterie. Un de ses oncles voulut le retirer chez lui. L'indigne neveu vola à ce bon parent une somme assez ronde

et des effets précieux. Il devint l'entremetteur des amours d'une de ses cousines avec un de ses amis, à qui il extorquait de l'argent en lui persuadant que la belle exigeait des cadeaux et des bijoux. Balsamo recevait les pièces d'or, n'achetait rien pour sa cousine, et s'appropriait les fonds que son ami lui confiait.

Sur une pente pareille, il est presque impossible de s'arrêter. Le jeune Balsamo fit bientôt très-bon marché de son honneur et se livra à des actes criminels de la plus haute gravité. Il y avait à Palerme un certain marquis Maurigi, de mœurs très-dissolues. Maurigi convoitait un héritage qui devait revenir à une communauté. Il connaissait Balsamo et s'ouvrit à lui. Celui-ci imagina bientôt un expédient. Il avait un notaire pour parent. Il se mit à fréquenter son office, et trouva moyen de fabriquer un testament en faveur du marquis Maurigi, avec tous les caractères d'authenticité voulus par la loi. Muni de cette pièce soi-disant notariée, Maurigi fit valoir ses droits à l'héritage, et frustra bel et bien la communauté d'une grande partie de la somme qui lui revenait. Il est plus que probable que le marquis récompensa largement Balsamo de ses soins. Ce faux fut découvert plusieurs années après l'époque où il avait été commis; mais les coupables étaient depuis longtemps en pays étranger. Faut-il ajouter foi à une accusation plus grave en

core? Le bruit courut un jour que Balsamo avait contribué à l'assassinat d'un riche chanoine; mais ce crime ne fut jamais prouvé.

On se demande avec raison comment la justice ne parvint pas à se saisir de Balsamo, et comment elle n'arrêta pas ce jeune bandit, qui avait encouru les peines les plus sévères. Reportons-nous au temps et au pays. Au xvIIe siècle, qu'était la justice en Sicile? quelle force de répression pouvait-elle exercer?... Et d'un autre côté, rappelons-nous ce que Balsamo était à quatorze ans ; cela pourra nous donner une idée du degré d'habileté et d'audace où il était parvenu à l'âge de vingt-deux ou vingt-trois ans. Plusieurs fois, cependant, Balsamo fut arrêté et enfermé, mais il se tira toujours d'affaire, soit par le défaut de preuves, soit par le crédit de ses parents et d'honnêtes Palermitains qui s'intéressaient à sa famille.

Doué de facultés assez remarquables pour les arts, il donna des leçons de dessin, et plusieurs fois il fut en bonne voie de repentance. Son adresse dans le maniement des armes était reconnue; il sentait sa supériorité, et il lui arriva souvent, à la suite de querelles, de se battre en duel; malheureusement il ne reçut jamais un coup d'épée assez sérieux pour le mettre hors d'état de recommencer sa vie criminelle. Du reste; sa nature impétueuse le portait à prendre fait et cause pour ses com

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