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c'était une épidémie pendant la seconde période du xvir siècle. On peut juger avec quelle habileté Cagliostro exploita la monomanie scientifique du noble Sicilien. Il fut décidé qu'on se rendrait dans les terres du prince. L'habitation était située à quelques lieues de Messine. Cagliostro ne résista pas au désir d'aller un jour revoir la ville qui avait été son point de départ. Comme il se promenait dans les rues, il rencontra une ancienne connaissance. Le personnage était précisément un de ces jeunes aventuriers qui avaient joué le rôle d'esprits évoqués dans la comédie diabolique qui coûta soixante onces d'or à Marano, et qui bàtonnèrent l'orfévre si rudement. On renouvela connaissance. L'aventurier ne conseilla pas à Cagliostro de se montrer à Palerme, où la justice était très-irritée contre lui; mais il lui persuada d'associer sa fortune à la sienne et de le suivre à Naples, où il comptait ouvrir une maison de jeu pour piper tous les riches étrangers qui visitaient l'Italie. Ce procédé pour faire de l'or était fort simple, rapide et infaillible. Il fut du goût de Cagliostro, qui prit bientôt congé du prince sicilien, et partit pour l'Italie avec le futur croupier millionnaire.

Arrivé à Pizzo, village napolitain, ils se virent arrêtés par les carabiniers, sous prétexte qu'ils avaient enlevé une femme. L'hôtellerie fut entou

rée et fouillée de la cave au grenier. La dame enlevée ne se trouva nulle part. Les carabiniers s'étaient fourvoyés, et les deux aventuriers furent relâchés. Mais à Naples, le gouvernement les regarda d'un œil si sévère qu'ils crurent prudent de gagner les États romains. La tolérance du gouvernement pontifical les rassurait.

A Rome, il ne fut pas possible d'ouvrir la maison de jeu projetée. Le compagnon de Cagliostro avait été tonsuré autrefois'; il comprit un jour que, dans les États de l'Église, il finirait par être reconnu et démasqué. Le saint-office l'épouvanta. Il partit, Dieu sait pour quel pays, et ne reparut plus.

Cependant Cagliostro, qui n'avait aucun antécédent fâcheux du côté de l'Église, et qui n'avait jamais mis le pied à Rome, crut qu'il lui serait profitable de passer pour un honnête homme dans la ville pontificale. On dit même qu'il affecta des sentiments religieux, se montrant aux offices et hantant les palais du haut clergé. Il se fit présenter au bailli de Breteuil, alors ambassadeur de l'ordre de Malte à Rome, et lui prouva aisément dans quels rapports il avait été avec le grand maître Pinto. Il lui suffisait d'une dupe de haut parage pour en faire cent autres. Le voilà donc débitant des récits merveilleux et des spécifiques pour tous les maux dans la haute société romaine et étrangère. Les ducats et les écus arrivaient chez lui assez

abondamment. Il vivait avec un certain luxe, ne se refusant que les jouissances qui auraient pu causer trop de scandale.

Il était jeune, n'ayant que vingt-huit ou trente ans; il avait des passions ardentes, une volonté ferine, un caractère entreprenant; mais, tout roué qu'il était, il avait des faiblesses. Or, par une belle soirée, passant sur la place de la Trinité des Pèlerins, il remarqua une ravissante jeune fille assise près d'une fenêtre du rez-de-chaussée, dans le magasin d'un fondeur en cuivre. Deux jours après, il devenait éperdument amoureux de la belle Lorenza, et il la demandait en mariage à son père Feliciani, le fondeur. Celui-ci, fasciné par un titre, un nom aritocratique et des apparences de fortune, accorda la main de sa fille : la belle consentit, partageant les illusions de son père. Le mariage cut lieu, non sans un certain éclat, à la paroisse de Saint-Sauveur des Champs, et les époux furent logés dans la maison du beau-père.

Tout autre eût borné là sa vie aventureuse. Lorenza, jeune, belle, douée des meilleurs sentiments, une modeste aisance, une maison, une famille, le bien-être et la paix, que demander de plus? C'était du bonheur pour toute la vie, pour un cœur honnête et pour un esprit sage. Ce bonheur domestique, cette existence dorée et sereine, Cagliostro n'en pouvait vouloir longtemps. Il se rendit

indigne d'être aimé et estimé de Lorenza. L'époux de cette jeune femme sage et belle eut la coupable idée d'arriver à la fortune par le déshonneur de sa compagne. Il railla Lorenza sur ses principes, et chercha à affaiblir sa vertu dans un but de spéculation; il lui donna de fort mauvais conseils, et tenta de lui démontrer que l'art de la coquetterie était légitime quand il menait à la richesse. Lorenza, en bonne fille qu'elle était, se plaignit à sa mère, qui jeta les hauts cris, dévoila tout à son mari, amena des scènes de colère, brouilla à jamais le gendre et le beau-père, en sorte que Cagliostro sortit de la maison de Feliciani, mais fit valoir ses droits et emmena sa femme. Dès ce moment, Lorenza fut perdue.

Les voilà établis dans un autre quartier, et ouvrant leur maison à la mauvaise compagnie, c'està-dire à ces chevaliers d'industrie qui, à Rome comme ailleurs, vivaient aux dépens des honnêtes gens.

Parmi les nouveaux amis de Cagliostro se trouvaient deux individus fort suspects, dont l'un était un certain Ottavio Nicastro, qui finit ses jours par la potence; l'autre était un soi-disant marquis d'Agliata. Comment Agliata se procurait-il l'argent qu'il jetait par les fenêtres? c'est un mystère encore. Le fait est qu'il en avait beaucoup. Cet homme était une de ces natures audacieuses et

perverties qui ne reculent devant rien, pas même devant la chaîne et le boulet, pas même devant le gibet. Il avait un infâme et merveilleux talent: il contrefaisait les écritures avec une perfection inouïe.

C'est à l'habileté de ce faussaire que Cagliostro dut son brevet de colonel prussien. On sait avec quelle audace il soutint toujours qu'il était au service du roi de Prusse, et avec quelle persistance effrontée il porta, dans certaines occasions, l'uniforme d'un régiment dont il se disait colonel.

Cependant une grave mésintelligence ayant éclaté entre le marquis, Cagliostro et Nicastro, ce dernier résolut de perdre ses deux adversaires: il dénonça à la police romaine Agliata comme faussaire, et son compagnon comme complice de certaines escroqueries opérées au moyen de billets falsifiés. Agliata fut prévenu qu'on devait l'arrêter. Il n'y avait pas un moment à perdre, et il partit de Rome, emmenant à sa suite Cagliostro et Lorenza.

Ils prirent le chemin de Venise en passant par Lorette; ils arrivèrent sans encombre à Bergame, non sans s'être livrés en route à diverses fourberies. A Bergame, le gouvernement, ayant découvert ce qu'étaient Balsamo, sa femme et d'Agliata, donna l'ordre de les arrêter. Le marquis, plus habile ou plus heureux, trouva moyen de fuir, emportant

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