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mari comme un homme perdu. Elle pleura, gémit et s'attendit à tout.

Les événements politiques en France étaient devenus d'une gravité effrayante. Les états généraux avaient été convoqués, et les premiers cris révolutionnaires étaient sortis de cette assemblée. Cagliostro, apprenant à Rome les nouvelles surprenantes qui couraient toute l'Europe, crut l'occasion magnifique pour rentrer en France. Il écrivit à l'assemblée des états généraux, ou plutôt à quelques membres de l'opposition violente de cette assemblée. Sa déclaration de principes n'a jamais été publiée; il est douteux même qu'elle soit parvenue à Paris; mais il est bien permis de penser que l'ancien prisonnier de la Bastille, en apprenant les événements du 14 juillet, dut écrire un manifeste des plus lyriques à ses frères de Paris. Le symbole maçonnique L. P. D. dut être paraphrasé par lui avec une éloquence sans frein. En effet, c'était le cas, ou jamais, d'expliquer au monde le sens mystérieux de ce mot d'ordre en trois lettres adopté depuis longtemps par les initiés: Lilia pedibus destrue; foulez aux pieds les lis (L. P. D.).

Et l'on nous dira après cela que la franc-maçonnerie n'a jamais couvé dans son sein la moindre animosité contre les rois et leur autorité! Lilia pedibus destrue, disait-elle en France. Ailleurs elle

variait la formule, c'est probable; mais, quant au but, il était invariable partout.

Ce fut à cette époque qu'il se crut dénoncé au saint-office par un de ses adeptes. Ses conjectures étaient fondées. On épiait sa conduite, et bientôt on acquit la preuve qu'il faisait partie à Rome d'une loge clandestine à laquelle il avait imposé le rite égyptien. Or toute franc-maçonnerie, à Rome, était passible des peines les plus sévères : il y avait peine de mort contre quiconque était convaincu d'être affilié à une société professant et exerçant les sciences occultes. Aux yeux du saint-office, tout franc-maçon était voué corps et âme à l'hérésie, considéré comme ennemi juré de l'Église et comme tendant à renverser l'autorité spirituelle et temporelle du souverain pontife.

Cagliostro avait adressé, comme nous l'avons dit, une profession de foi aux états généraux de France après l'insurrection du 14 juillet. Dans son exaltation pour les idées révolutionnaires, il n'hésita pas à adresser encore une missive à ses frères agissants, qui faisaient partie de la loge-mère de Paris; c'étaient Barrère, Grégoire, Joseph d'Orléans et tant d'autres qui, depuis, furent membres du club des Jacobins. La lettre fut-elle interceptée par la police de Rome? il est permis de le croire, car elle ne parvint jamais à sa destination. Quoi qu'il en soit, Cagliostro se vit tout à coup arrêté

dans la soirée du 27 septembre 1789, par ordre du saint-office, et décrété d'accusation. On l'enferma au château Saint-Ange, et on procéda à l'instruction de son procès. Ses papiers furent fouillés et mis sous les scellés. On fit ressortir de sa correspondance plusieurs chefs d'accusation qui entraînaient une condamnation capitale.

Après une longue détention, quand l'instruction fut terminée, on lui donna un défenseur d'office, qui fut le comte Gaetano Bernardini, avocat des accusés devant la sainte inquisition. A ce premier défenseur on adjoignit, comme conseil, Mgr Char'les-Louis Constantini, dont la science et la probité étaient généralement reconnues. Ils ne lui cachèrent pas la gravité de sa position, ils lui conseillèrent de renoncer à appuyer sa défense sur un système de dénégation, promettant de le sauver de la peine capitale, ou du moins lui assurant une commutation de peine. Cagliostro leur fit des aveux complets. Il demanda même à se réconcilier avec l'Eglise, et un religieux reçut sa confession.

Enfin la cause fut portée à l'assemblée générale du saint-office, le 21 mars 1791, et, selon l'usage, devant le pape, le 7 avril suivant. Les avocats plaidèrent avec éloquence, non pas l'innocence de l'accusé, puisque Cagliostro répéta ses aveux, mais l'erreur et l'entraînement. Le jugement fut rendu; il prononçait la peine de mort. Un recours en grâce

fut aussitôt adressé au pape, et Pie VI commua la peine en une détention perpétuelle. Voici les termes du jugement :

Joseph Balsamo, atteint et convaincu de plusieurs délits, et d'avoir encouru les censures et les peines prononcées contre les hérétiques formels, les dogmatisants, les hérésiarques, les maîtres et les disciples de la magie superstitieuse, a encouru les censures et les peines établies, tant par les lois apostoliques de Clément XII et de Benoît XIV contre ceux qui, de quelque manière que ce soit, favorisent et forment des sociétés et des conventicules de francs-maçons, que par l'édit du conseil d'Etat porté contre ceux qui se rendent coupables de ce crime, à Rome ou dans tout autre lieu de la domination pontificale. Cependant, à titre de grâce spéciale, la peine qui livre le coupable au bras séculier (c'est-à-dire à la mort) est commuée en prison perpétuelle dans une forteresse, où il sera étroitement gardé, sans espoir de gràce; et après qu'il aura fait l'abjuration, comme hérétique formel, dans le lieu actuel de sa détention, il sera absous des censures, et on lui prescrira les pénitences salutaires auxquelles il devra se soumettre.

« Le livre manuscrit qui a pour titre Maçonnerie égyptienne est solennellement condamné, comme contenant des rites, des propositions, une doctrine et un système qui ouvrent une large route à la sé

dition, et comme propre à détruire la religion chrétienne, superstitieux, blasphématoire, impie et hérétique; et ce livre sera brûlé publiquement par la main du bourreau, avec les instruments appartenant à cette secte.

<< Par une nouvelle loi apostolique, on confirmera et on renouvellera, non-seulement les lois des pontifes précédents, mais encore l'édit du conseil d'État, qui défendent les sociétés et les conventicules des francs-maçons, faisant particulièrement mention de la secte égyptienne, et d'une autre vulgairement appelée des Illuminés; et l'on établira les peines corporelles les plus graves, et principalement celles des hérétiques, contre quiconque s'associera à ces sociétés ou les protégera. »

Le condamné fut enfermé au château SaintAnge, où il mourut deux ans après, à l'âge de cinquante ans1.

Tel fut Joseph Balsamo, comte de Cagliostro. En racontant sa vie et ses aventures avec sincérité, nous lui avons, pour ainsi dire, laissé la faculté de se peindre lui-même.

1. Il est de singuliers rapprochements! Dans le procès du collier, les avocats de Mme de La Motte cherchèrent à noircir énormément la réputation de Cagliostro, sans doute pour pallier la conduite de leur cliente accusée. Ils le comparèrent au célèbre imposteur Joseph Borri, qui, précisément, après avoir couru l'Europe et mené grand train en faisant des dupes, fut jugé à Rome par l'inquisition, fut forcé d'abjurer publiquement

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