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`séance dura jusqu'à la nuit. Sur la même sellette que la dame La Motte se trouvait cette belle fille nommée d'Oliva, qu'on avait arrêtée en Belgique. Les débats furent clos en ce qui concernait quatre accusés. On les renvoya hors de la grand'chambre. Alors fut introduit le cardinal de Rohan. Le premier président lui avait envoyé dire par un huissier de la cour souveraine que la sellette avait été enlevée et que Son Éminence pouvait se pré

senter.

Depuis son malheur, M. de Rohan avait retrouvé toute sa dignité. Quand il parut dans la salle, tous les conseillers se levèrent. Le prince grand aumônier portait la longue robe violette, costume de deuil des cardinaux. Il salua le parlement avec une incomparable noblesse; il y avait sur son visage une expression de sérénité majestueuse qui lui gagna l'admiration de l'auditoire. Il s'assit dans un fauteuil, et l'affaire suivit son cours. Le rapport fut fait par le conseiller Dupuis de Macé, avec toutes les convenances que méritait l'illustre accusé. Quant à l'interrogatoire, il se résuma en un dialogue d'une simplicité et d'un calme de haute compagnie. Les débats furent clos, et le cardinal se retira pour se rendre de nouveau dans le cabinet du greffier, après avoir été salué par la cour à sa sortie comme à son entrée.

Après un délibéré assez court, le premier

président lut l'arrêt. Le voici; nous en donnons un extrait pur et simple:

1o La pièce, base du procès, les approuvés et les signatures en marge sont reconnus frauduleusement apposés et faussement attribués à la reine;

2o La Motte, contumace, est condamné aux galères à perpétuité;

3o La dame La Motte sera fouettée, elle sera marquée sur les deux épaules de la lettre V, et enfermée à l'hôpital à perpétuité;

4o Réteaux de Villette est banni pour toujours du royaume ;

5o La demoiselle d'Oliva est mise hors de cour; 6o Le sieur Cagliostro est déchargé de l'accusation;

7° Le cardinal est déchargé de toute espèce d'accusation. Les termes injurieux répandus contre lui dans les Mémoires de la dame de la Motte seront supprimés;

8° Il est permis au cardinal de faire imprimer l'arrêt.

Telle fut la teneur du jugement. Le prince fut ramené dans son carrosse à l'hôtel de Rohan, où l'attendaient toute sa famille et une nombreuse compagnie.

Villette et la dame La Motte retournèrent sous les verrous. La demoiselle d'Oliva se sauva bien vite

chez elle, jurant qu'on ne la prendrait plus à jouer les reines. Quant à Cagliostro, il avait lieu d'être satisfait de l'issue du procès en ce qui le concernait; mais il paraît que le régime de la Bastille avait singulièrement calmé ses idées, car en prenant congé du gouverneur, le marquis de Launay, il lui déclara qu'on n'entendrait plus parler de lui à Paris. En effet, peu de jours après, la maison de la rue Saint-Claude était entièrement vide, et Cagliostro, voulant se dérober aux ovations compromettantes dont le menaçaient ses adeptes et ses admirateurs, se retira au village de Passy, d'où il disparut bientôt complétement. Nous le retrouverons à Rome.

Telle fut l'affaire du collier, si célèbre et si diversement racontée. Ajoutons, pour l'honneur de la famille de Rohan, que les membres de cette noble maison payèrent au joaillier Boehmer la somme de seize cent mille livres, prix du collier volé et vendu en détail par les associés en escroquerie.

Mme de La Motte subit sa peine infamante. Elle fut enfermée dans un hôpital, d'où elle parvint à s'échapper un an après, grâce à une sœur converse qui lui dit en lui ouvrant la porte : « Adieu, madame, et prenez garde de vous faire remarquer. » Il ne nous reste plus qu'à suivre le comte de Cagliostro dans sa dernière pérégrination.

XI.

Passy. Départ de Paris. - Séjour à Londres. Le gazetier

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- Départ de Londres.

Morand.
en Piémont. - Retour à Rome. Lorenza Feliciani.

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- Arrivée à Bâle.

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Voyage - Les

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L'acquittement de Cagliostro, dans l'affaire du collier, fut accueilli avec des transports de joie par ses admirateurs et ses sectaires à Paris. Des démonstrations un peu trop bruyantes le déterminèrent, comme nous l'avons dit, à aller habiter Passy. Sa retraite fut la nouvelle du jour. Le public se préoccupait beaucoup du sorcier qui guérissait sans remède et qui faisait de l'or.

Il y eut à Passy un grand concours d'adeptes et de curieux. Cagliostro se cachait en quelque sorte. Depuis sa sortie de la Bastille, on remarquait en lui une certaine impatience de quitter la France. Sa célébrité lui faisait peur, et, tout magicien qu'il était, il ne pouvait se défendre de frissonner au souvenir de ces formidables donjons où il s'était cru renfermé pour la vie.

Il remit donc à une autre époque ses grands projets sur la franc-maçonnerie égyptienne. Ces projets ne tendaient à rien moins qu'à obliger le

gouvernement du roi à reconnaître cet ordre nouveau, et à obtenir de Rome qu'il fût constitué sur les mêmes bases et avec les mêmes grands priviléges qui avaient appartenu à l'ordre teutonique et à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Le comte recevait à Passy les visites fréquentes d'un certain Thomas Ximénès, se disant descendant du cardinal de ce nom, et qui cherchait à ranimer en lui ce grand enthousiasme maçonnique d'autrefois. Thomas en était pour ses frais de harangue; ce malheureux château fort de la Bastille se dressait toujours devant les yeux du grand cophte, du puissant Acharat, du fils bien-aimé du shérif de Médine et de Salaahym. Beau rêve, titre glorieux, mirage ravissant d'un passé qu'il s'était promis de rajeunir! tout s'enfuyait comme une nuée brillante. La Bastille, les exempts, le gouverneur M. de Launay, les geôliers, voilà la réalité froide et sévère à laquelle venait se heurter, malgré lui, le puissant Cagliostro! Thomas Ximénès et d'autres grands dignitaires des loges de Paris finirent par désespérer du dieu de la science hermétique, et ils ne vinrent presque plus en pèlerinage à Passy.

Cependant Cagliostro nourrissait contre la cour de France des projets de vengeance qui se trahissaient par certaines paroles. Plusieurs fois il avait confié à ses intimes qu'il ferait entendre sa voix, quand il aurait passé la frontière. Il se préparait

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