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qui fe faifoient par curies; ce qui fit paffer les affaires des mains des patriciens dans celles des plébéiens.

Ainfi quand les plébéiens eurent obtenu let droit de juger les patriciens, ce qui commença lors de l'affaire de Coriolan (1), les plébéiens voulurent les juger affemblés par tribus (2), & non par centuries : & lorsqu'on établit en faveur du peuple les nouvelles magiftratures (3) de tribuns & d'édiles, le peuple obtint qu'il s'affembleroit par curies pour les nommer; & quand fa puiffance fut affermie, il obtint (4) qu'ils feroient nommés dans une assemblée par tribus.

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CHAPITRE X V.

Comment dans l'état florijant de la république,
Rome perdit tout à coup fa liberté.

DANs le feu des difputes entre les patriciens

& les plébéiens, ceux-ci demanderent que l'on donnât des loix fixes, afin que les jugemens ne fuffent plus l'effet d'une volonté capricieuse, ou d'un pouvoir arbitraire. Après bien des réfiftances le fénat y acquiefca. Pour composer ces foix on nomma des décemvirs. On crut qu'on devoit leur accorder un grand pouvoir, parce

( 1 ) Denys d'Halicarnaffe, liv. VII.

(2) Contre l'ancien ufage, comme on le voit dans Denys d'Halicarnasse, liv. V. pag. 320.

(3) Liv. VI. pag. 410 & 411. (4). Liv. IX, pag. 605.

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qu'ils avoient à donner des loix à des partis qui étoient prefque incompatibles. On suspendit la nomination de tous les magiftrats; & dans les comices, ils furent élus feuls adminiftrateurs de la république. Ils fe trouverent revêtus de la puiffance confulaire & de la puiffance tribunitienne. L'une leur donnoit le droit d'affembler le fénat; l'autre, celui d'affembler le peuple: mais ils ne convoquerent ni le fénat ni le peuple. Dix hommes dans la république eurent seuls toute la puiffance législative, toute la puiffance exécutrice, toute la puiffance des jugemens. Rome fe vit foumise à une tyrannie auffi cruelle que celle de Tarquin. Quand Tarquin exerçoit fes vexarions, Rome étoit indignée du pouvoir qu'il avoit ufurpé quand les décemvirs exercerent les leurs, elle fut étonnée du pouvoir qu'elle avoit donné.

Mais quel étoit ce fyftême de tyrannie, produit par des gens qui n'avoient obtenu le pouvoir politique & militaire que par la connoiffan ce des affaires civiles, & qui, dans les circonftances de ces temps-là, avoient befoin au dedans de la lâcheté des citoyens, pour qu'ils se laiffaffent gouverner, & de leur courage au dehors, pour les défendre ?

Le spectacle de la mort de Virginie, immolée par fon pere à la pudeur & à la liberté, fit évanouir la puiffance des décemvirs. Chacun fe trouva libre, parce que chacun fut offenfé: tout le monde devint citoyen, parce que tout le monde Le trouva pere. Le fénat & le peuple rentrerent

dans une liberté qui avoit été confiée à des tyrans ridicules.

Le peuple Romain, plus qu'un autre, s'émouvoit par les fpectacles. Celui du corps fanglant de Lucrece fit finir la royauté. Le débiteur, qui parut fur la place couvert de plaies, fit changer la forme de la république. La vue de Virginie fit chaffer les décemvirs. Pour faire condamner Man lius, il fallut ôter au peuple la vue du ca pitole. La robe fanglante de Céfar remit Rome dans la fervitude.

CHAPITRE

X V I.

De la puiffance législative dans la république

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Romaine.

N n'avoit point de droit à se disputer fous les décemvis: mais, quand la liberté revint, on vit les jaloufies renaître : tant qu'il refta quelques privileges aux patriciens, les plébéiens les leurs ôterent.

Il y auroit eu peu de mal, fi les plébéiens s'étoient contentés de priver les patriciens de leurs prérogatives, & s'ils ne les avoient pas offenfés dans leur qualité même de citoyens. Lorsque le peuple étoit affemblé par curies ou par centuries, il étoit compofé de fénateurs, de patriciens, & de plébéiens. Dans les difputes les plébéiens

(1) Denys d'Halicarnaffe, liv. XI, pag. 725.

(2) Par les loix facrés, les plébéiens purent faire des plébifcites, feuls, & fans que les patriciens fuffent admis dans leur affemblée; Denys d'Halicarnasse, liv. VI, pag. 410, & liv. VII. pag. 430.

gagnerent ce point (1), que feuls, fans les patriciens & fans le fénat, ils pouroient faire des loix qu'on appella plébifcites ; & les comices où on les fit, s'appellerent comices par tribus. Ainfi il y eut des cas où les pratriciens (2) n'eurent point de part à la puiffance législative, & (3) où ils furent foumis à la puiffance législative d'un autre corps de l'état. Ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie choqua les principes mêmes de la démocratie. Il fembloit qu'une puiffance auffi exorbitante, auroit dû anéantir l'autorité du fénat: mais Rome avoit des inftitutions admirables. Elle en avoit deux fur-tout: par l'une, la puiffance législative du peuple étoit réglée; par l'autre, elle étoit borné.

Les cenfeurs, & avant eux les confuls (4), formoient & créoient, pour ainfi dire, tous les cinq ans, le corps du peuple; ils exerçoient la légiflation fur le corps même qui avoit la puissance légiflative. » Tiberius-Gracchus, cenfeur, dit » Cicéron, transféra les affanchis dans les tribus » de la ville, non par la force de fon éloquence, ›› mais par une parole & par un gefte; & s'il ne » l'eut pas fait, cette république, qu'aujourd'hui >> nous foutenons à peine, nous ne l'aurions plus.

(3) Par la loi faite après l'expulfion des décemvirs, les patriciens furent foumis aux plébifcites, quoiqu'ils n'euffent pu y donner leur voix. Tite Live, liv. III, & Denys d'Halicarnaffe, liv. XI, pag. 725 ; & cette loi fut confirmée par celle de Publilius Philo, dictateur, l'an de Rome, 416. Tite-Live, liv. VIII

(4) L'an 312 de Rome, les confuls faifoient encore le cens, comme il paroît par Denys d'Halicarnaffe, liv. XI.

D'un autre côté le fénat avoit le pouvoir d'a ter, pour ainsi dire, la république des mains du peuple, par la création d'un dictateur, devant lequel le fouverain baiffoit la tête, & les loix les plus populaires reftoient dans le filence (1).

CHAPITRE XV I I.

De la puissance exécutrice dans la même république.

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le peuple fut jaloux de fa puiffance législative, il le fut moins de fa puissance exécutri ce. Il la laiffa prefque toute entiere au fénat & aux confuls, & il ne se réserva guere que le droit d'élire les magiftrats, & de confirmer les actes du fénat & des généraux.

Rome, dont la paffion étoit de commander dont l'ambition étoit de tout foumettre, qui avoit toujours ufurpé, qui ufurpoit encore,avoit continuellement de grandes affaires, fes ennemis conjuroient contre elle, ou elle conjuroit contre fes ennemis.

un:

Obligée de fe conduire d'un côté avec courage héroïque, & de l'autre avec une fageffe confommée, l'état des chofes demendoit que le fénat eût la direction des affaires. Le peuple difputoit au fénat toutes les branches de la puiffance législative, parce qu'il étoit jaloux de fa

(1) Comme celles qui permettoient d'appeller au peuple des ordonnances de tous les magiftrats.

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