Page images
PDF
EPUB

bles; & mettre, fi j'ofe parler ainsi, une nation fous un meilleur génie.

Quel bien les Espagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Méxicains? Ils avoient à leur donner une religion douce; ils leur apporterent une fuperftition furieusfe. Ils auroient pu rendre libres les efclaves; & ils rendirent efclaves les hommes libres. Ils pouvoient les éclairer fur l'abus des facrifices humains; au lieu de cela, ils les exterminerent. Je n'aurois jamais fini, fi je voulois raconter tous les biens qu'ils ne firent pas, & tous les maux qu'ils firent.

C'est à un conquérant à réparer une partie des maux qu'il a faits. Je définis ainfi le droit de conquête un droit néceffaire, légitime & malheu reux, qui laiffe toujours à payer une dette immenfe, pour s'acquitter envers la nature humaine.

CHAPITRE V.

Gélon, roi de Syracufe.

E plus beau traité de paix dont l'histoire ait

Lparle, eft je crois, celui que Gélon fit avec

les Carthaginois. Il voulut qu'ils aboliffent la coutume d'immoler leurs enfans (1). Chofe admirable ! Après avoir défait trois cens mille Carthaginois, il exigeoit une condition qui n'étoit utile qu'à eux, ou plutôt il ftipuloit pour le genre humain.

Les Bactriens faifoient manger leurs peres

(1) Voyez le recueil de M. de Barbeyrac, art. 112.

vieux à de grands chiens: Alexandre le leur dé fendit (1); & ce fut un triomphe qu'il remporta fur la fuperftition.

CHAPITRE VI.

D'une république qui conquiert.

Left contre la nature de la chofe

que, dans

I une conftitution fédérative, un état confédéré

conquiere fur l'autre, comme nous avons vu de nos jours chez les Suiffes (2). Dans les républiques fédératives mixtes, où l'affociation est entre de petites républiques & de petites monarchies, cela choque moins.

Il eft encore contre la nature de la chose, qu'une république démocratique conquiere des villes qui ne fauroient entrer dans la sphere de la démocratie. Il faut que le peuple conquis puiffe jouir des privileges de la fouveraineté, comme les Romains l'établirent au commencement. On doit borner la conquête au nombre des citoyens que l'on fixera pour la démocratie (f).

Si une démocratie conquiert un peuple pour le gouverner comme fujet, elle exposera sa propre liberté; parce qu'elle confiera une trop grande puiffance aux magiftrats qu'elle enverra dans l'é tat conquis.

(1) Strabon, Liv. II.

(2) Pour le Tockembourg.

f) Ce paffage doit s'entendre des parties intégrantesa Voyez la note (k) p. 222. ( R. d'un A. )

Dans quel danger n'eût pas été la république de Carthage, fi Annibal avoit pris Rome ? Que n'eût-il pas fait dans fa ville après la victoire, lui qui y caufa tant de révolutions après fa défaite (3) (g).

Hannon n'auroit jamais pu perfuader au fénat de ne point envoyer de fecours à Annibal, s'il n'avoit fait parler que fa jaloufie. Ce fénat qu'Ariftote nous dit avoir été si sage ( chofe que la profpérité de cette république nous prouve fi bien), ne pouvoit être déterminé que par des raifons fenfées. Il auroit fallu être trop ftupide pour ne pas voir qu'une armée, à trois cens lieues de là, faifoit des pertes néceffaires qui devoient être réparées.

Le parti d'Hannon vouloit qu'on livrât Annibal aux Romains (4). On ne pouvoit pour lors craindre les Romains, on craignoit donc Annibal.

On ne pouvoit croire, dit-on, les fuccès d'Annibal: mais comment en douter ? Les Carthaginois, répandus par toute la terre, ignoroient-ils ce qui fe paffoit en Italie ? C'est parce qu'ils ne fignoroient pas, qu'on ne vouloit pas envoyer de fecours à Annibal.

Hannon devint plus ferme après Trébies, après Trafimenes, après Cannes: ce n'eft point fon incrédulité qui augmente, c'eft fa crainte.

(3) Il étoit à la tête d'une faction.

(g) Il eût fait ce que font les gouverneurs des IndesOrientales Hollandoifes, après qu'i's font repatriés : il eut vécu en fimple citoyen. ( R. d'un A.)

(4) Hannon vouloit livrer Annibal aux Romains, comme Caton vouloit qu'on livrât Céfar aux Gaulois.

[ocr errors]

I

CHAPITRE VIL

Continuation du même sujet.

Ly a encore un inconvénient aux conquêtes faites par les démocraties. Leur gouvernement eft toujours odieux aux états afsujettis. Il est monarchique par la fiction: mais, dans la vérité, il eft plus dur que le monarchique, comme l'expérience de tous les temps & de tous les pays l'a fait voir.

Les peuples conquis y font dans un état triste ils ne jouiffent, ni des avantages de la république, ni de ceux de la monarchie (4).

Ce que j'ai dit de l'état populaire fe peut appliquer à l'ariftocratie.

A

CHAPITRE VIII

Continuation du même fujet.

[ocr errors]

INSI, quand une république tient quelque peuple fous fa dépendance, il faut qu'elle cherche à réparer les inconvéniens qui naiffent de la nature de la chofe, en lui donnant un bon droit politique & de bonnes loix civiles (¿).

Une république d'Italie tenoit des infulaires

(h) Ce chapitre affirme encore trop généralement. Une république peut faire précisément tout ce que l'auteur nous dit au Chap. IX. de ce livre, que les monarchies doivent faire. (R. d'un A.)

(i) C'est un devoir pour tous les états qui en tiennens d'autres fous leur dépendance. ( R. d'un A. )

fous fon obéiffance; mais fon droit politique & civil à leur égard étoit vicieux. On fe fouvient de cet acte (1) d'amniftie, qui porte qu'on ne les condamneroit plus à des peines afflictives fur la confcience informée du gouverneur. On a vu souvent des peuples demander des privileges; ici le fouverain accorde le droit de toutes les nations.

S

CHAPITRE IX.

D'une monarchie qui conquiert autour d'elle.

I une monarchie peut agir long-temps avant que l'agrandiffement l'ait affoiblie, elle deviendra redoutable, & fa force durera tout autant qu'elle fera preffée par les monarchies voisines.

Elle ne doit donc conquérir que pendant qu'elle refte dans les limites naturelles à fon gouvernement. La prudence veut qu'elle s'arrête fitôt qu'elle paffe ces limites.

Il faut, dans cette forte de conquête, laiffer les chofes comme on les a trouvées; les mêmes tribunaux, les mêmes loix, les mêmes coutu mes, les mêmes privileges, rien ne doit être chanl'armée & le nom du fouverain, Lorsque la monarchie a étendu fes limites par

gé, que

(1) Du 18 Octobre 1638, imprimée à Genes, chez Franchelli.

fola etiamo al nostro général-governatore in detta

di condanare in avenire folamente ex informata confcientia perfona alcuna nazionale in pena afflittiva, Potra ben fi far arreftare ed incarcerare le perfone che gl faranno fofpette; Salvo di renderne poi à noi follecitamente Art, VI.

« PreviousContinue »