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Même au yeux de Félix, même aux yeux

Sérere

Même aux yeux du sénat, aux yeux de l'empereur.

FELIX.

Enfin ma bonté céde à ma juste fureur.

Adore-les, ou meurs.

POLYE UCT E.

Je suis chrétien.

FELIX.

Impie!

Adore-les, te dis-je, ou renonce à la vie.

POLYE UCTE.

Je suis chrétien.

FELIX.

Tu l'es? O cœur trop obstiné!

Soldats, exécutez l'ordre que j'ai donné..

PAULINE.

Où le conduisez-vous ?

FELIX.

A la mort.

POLYE UCTE.

A la gloire.

Chere Pauline, adieu; conservez ma mémoire."

PAULIN E.

Je te suivrai par-tout, et mourrai si tu meurs.

POLYE UCTE.

Ne suivez point mes pas, ou quittez vos erreurs,

FELIX.

Qu'on l'ôte de mes yeux, et que l'on obéisse;
Puisqu'il aime à périr, je consens qu'il périsse.

SCENE IV.

FELIX, ALBIN..

FELIX.

JE me fais violence, Albin, mais je l'ai d

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Ma bonté naturelle aisément m'eut perdu.
Que la rage du peuple à présent se déploye;
Que Severe en fureur tonne, éclate, foudroye;
M'étant fait cet effort, j'ai fait ma sûreté.
Mais n'es-tu point surpris de cette dureté ?
Vois-tu, comme le sien, des cœurs impénétrables,
Ou des impiétés à ce point exécrables?
Du moins jai satisfait mon esprit affligé;
Pour amollir son cœur je n'ai rien négligé ;
J'ai feint même à tes yeux des lâchetés cxtrêmes
Et certes sans l'horreur de ses derniers blasphèmes,
Qui m'ont rempli de colere et d'effroi,
J'aurais eu de la peine à triompher de moi.

ALBIN.

Vous maudirez peut-être un jour cette victoire, Qui tient je ne sais quoi d'une action trop noire,

Indigne de Félix, indigne d'un Romain,
Répandant votre sang par votre propre main.

FELIX.

25 Ainsi l'ont autrefois versé Brute et Manlie;

Mais leur gloire en a crû, loin d'en être affaiblie; 26 Et quand nos vieux héros avaient de mauvais sang, Ils eussent, pour le perdre, ouvert leur propre propre flanc

ALBIN.

Votre ardeur vous séduit: mais quoiqu'elle vous die
Quand vous la sentirez une fois refroidie,

Quand vous verrez Pauline, et que son désespoir 27 Par ses pleurs et ses cris saura vous émouvoir.....

FELIX.

Tu me fais souvenir qu'elle a suivi ce traître
Et que ce désespoir qu'elle fera paraître,

De mes commandemens pourra troubler l'effet.
Va donc, cours y mettre ordre, et voir ce qu'elle fait;
28 Romps ce que ses douleurs y donneraient d'obstacle;
Tire-la, si tu peux, de ce triste spectacle ;

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Tâche à la consoler: va donc, qui te retient?

ALBIN.

Il n'en est pas besoin, Seigneur ; elle revient.

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SCENE V.

PAULINE, FÉLIX, ALBIN.

PAULIN E.

PERE barbare, acheve, acheve ton ouvrage;

Cette seconde hostie est digne de ta rage.

Joins ta fille à ton gendre; ôse, que tardes-tu ?
Tu vois le même crime ou la même vertu.
Ta barbarie en elle a les mêmes matieres.
Mon époux, en mourant, m'a laissé ses lumieres;
Son sang,
dont tes bourreaux viennent de me couvrir,
M'a dessillé les yeux', et me les vient d'ouvrir.
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée ;
De ce bienheureux sang tu me vois baptisée;
Je suis chrétienne, enfin; n'est-ce point assez dit?
Conserve, en me perdant, ton rang et ton crédit ;
Redoute l'Empereur, appréhende Sévere;
'Si tu ne veux périr, ma perte est nécessaire ;
Polyeucte m'appele à cet heureux trépas;

Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras.
Mene, mene-moi voir tes dieux que je déteste :
Ils n'en ont brisé qu'un, je briserai le reste.
On m'y verra braver tout ce que vous craignez,
Ces foudres impuissans qu'en leurs mains vous
peignez,

Et saintement rebelle aux lois de la naissance >
Une fois envers toi manquer d'obéissance.

Ce n'est point ma douleur que par-là je fais voir i

33 C'est la grace qui parle et non le désespoir.

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Le faut-il dire encor, Félix, je suis chrétienne.
Affermis , par ma mort, ta fortune et la mienne:
Le coup à l'un à l'autre en sera précieux,
Puisqu'il t'assure en terre, en m'élevant aux cieux.

SCENE VI, et derniere. SÉVERE, FELIX, PAULINE, ALBIN,

FABIAN.

SEVER E.

PERE dénaturé, malheureux politique,

36 Esclave ambitieux d'une peur chimérique ;
Polieucte est donc mort, et par vos cruautés
Vous pensez conserver vos tristes dignités!
La faveur que pour lui je vous avais offerte,
Au lieu de le sauver, précipite sa perte ?
J'ai prié, menacé, mais sans vous émouvoir;
Et vous m'avez cru fourbe ou de pcu de pouvoir.
Hé bien à vos dépens vous verrez que Sévere
Ne se vante jamais que de ce qu'il peut

Et

faire ;

par votre ruine il vous fera juger,
Que qui peut bien vous perdre eût pu vous protéger.
Continuez aux dieux ce service fidele;

Par de telles horreurs montrez-leur votre zèle.
Adien; mais quand l'orage éclatera sur vous,
Ne doutez point du bras d'où partiront les coups.

FELIX.

Arrêtez-vous, seigneur, et d'une ame appaisée,

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