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Ce défaut en Rodelinde a été une des principales causes du mauvais succès de Pertharite, et je n'ai point encore vu sur nos Théâtres cette inégalité de rang en un même Acteur, qui n'ait produit un très-méchant effet. Il serait bon d'en établir une regle inviolable.

Du côté du tems, l'action n'est point trop pressée, et n'a rien qui ne me semble vraisemblable. Pour le lieu, bien que l'unité y soit exacte, elle n'est pas sans quelque contrainte. Il est constant qu'Horace et Curiace n'ont point de raison de se séparer du reste de la famille pour commencer le second Acte; et c'est une adresse de théâtre de n'en donner aucune, quand on n'en peut donner de bonnes. L'attachement de l'auditeur à l'action présente, souvent ne lui permet pas de descendre à l'examen sévere de cette justesse ; et ce n'est pas un crime de s'en préva loir pour l'éblouir, quand il est malaisé de le satisfaire.

Le personnage de Sabine est assez heureusement inventé, et trouve sa vraisemblance aisée dans le rapport à l'histoire, qui marque assez d'amitié et d'éChef-d'œuvres de Corneille, T. I. T

galité entre les deux familles, pour avoir pu faire cette double alliance.

Elle ne sert pas d'avantage à l'action, que l'Infante à celle du Cid, et ne fait que se laisser toucher diversement, comme elle, à la diversité des événemens. Néanmoins on a généralement approuvé celleci, et condamné l'autre. J'en ai cherché la raison, et j'en ai trouvé deux. L'une est la liaison des Scenes, qui semblent, s'il m'est permis de parler ainsi, incorporer Sabine dans cette Piece, au lieu que dans le Cid toutes celles de l'Infante sont detachées, et paraissent hors d'œuvre :

Tantum series, juncturaque pollet.

L'autre, qu'ayant une fois posé Sabine pour femme d'Horace, il est nécessaire que tous les incidens de ce Poëme lui donnent les sentimens qu'elle en témoigne avoir, par l'obligation qu'elle a de prendre intérêt à ce qui regarde son mari et ses freres; mais l'infante n'est point obligée d'en prendre aucun en ce qui touche le Cid; et si elle a quelque inclination sesrette pour lui, il n'est point besoin qu'elle

en fasse rien paraître, puisqu'elle ne produit aucun effet.

L'oracle qui est proposé au premier Acte, trouve son vrai sens à la conclusion du cinquieme. Il semble clair d'abord, et porte l'imagination à un sens contraire; et je les aimerais mieux de cette sorte sur nos Théâtres, que ceux qu'on fait entièrement obscurs, parce que la surprise de leur véritable effet en est plus belle. J'en ai usé ainsi encore dans l'Andromède et dans l'Edipe. Je ne dis pas la même chose des songes, qui peuvent faire encore un plus grand ornement dans la protase, pourvu qu'on ne s'en serve pas souvent. Je voudrais qu'ils eussent l'idée de la fin véritable de la Piece, mais avec quelque confusion, qui n'en permit pas l'intelligence entiere. C'est ainsi que je m'en suis servi deux fois, ici et dans Polyeucte, mais avec plus d'éclat et d'artifice dans ce dernier Poëme, où il marque toutes les particularités de l'événement, qu'en celui-ci, où il ne fait qu'exprimer une ébauche tout-à-fait informe de ce qui doit arriver de funeste.

Il passe pour constant que ce second

Acte est un des plus pathétiques qui soient sur la Scene, et le troisieme un des plus artificieux. Il est soutenu de la seule narration de la moitié du combat des trois freres, qui est coupé très-heureusement pour laisscr Horace le pere dans la colere et le déplaisir, et lui donner ensuite un beau retour à la joie dans le quatrieme. Il a été à propos, pour le jetter dans cette erreur, de se servir de l'impatience d'une femme, qui suit brusquement sa premiere idée, et présume le combat achevé, parce qu'elle a vu deux des Horaces par terre, et le troisieme en fuite. Un homme, qui doit être plus posé et plus judicieux, n'eût pas été propre à donner cette fausse allarme; il eût dû prendre plus de patience, afin d'avoir plus de certitude de l'événement, et n'eût pas été excusable de se laisser emporter si légerement par les apparences, à présumer le mauvais succès d'un combat dont il n'eût pas vu la fin.

Bien que le Roi n'y paraisse qu'au cinquieme, il y est mieux dans sa dignité que dans le Cid, parce qu'il a intérêt pour tout son État dans le reste de la Piece

et

et bien qu'il n'y parle point, il ne laisse Fas d'y agir comme Roi. Il vient aussi dans ce cinquieme comme Roi, qui veut honorer par cette visite un pere dont les fils lui out conservé sa couronne, acquis celle d'Albe au prix de leur sang. S'il y fait l'office de juge, ce n'est que par accident; et il le fait dans ce logis même d'Horace, par la seule contrainte qu'impose la regle de l'unité de lieu. Tout ce cinquieme Acte est encore une des causes du peu de satisfaction que laisse cette tragédie: il est tout en plaidoyer; et ce n'est pas là la place des harangues, ni des longs discours ils peuvent être supportés en un commencement de Piece, où l'action n'est pas encore échauffée ; mais le cinquieme Acte doit plus agir que discourir. L'attention de l'auditeur déjà lassée se rebute de ces conclusions qui traînent et tirent la fin en longueur.

:

Quelques-uns ne veulent pas que Valere y soit un digne accusateur d'Horace, parce que dans la Piece il n'a pas. fait voir assez de passion pour Camille à quoi je réponds, que ce n'est pas dire qu'il n'en eût une très-forte, mais

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