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1509.

roit être détaché de l'alliance de France. Il lui CHAP. CV. envoya Jean Pierre Stella, secrétaire du sénat, avec les propositions les plus avantageuses. Mais celui-ci ne sut point s'envelopper d'un secret assez profond; l'ambassadeur français, informé de son arrivée, empêcha qu'il ne fût admis: un autre négociateur fut également écarté; une proposition conciliatrice que Jules II fit luimême à George Pisani, second ambassadeur de la république à Rome, fut dédaignée par cet homme morose, et d'un esprit contrariant, qui ne la communiqua pas même à ses chefs (1). Enfin la seigneurie, après avoir délibéré sur les moyens de détacher le pape de la ligue formée contre elle, trouva, d'après le conseil de Dominique Trévisani, que céder à l'Église sans combats ce qu'elle pourroit à peine obtenir par les armes, c'étoit acheter bien cher la neutralité d'un aussi foible ennemi, et donner, dès le commencément de la guerre, une preuve trop dangereuse de pusillanimité. Le pape, qui avoit tardé jusqu'au dernier jour à donner sa ratification au traité, y accéda enfin, mais sous la condition expresse qu'il n'agiroit à découvert contre les Vénitiens, qu'après que les Français auroient commencé les hostilités. (2)

(1) Fr. Bembi Hist. Ven., Lib. VII, p. 158.

(2) Fr. Guiceiardini, L. VIII, p. 414.-Fr. Belcarii, L. XI, P. 312.

CHAP. CV.

Leur attaque, il est vrai, ne devoit plus être 1509. long-temps différée; Louis XII s'étoit rendu à Lyon pour hâter la marche de ses troupes vers l'Italie; le cardinal d'Amboise qui cherchoit avidement un prétexte pour rompre l'antique alliance, avoit fait, en présence de tout le conseil, des reproches sanglans à l'ambassadeur vénitien, de ce que ses maîtres faisoient fortifier l'abbaye de Cerréto dans l'état de Crême, contre la teneur d'un traité conclu par la république avec François Sforza, le 29 avril 1454 (1). Louis XII en même temps se faisoit donner, pour cette guerre, des vaisseaux par les Génois, de l'argent par les Florentins, de l'argent et des soldats par les Milanais, qui regrettoient les provinces de leur état cédées par la France à la république de Venise. A la fin de janvier, la cour de France jeta enfin le masque : elle rappela de Venise son ambassadeur; elle renvoya celui des Vénitiens, aussi-bien que le secrétaire de la république qui résidoit à Milan, et elle publia son manifeste. Ferdinand-le-Catholique, au contraire, fidèle à sa politique astucieuse, fit déclarer à la république, qu'il étoit entré dans la ligue signée à Cambrai contre les Turcs, mais nullement dans celle contre Venise; qu'il ignoroit les motifs de Louis XII pour attaquer la seigneurie,

(1) Fr. Guicciardini, Lib. VIII, p. 418.-Fr. Belcarii, L. XI, p. 514.

et qu'il offroit à celle-ci tous les bons offices CHAP. CV. qu'elle avoit droit d'attendre de sa bienveillance

et de sa richesse. (1)

Déjà les hostilités avoient commencé sur les hords de l'Adda, entre quelques troupes légères françaises et vénitiennes, lorsque le héraut d'armes de France fut introduit dans le sénat, et dénonça la guerre à Léonard Lorédano, doge de Venise, et à tous les citoyens de cette ville; les qualifiant d'hommes infidèles, qui retenoient injustement les villes du souverain pontife et des rois, après s'en être emparés par violence. Lorédano répondit que la république n'avoit manqué de foi à personne, et que si elle n'avoit pas observé trop scrupuleusement ses engagemens envers la France elle-même, Louis XII n'auroit pas en Italie un lieu à lui où il pût mettre le pied. Après ces protestations solennelles de part et d'autre, on ne songea plus qu'à la guerre. (2)

1

Les Vénitiens, quoique abandonnés sans alliés aux attaques de l'Europe presque entière, ne désespéroient point de leur sort. Pourvu qu'ils ne succombassent pas à la première agression, ils ne doutoient pas que la ligue formée contre eux ne vînt à se dissoudre au bout de peu de mois les alliés étoient mis en mouve

:

(1) Petri Bembi Hist. Veneta, L. VII, p. 159.

(2) Idem, p. 162.-Fr. Guicciardini, L. VIII, p. 421.

150g.

CHAP. CV. ment par des intérêts trop discordans, et le ca150g. ractère du pape et de Maximilien promettoit

trop peu de constance, pour qu'on dût s'attendre à les voir persister long-temps dans une entreprise si contraire à toute saine politique. Les Vénitiens songèrent donc à se mettre en défense; leurs richesses, qui étoient encore intactes, et la prospérité de leur commerce, que les progrès des Portugais dans les Indes n'avoient pas encore eu le temps d'ébranler, mettoient à leur disposition tous les condottiéri, et leur permettoient de rassembler sous leurs drapeaux la plus brillante armée qui eût encore combattu dans les guerres d'Italie. Cependant, ces richesses, qui faisoient toute leur force, furent coup sur coup entamées par des accidens fortuits, comme si le ciel lui-même s'étoit joint à la ligue des nombreux ennemis de la république. Le magasin à poudre de l'arsenal de Venise sauta avec une effroyable détonation, tandis que le conseil étoit assemblé; et cet incendie couvrit la ville entière de cendres et de brandons enflammés. La forteresse de Brescia fut frappée d'un coup de tonnerre, qui entr'ouvrit ses murailles; une barque, qui portoit à Ravenne dix mille ducats, pour la solde des troupes, périt en mer, Les archives enfin de la république, qui contenoient tous ses papiers les plus précieux, furent consumées par le feu : et ces malheurs répé

CHAP. CV.

tés n'étoient point encore aussi désastreux en eux-mêmes que par la fâcheuse influence qu'ils 1509. exerçoient sur le courage du peuple; car celuici les considéroit comme autant de funestes présages. (1)

Les Vénitiens avoient engagé à leur solde plusieurs condottiéri, nés dans les états de l'Église, entre autres Giulio et Renzo Orsini, seigneurs de Céri, dont ils portoient le nom, et Troïlo Savelli. Ces capitaines devoient leur amener cinq cents hommes d'armes et trois mille fantassins; et ils avoient déjà reçu à compte quinze mille ducats. Mais le pape leur ordonna, sous les peines ecclésiastiques et temporelles les plus sévères, de rompre le marché, et de garder en même temps l'argent. Les condottieri obéirent à cette sommation de leur seigneur suzerain (2). Malgré leur absence, cependant, les Vénitiens se trouvèrent avoir, près de Pontévico sur l'Oglio, deux mille cent lances fournies, ce qui supposoit à chacune quatre, ou même six chevaux; quinze cents chevau-légers italiens, dix-huit cents Stradiotes, dix-huit mille fantassins soldés, et douze mille hommes de leurs propres milices (3). Nicolas

(1) Fr. Guicciardini, L. VIII, p. 419.—Fr. Belcarii Comm. Rer. Gallic., L. XI, p. 315.

(2) Fr. Guicciardini, L. VIII, p. 419. — Petri Bembi Hist. Ven., L. VIII, p. 165.

(3) Muratori Annali d'Italia, T. X, p. 41, d'après une

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