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CHAP. XCIX. vrer l'Italie de ses tyrans, et réformer l'Église 1498. dès-lors il n'avoit pas cessé de lui reprocher, au

nom du ciel irrité, la lenteur qu'il apportoit à l'accomplissement de ce grand ouvrage, et de le menacer d'une punition exemplaire. Il avoit voulu faire reconnoître le commencement de cette punition dans la mort successive des deux dauphins, que Charles perdit en bas âge; mais un nouveau châtiment, disoit-il, menaçoit encore le monarque abandonné à ses plaisirs : et le jour même où Savonarole devoit faire sur la place de Florence, la terrible épreuve de sa doctrine, en envoyant Dominique Bonvicini, son disciple, au milieu d'un bûcher ardent; le 7 avril 1489, veille du dimanche des Rameaux, Charles VIII fut frappé d'apoplexie dans son château d'Amboise; on ne put point le transporter hors de la galerie où il se trouvoit alors, passage souillé d'immondices, et le plus déshonnéte lieu de céans, dit Comines; on l'y étendit sur un lit de paille, et il y mourut au bout de neuf heures. (1)

Charles VIII ne laissoit point d'enfans; et sa couronne passoit à Louis d'Orléans, le plus prochain des princes du sang. Celui-ci étoit né à

(1) Mémoires de Phil. de Comines, L. VIII, ch. XXV, p. 431. - Fr. Belcarii Comment. Rer. Gallic., L. VII, p. 213. — Fr. Guicciardini, L. III, p. 187. — Arn. Ferroni Burdig., L. II,

p. 32.

Blois le 27 juin 1462 : il étoit fils de Charles, CHAP. xcix. petit-fils de Louis, l'époux de Valentine Vis- 1498. conti, et arrière-petit-fils de Charles V. Ce prince, quoique gendre de Louis XI, et le plus proche héritier du trône, avoit vécu dans l'adversité; il s'étoit mis à plusieurs reprises à la tête des partis mécontens en France; il avoit éprouvé tour-à-tour la prison et l'exil, et il avoit reçu de la fortune la seule éducation qui puisse faire que les rois sentent comme des hommes. Il étoit déjà âgé de trente-six ans, lorsqu'il monta sur le trône sous le nom de Louis XII; et quoique son esprit ne fût ni vaste, ni susceptible d'une longue contention, quoiqu'il eût donné à connoître sa propre foiblesse, par le besoin constant qu'il avoit eu d'un favori, il inspiroit cependant aux états voisins bien plus de considération et de crainte que Charles VIII, dont on avoit appris à connoître l'extrême inconséquence et l'inapplication. (1)

Mais c'étoit surtout aux Italiens que Louis XII pouvoit causer de l'appréhension en montant sur le trône. Il n'avoit jamais cessé d'invoquer les droits de Valentine Visconti son aïeule sur l'héritage de Milan. Pour que ces droits prétendus eussent quelque validité, il auroit fallu cependant que la souveraineté de Milan fût un

(1) Fr. Guicciardini, L. IV, p. 191.

1498.

CHAP. XCIX. héritage dévolu nécessairement des pères aux enfans, et non une seigneurie italienne, où le droit du prince n'étoit fondé que sur l'acquiescement présumé du peuple. Il auroit fallu encore que cet héritage pût tomber en quenouille; ce qui étoit aussi contraire au droit de la couronne en France qu'au droit italien. Charles duc d'Orléans, père de Louis XII, alternativement prisonnier des Anglais, et chef de parti dans les guerres civiles de France, n'avoit pu faire valoir ses prétentions par les armes à sa mort son fils n'avoit que trois ans. Louis XI cependant s'étoit allié avec les Sforza: Charles VIII avoit persisté dans la même alliance; et loin de seconder les éclamations de son cousin sur le duché de Milan, c'étoit sur l'appui de Louis-le-Maure, fils de François Sforza, qu'il avoit le plus compté, lorsqu'il avoit entrepris son expédition en Italie. Après avoir éprouvé la mauvaise foi de ce prince, il n'avoit point encore voulu lui ôter tout espoir de réconciliation; tandis qu'au contraire il avoit manifesté de la défiance et de la jalousie contre le duc d'Orléans, lorsque celui-ci, pendant son séjour à Asti, avoit menacé le Milanais d'une invasion. Mais Louis XII, en montant sur le trône, annonça aussitôt les prétentions qu'on l'avoit si long-temps empêché de faire valoir. Il ajouta au titre de roi de France ceux de duc de Milan, et de roi des Deux-Siciles et de

CHAP. XCIX.

Jérusalem; il ne dissimula pas qu'il comptoit soutenir ces titres avec toutes les forces d'un puis- 1498. sant empire. (1)

Tant de passions agitoient alors l'Italie, que cette seconde invasion des Français, qui, après l'épreuve qu'on avoit faite de la première, devoit être redoutée de tout le monde, étoit devenue au contraire l'espoir de plusieurs puissans états; en sorte qu'avant de l'entreprendre Louis XII trouva le moyen de changer de système des alliances de son prédécesseur, et de s'assurer d'utiles coopérateurs pour les conquêtes qu'il méditoit.

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La guerre de Pise qui étoit demeurée allumée comme un flambeau destiné à exciter un nouvel incendie, avoit plus contribué qu'aucune autre circonstance à changer les affections des divers partis. Cette guerre avoit ruiné les Florentins elle leur avoit fait éprouver toute la mauvaise foi de Charles VIII et de ses lieutenans; elle leur avoit laissé le vif regret de s'être fiés aux promesses de la France. La même guerre, après avoir flatté vivement les espérances de Louis-le-Maure, ne promettoit plus qu'à ses rivaux le prix auquel il prétendoit luimême. Il étoit trompé pour la seconde fois par ses propres calculs, en suivant cette politique

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(1) Fr. Belcarii Comm. Rer. Gallic., L. VIII, p. 216.

CHAP. XCIX. astucieuse dont il se glorifioit tant; et il com1498. mençoit à desirer de se rapprocher des Florentins, pour chasser de Pise les Vénitiens, après avoir en quelque sorte donné lui-même cette ville à ces derniers. D'autre part, les Vénitiens qui se vantoient d'avoir défendu, d'avoir sauvé deux fois Louis-le-Maure, ressentoient tant d'indignation de ce qu'ils appeloient son ingratitude, qu'ils étoient disposés à commettre, pour se venger de lui, la même faute qu'on lui avoit si vivement reprochée, et à lui susciter un antagoniste plus puissant qu'eux et que lui. (1)

En effet, à peine eurent-ils appris la mort de Charles VIII, qu'ils ordonnèrent au secrétaire de leur république résident à Turin, de passer auprès de son successeur bientôt ils le firent suivre par trois ambassadeurs chargés d'excuser les hostilités précédentes, et de les faire considérer comme les conséquences d'une querelle terminée par la mort du dernier roi. Le pape, qui vers le même temps avoit résolu de dégager son fils César Borgia des ordres sacrés, et de le faire passer du rang de cardinal à celui de prince temporel, saisit de son côté, avec empressement, cette occasion d'exciter de nouvelles guerres, et de vendre tout ensemble à un puissant allié, l'appui de sa souveraineté temporelle, et les

(1) Fr. Guicciardini, Lib. IV, p. 193. — Fr. Belcarii Commentar., Lib. VIII, p. 217.

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