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CHAP. CII. tés, résolut d'attaquer l'Espagne en même temps par Baïonne et Fontarabie, et par le comté de Roussillon; de faire ravager les côtes de Catalogne et de Valence par une flotte française; enfin de faire marcher dans le royaume de Naples une armée suffisante pour y recouvrer la supériorité. (1)

Le commandement de cette armée fut donné à Louis de La Trémouille; sous lui devoit servir François de Gonzague, marquis de Mantoue, le même qui avoit arrêté les Français à Fornovo, et qui avoit commandé l'armée vénitienne envoyée contre eux dans la Pouille. Le bailli de Bissy avoit été chargé de lever et de conduire les Suisses. Les Florentins, les Siennois, les princes de Ferrare, de Mantoue et de Bologne, avoient promis des contingens; l'armée de La Trémouille devoit être forte de dixhuit cents lances, et de dix-huit mille fantassins: une flotte puissante devoit la seconder; et l'on n'avoit point encore vu la France faire d'appareil plus formidable (2). Cependant La Trémouille avant de s'engager dans le royaume de Naples, vouloit être sûr de la conduite que tien

(1) Fr. Guicciardini, L. VI, p. 312. — Jacopo Nardi, L. IV. p. 153.-Fr. Belcarii Comment., L. IX, p. 271.

(2) Fr. Guicciardini, Lib. VI, p. 313.-Jacopo Nardi, L. IV, p. 153. Mémoires de la Trémouille, T. XIV, ch. XI, p. 167.- Pauli Jovii Vita magni Consalvi, L. II, p. 229.

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droient le pape et son fils. Aux craintes déjà si CHAP. CH. légitimes qu'excitoit leur caractère, se joignoient depuis quelque temps la défiance que devoient causer leurs négociations contradictoires; les

prétentions offensantes du pape qui vouloit pour

suivre, et dépouiller de ses fiefs Gian Giordano Orsini, quoiqu'il fût sous la protection expresse du roi (1); la permission qu'il avoit accordée aux Espagnols de recruter dans Rome même, et les intrigues bien connues de Valentinois avec Gonsalve de Cordoue. Valentinois qui avoit cinq cents hommes d'armes sous ses ordres, offroit de les joindre à l'armée française, pourvu que Louis XII lui sacrifiât nonseulement Gian Giordano Orsini, mais l'état de Sienne; et les Français étoient sur le point de souscrire à ce honteux traité, lorsque Borgia en proposa un moins ignominieux, mais plus dangereux. Il leur offrit le passage par l'état de l'Église, en demeurant lui-même neutre et armé. Il étoit facile de reconnoître que son intention étoit de se décider d'après les circonstances, pour accabler les vaincus; ou bien qu'en dépit de ses promesses, pendant que les Français seroient dans le royaume de Naples, il attaqueroit la Toscane laissée par eux dégarnie de troupes (2). Mais au milieu de ces projets et de

(1) Jacopo Nardi Ist. Fior., Lib, IV, p. 151-154. (2) Idem, p. 155.

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CHAP. CII. ces espérances, le pape Alexandre VI fut frappé

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le 18 août d'une mort presque subite; le duc César Borgia son fils, et le cardinal de Cornéto, furent en même temps rapportés à Rome, presque moribonds, d'une vigne où ils devoient souper avec lui; et le corps d'Alexandre VI, bientôt couvert d'une gangrène noire et effrayante, donna lieu à tout le public de supposer que lui, son fils et son convive, étoient victimes d'un poison qu'il avoit lui - même préparé pour un autre. (1)

La vie entière d'Alexandre Borgia avoit été signalée par tant de crimes, il avoit si bien mérité la haine de Rome, de l'Italie et de la chrétienté, qu'il ne faut point s'étonner si sa mort fut attribuée aux forfaits mêmes auxquels il avoit accoutumé sa cour, et si l'on fut empressé de trouver, dans le renversement si rapide de sa famille, et dans la juste punition de sa scélé– ratesse, une conséquence des moyens odieux qu'il mettoit en usage pour augmenter sa fortune. On avoit vu, pendant tout son pontificat, Alexandre VI retirer un double avantage pécuniaire, des promotions au sacré collége, que la constitution de l'Église lui donnoit le droit de faire. En onze promotions il avoit créé quarante

(1) Fr. Guicciardini, L. VI, p. 314. — Raphael Volaterranus, Lib. XXII, apud Raynald. Annal. eccles. 1503, §. 10, p. 540.

trois cardinaux (1); presque aucune de ces no- CHAP.CII. minations n'avoit été gratuite; la plupart lui 1503. rapportoient au moins dix mille florins celle de Francesco Sodérini, frère du gonfalonier de Florence, lui en avoit rapporté vingt mille; celle de Doménico Grimani, fils du procurateur de Saint-Marc, trente mille; d'autres avoient peut-être été payées à un plus haut prix. Mais c'étoit peu pour le pape de vendre cette première des dignités ecclésiastiques. Les cardinaux employés par lui dans l'administration, s'enrichissoient rapidement; le pape fut accusé d'en avoir fait périr un grand nombre, pour s'emparer de leurs héritages, et pour disposer de leurs bénéfices, qui retournoient au Saint-Siége. C'étoient-là, disoit-on, les criminelles ressources par lesquelles le pape suffisoit aux dépenses prodigieuses que demandoient et l'entretien des armées du duc de Valentinois, et le luxe de la cour pontificale, et les prodigalités de Lucrèce Borgia, et l'établissement des autres fils et neveux d'Alexandre. L'on raconta, et l'on crut dans toute l'Italie, que le pape avoit invité le cardinal Adrien de Cornéto à un repas, dans sa vigne de Belvédère, près du Vatican ; qu'il avoit l'intention de l'y empoisonner, comme il avoit empoisonné auparavant les cardinaux de Saint

(1) Onofrio Panvino Vita di Alessandro VI, p. 479.

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CHAP. G. Ange, de Capoue et de Modène, autrefois ses ministres les plus zélés, ensuite les victimes de sa cupidité; que le duc de Valentinois avoit envoyé des bouteilles de vin préparé par lui à l'échanson du pape, sans le mettre dans sa confidence, et en lui recommandant seulement de ne point donner ce vin sans un ordre exprès; que, pendant l'absence momentanée de cet échanson, son remplaçant donna par erreur une de ces bouteilles au pape, à César Borgia et au cardinal de Cornéto. Ce dernier dit ensuite lui-même à Paul Jove, qu'au moment où il eut pris ce breuvage, il sentit dans ses entrailles un feu ardent, qu'il perdit la lumière du jour, et bientôt l'usage de tous ses sens, et qu'après une longue maladie, son rétablissement fut précédé par l'excoriation de toute sa peau. (1)

Les écrivains contemporains les mieux informés et les plus détaillés, s'accordent sur les circonstances de cet événement. Cependant un journal de la cour de Rome et les lettres de l'ambassadeur de la maison d'Este, semblent prouver que la maladie du pape dura huit jours, qu'on la qualifia de fièvre pernicieuse, et qu'on la traita comme telle (2). Après tout, nous ne sa

(1) Paulo Giovio Vita di Leone X, Lib. II, p. 82.- Vita del cardinale Pompeo Colonna, p. 358.—Ejusd., Vita magni Consalvi, L. II, p. 229.-Fr. Guicciardini, Lib. VI, p. 314. — Alf. de Ulloa, Vita di Carlo V, L. I, p. 31.

(2) Muratori, Annali d'Italia, T. X, p. 15. Ann. eccles. 1503, §. 11, p. 541

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