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CHAP. CI.

1502.

plaisir, des terres de l'Église ; que personne ne
pouvoit trouver mauvais que lui-même secondât
le
pape dans une entreprise aussi légitime, et que
si les Vénitiens tentoient d'y mettre quelque
obstacle, il les traiteroit en ennemis. Non content
d'avoir répondu ainsi, il envoya copie de sa
lettre au duc de Valentinois, qui la fit voir à
Macchiavel. (1)

Les confédérés de la Magione invitèrent aussi le duc d'Urbin, alors réfugié à Venise, à prendre part à leur ligue. Celui-ci, qui, ayant tout perdu, ne couroit plus de risque, se joignit à eux avec empressement. Il aborda à Sinigallia : des intelligences le rendirent maître de la forteresse de San-Léo, et tous les peuples du duché d'Urbin, qui le chérissoient, prenant aussitôt les armes en sa faveur, il recouvra la possession de son état aussi rapidement qu'il l'avoit perdue (2). Ainsi éclata, au commencement d'octobre, la révolte des capitaines de César Borgia contre lui il n'y étoit nullement préparé; plusieurs d'entre eux faisoient encore partie de son armée, et il avoit compté s'assurer des soldats de tous les autres avant d'attaquer

:

(1) Macchiavelli, Legazione al duca Valentino, lettera Ia, p. 2, ediz. di Firenze, 1767, in-8°. — Fr. Guicciardini, L. V, p. 285.-Fr. Belcarii Comment. Rer. Gallic., L. IX, 258.

p.

(2) Jacopo Nardi, Ist. Fior., Lib. IV, p. 140.- Burchardi

Diarium Curiæ Roman., p. 2142.

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Bentivoglio, le seul qu'il eût encore ouverte- CHAP. CI. ment menacé. Au moment où il apprit la révolte du duché d'Urbin, il étoit à Imola avec peu de troupes; et Bentivoglio, qui avoit quelques compagnies à Castel San-Piero, leur fit battre le pays jusqu'à Doccia, à peu de distance d'Imola. Valentinois écrivit en hâte à don Hugues de Cardone et à don Michel, deux de ses capitaines qui étoient dans le duché d'Urbin, d'éviter tout combat, de se replier devant l'ennemi, et de lui ramener à Rimini cent hommes d'armes, deux cents chevau-légers et cinq cents fantassins qu'ils commandoient. Mais ces deux lieutenans n'exécutèrent point ses ordres; ils furent tentés, par une occasion qui se présenta à eux, de s'emparer de la Pergola et de Fossombrone; ils rentrèrent dans le duché d'Urbin, et se laissèrent surprendre près de Cagli par Paul Orsini et le duc de Gravina, son cousin, qui avoient six cents fantassins de Vitellozzo avec eux. Les troupes de Borgia furent battues; don Hugues de Cardone fut fait prisonnier; son lieutenant fut tué, et don Michel se réfugia à Fano, d'où il se retira à Pésaro. (1)

Le duc de Valentinois couroit un grand danger à Imola. Il y rassembloit des soldats aussi rapidement qu'il pouvoit mais ceux que :

(1) Fr. Guicciardini, Lib. V, p. 287.

lui

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CHAP. Cr. avoit promis le roi de France, ne lui étoient point encore arrivés; et les Italiens qu'il engageoit, n'avoient pas moins de raison de se défier de lui que ceux qui portoient alors les armes contre lui. Une attaque un peu brusque des confédérés l'auroit probablement mis en déroute; mais ceux-ci redoutoient par-dessus toute chose de s'attirer l'indignation du roi de France: ils lui avoient fait déclarer que, loin de vouloir combattre ses soldats, ils étoient prêts à exécuter ponctuellement ses ordres. Ils avoient même refusé d'admettre les Colonna dans leur ligue, uniquement parce que ceux-ci étoient ennemis déclarés de la France. Ces vains ménagemens donnèrent le temps à César Borgia et à son père de négocier, soit pour se réconcilier avec les chefs ennemis, soit pour les diviser entre eux. Alexandre VI cherchoit surtout à regagner la confiance du cardinal Orsini, par l'entremise de son frère Giulio Orsini, qui étoit resté à Rome. (1)

César Borgia avoit un talent sans égal pour les négociations, et une facilité très - remarquable pour gagner les hommes qui l'approchoient. Ce tyran, si faux et si perfide, savoit surtout emprunter le langage de la franchise et de la confiance. On retrouve parfois dans les lettres que Macchiavelli écrivoit à la seigneurie, pen-

(1) Fr. Guicciardini, L. V, p. 286.

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dant sa légation auprès de lui, l'empreinte de CHAP. CI. ce ton de bonhomie qu'il portoit dans ses négociations. Souvent le secrétaire florentin rapporte les propres mots de la conversation qu'il vient d'avoir. « Quand tu es venu pour la pre» mière fois auprès de moi, lui disoit Borgia, >> le 23 octobre, je ne t'ai point parlé si clai»rement (de mon entière satisfaction de la con» duite de la république, et de mon empresse» ment à la servir), parce que je me trouvois >> alors dans une assez mauvaise position; Urbin » venoit de se révolter, je ne savois sur quel » appui ce duc pouvoit compter; chez moi tout » étoit en désordre, et rien ne pouvoit paroître >> stable avec ces états nouveaux aussi je ne >> voulois pas que tes seigneurs se figurassent » que la grande peur que j'avois, me faisoit >> abonder en promesses. A présent que j'ai moins » de craintes, je te promets davantage; et » quand je ne craindrai plus du tout, les faits >> au besoin suivront les promesses. » Macchiavel, après avoir rapporté dans sa lettre du même jour cette conversation dans tous ses détails, ajoute « Vos seigneuries voient de quelles pa» roles se sert ce seigneur, encore que je n'en » écrive pas la moitié; elles considéreront d'au» tre part la personne qui parle, et elles en ju>> geront selon leur prudence accoutumée. » (1) (1) Macchiavelli Legazioni. Leg. Ia, Lett. Ia, p. 5 et 6.

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L'immobilité de Borgia, qui depuis le commencement de la guerre passa dix semaines à Imola, sans avancer ni reculer, persuada aux confédérés qu'il sentoit sa foiblesse, et qu'il acheteroit à grand prix sa réconciliation; ils entrèrent donc avec joie en négociation avec lui, d'autant plus que pendant le même temps ils poursuivoient leurs avantages. Le peuple de Camérino s'étoit révolté, et il avoit rappelé de son exil à l'Aquila, Jean-Marie de Varano, fils du dernier seigneur. Vitellozzo avoit pris la forteresse de Fossombrone, puis les citadelles d'Urbino, Cagli et Agobbio; en sorte que dans le duché d'Urbin, Sant' Agata, seule, restoit entre les mains des officiers de Borgia. Fano et toute sa province avoient aussi été conquis par les confédérés. Cependant Valentinois appeloit à sa solde de toutes parts des lances brisées: on appeloit ainsi de petits gentilshommes qui n'avoient sous leurs ordres que cinq ou six cavaliers, et qui se mettoient séparément à la solde de celui qui les engageoit. Comme ils n'arrivoient point par compagnies, et qu'ils n'étoient point conduits par un capitaine de réputation, ils ne paroissoient point former une armée. (1)

Valentinois vouloit engager Paul Orsini à venir en personne traiter à Imola avec lui; pour l'y attirer il consentit à envoyer, aux confé

(1) Macchiavelli. Legazione I, Lettre IV, p. 16 et passim.

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