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age; ses talens eussent été négligés peut- être par ce peuple austère qui n'estimoit que la vertu. Il fut respecté parmi nous dans tout le cours de sa vie, et à tous les titres.

La vieillesse, ce temps d'affoiblissement, qui n'est ni la mort, ni l'existence, pour le reste des hommes, mérita d'être comptée dans sa vie. Le ciel, en lui accordant un esprit si étendu et de longs jours, sembla reculer pour lui toutes les bornes humaines, et n'enlever qu'à regret à la terre un sage placé sous deux règnes, pour être à-la-fois la lumière et l'ornement de deux siècles, pour pouvoir en comparer les merveilles sous deux augustes monarques, &c.

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EXTRAIT

De la Réponse de M. le duc de NIVERNOIS au Discours de M. SEGUIER.

SI l'heureuse acquisition que nous

faisons en vous adoptant, monsieur, est un triomphe public, la perte que nous déplorons en même temps est une perte publique. Nous nous étions approprié le grand homme auquel vous succédez. Dans nos fastes, nous jouissions de sa gloire; dans notre société, de ses vertus. Il étoit fait pour être l'oracle de nos assemblées, il se contentoit d'en être l'ornement; il aimoit à n'être qu'un d'entre nous: mais nous ne nous flattons pas qu'il fût notre bien propre et particulier; il étoit le bien commun de l'humanité; il appartenoit à quiconque aime les lettres, les talens et la philosophie; il est pleuré, il sera révéré par-tout où il y a des hommes qui pensent.

L'antiquité vit toutes les nations adorer l'astre qui féconde tous les climats, et dont les influences bienfaisantes se répandent sur toutes les productions de la nature. Ainsi, tous les talens, toutes les sciences réclament Fontenelle, et tous les temples de la littérature consacrent son culte. Sa réputation n'est pas la réputation d'un homme; elle est un

que

glorieux amas de toutes les réputations possibles, et on peut lui appliquer parfaitement la belle louange mérita autrefois Caton le censeur, en qui Tite-Live (1) admire cette rare et flexible fécondité : qui fait embrasser tous les genres, et qui fait réussir dans tous au point de paroître né pour chacun en particulier; et il semble qu'en formant le génie de Fontenelle, la nature ait eu attention à le former tel les circonstances dans lesquelles ce grand homme devoit paroître. A son entrée dans la noble carrière des lettres, la lice étoit pleine d'athlètes couronnés; tous les prix étoient distribués, toutes les palmes étoient enlevées; il ne restoit à cueillir que celle de l'universalité. Fontenelle osa y aspirer,

pour

et il l'obtint. Semblable à ces chef-d'œuvres d'architecture qui rassemblent les trésors de tous les ordres, il réunit l'élégance et la solidité, la sagesse et les graces, la bienséance et la hardiesse, l'abondance et l'économie; il plaît à tous les esprits, parce qu'il a tous les mérites; chez lui, le badinage le plus léger, et la philosophie la plus profonde, les traits de la plaisanterie la plus enjouée, et ceux de la morale la plus intérieure, les graces de l'imagination, et les résultats de la réflexion, tous ces effets de causes presque contraires, se trouvent quelquefois fondus ensemble, toujours

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placés l'un près de l'autre dans les oppositions les plus heureuses, contrastées avec une intelligence

inimitable.

Par-là, dans ces éloges qu'il a composés pour tant de grands hommes, non-seulement il s'incorpore tour-à-tour avec chacun d'eux; non-seulement il entre dans le secret de leurs études, de leurs procédés, de leurs découvertes; en sorte que, suivant une de ses expressions, on le voit devenir successivement tout ce qu'il a lu; mais encore il embellit chaque matière qu'il traite les richesses par de toutes les autres qu'il possède. Il ne se contente pas d'être métaphysicien avec Mallebranche, physicien et géomètre avec Newton, législateur avec le czar Pierre, homme d'état avec M. d'Argenson; il est tout avec tous, il est tout en chaque occasion; il ressemble à ce métal précieux que la fonte de tous les métaux avoit formé. Léibnitz projettoit la création d'une langue universelle, et Fontenelle a regardé ce projet comme une belle chimère. Il ne s'appercevoit pas qu'il étoit lui-même, si j'ose ainsi parler, l'exécution de cette idée : et comment s'en seroit-il apperçu ? Cette langue qu'il parloit étoit sa langue naturelle; il ne l'avoit pas apprise, et elle ne s'enseigne pas.

Oserai-je parler, messieurs, de cet ouvrage immortel, qui faisant l'histoire des sciences, et substituant à leurs hiérogliphes sacrés le langage com

mun,

mun, a si bien étendu leur empire en leur attirant le juste hommage de ceux même qui ne les connoissent pas ? De grands hommes qui m'écoutent (et que le sort plus juste auroit dû me permettre d'écouter), ces grands hommes dont la gloire fourni de si beaux matériaux à celle de Fontenelle, seroient seuls dignes de le célébrer, de l'apprécier en cette partie; et je dois craindre de profaner un sujet trop au-dessus de ma portée. Mais dans cet aveu sincère de mon incapacité, je puis me permettre les expressions de la reconnoissance, et je ne me refuserai pas le plaisir de rendre graces au génie bienfaisant qui m'a mis en état d'entrevoir d'augustes mystères qu'une laborieuse initiation ne m'a pas dévoilés. Il a rempli l'intervalle, il a comblé l'abîme qui séparoit les philosophes et le vulgaire. La sagesse n'habite plus les déserts: on arrive à son temple en parcourant des chemins faciles, où tous les esprits se tiennent par une chaîne non interrompue. Quel bienfait plus digne de la reconnoissance publique ! quel homme rendit jamais un plus grand service à l'humanité!

Le fameux Bacon, chancelier d'Angleterre connut et attaqua les prestiges de la fausse philcsophie qui régnoit impérieusement de son temps. Il pressentit, il devina qu'il existoit une méthode pour connoître. Il en avertit son siècle, et mit les siècles suivans en état de la trouver. Descartes na

Tome I.

F

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