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qu'ils se meuvent, pour proportionner l'instruction à tous les esprits? C'est un Orphée qui diminue sa voix dans un lieu resserré qui ne permet point de plus grands éclats.

Il la déploie cette voix savante, propre à tous les tons, dans ces profondes analyses, dans ces sublimes résultats de tant d'ouvrages de l'Académie des Sciences, lorsque semblable au destin de la fable, qui ne rendoit ses oracles que pour les Dieux, il ne parle que pour se faire entendre aux Savans. Vos lumières m'ont déja précédé, messieurs; elles suppléent à ce que je ne puis exprimer pour son éloge. On regarda comme un prodige dans le même homme, de parler à chaque savant son langage, de passer si facilement d'une sphère à l'autre. Ne faudroit-il pas que le même prodige se renouvellât en moi, pour le louer d'une manière digne de ses connoissances et des vôtres, pour effleurer au moins tout ce qu'il approfondissoit?

C'étoit au milieu de ces vastes spéculations, que, né pour l'agrément, il en étendoit l'empire. Le même génie qui mesuroit les cieux avec Galilée, qui calculoit l'infini avec Newton, ressuscitoit encore l'art de Théocrite, ou devenoit le rival de Quinault. Entraîné par la diversité de ses pensées, il évoquoit les morts célèbres dans ses dialogues philosophiques, où il se plaît à présenter les objets dans un jour inattendu, à ôter aux choses les idées

accoutumées, non par un esprit dangereusement systématique qui confondroit les principes avec les préjugés, mais pour nous montrer la folie des prétentions humaines, les méprises de la raison même, et nous apprendre à nous méfier d'une sagesse qui n'est si présomptueuse, que parce qu'elle est bornée. Mais quels éloges rendre à Fontenelle pour ces éloges si estimés, où non-seulement il sut vaincre le dégoût de la malignité humaine pour les louanges d'autrui les plus justes, mais encore se faire de l'art de louer un caractère particulier, et un talent nouveau? Il me semble, en ce moment, les entendre en foule, tous ces morts fameux, me presser d'acquitter ici leur reconnoissance. Doués d'un différent mérite et d'une réputation inégale, ils furent portés presque tous au même degré de célébrité par l'éloquence et les lumières du panégyriste; orateur qui savoit d'autant mieux les louer, qu'il pouvoit être lui-même ou leur émule, où leur juge.

Il fut le premier qui joignit à la philosophie des sciences, cette philosophie de raison supérieure encore au savoir, cette sage liberté de penser, penser, qui, d'un côté, s'élève au-dessus des erreurs communes, et de l'autre se renferme dans de justes bornes. Il eut assez de force pour s'affranchir des opinions peu fondées, et assez de sagesse pour en dégager les esprits, en évitant de les heurter de front, plus

sûr de les gagner que de les subjuguer. C'est ainsi
que, dans l'Histoire des Oracles, il sépara peu-à-
peu la vérité de la superstition. C'est ainsi qu'exempt
de passion et d'enthousiasme, il jugea tous les an-
ciens, comme Descartes en avoit jugé un d'en-
tr'eux, posant les limites du respect qui leur étoit
dû, ne reconnoissant d'autorité que le génie, de
loi que le sentiment, ramenant les esprits à eux-
mêmes, et les débarrassant du joug qui les étouf-
foit en les captivant. Rangé du côté des modernes
la plupart ses contemporains, il vit leur gloire sans
jalousie, quelque près qu'il fût d'eux; il la défendit
sans vanité, quelque avantage qu'il assurât à leur
parti. Le mérite de ses ouvrages l'auroit encore
fortifié contre l'antiquité, quand même il se seroit
déclaré pour

elle.

Attaché au cartésianisme par tout ce qu'il avoit cru trouver de vraisemblable dans ce systême, et non par superstition ou par opiniâtreté, il ne refusa point son admiration au grand Newton. Il ne fut point au rang de ses sectateurs, mais il fut son plus illustre panégyriste.

Qui l'auroit cru, messieurs? La critique, qui se 'déchaîne ordinairement contre les écrivains célè

bres, ne lui lança que quelques traits. On put, il |

est vrai, lui reprocher, dans plusieurs de ses écrits, plus de brillant que de goût, plus d'art que de naturel; d'affecter, pour ainsi dire, une certaine

galanterie d'esprit, et même trop d'esprit ; exemple dangereux, en ce qu'il savoit plaire par tant d'autres faces, et peut-être par ses défauts même. Mais la critique lui rendit cet hommage, de n'oser le poursuivre que dans ceux qui voulurent l'imiter. La supériorité de ses talens couvrit tout: il put compter ses ennemis, et non ses admirateurs. L'envie le respecta ; la renommée ne tint sur lui qu'un langage. Il jouit de sa réputation, il jouit de l'avenir même : il vit toute la postérité dans ses contemporains.

Eh! comment, avec un mérite si éminent, échappa-t-il aux fureurs de l'envie? Il dut cet heureux privilége à sa philosophie, à sa modération; au respect que ses mœurs inspirèrent, à ce caractère doux et liant qui ne révoltoit point l'amourpropre d'autrui, à cet oubli volontaire de sa supériorité, à la justice qu'il rendit au mérite. Enfin, il échappa à l'envie, parce que lui-même ne la connut point. Il vécut tranquille au milieu de ces querelles littéraires, où l'auteur qu'on attaque expose autant sa gloire en voulant la défendre, que le critique cherche à la ternir en l'attaquant : guerres honteuses entre la malignité et l'amour-propre, qui déshonorent les lettres, le cœur et l'esprit.

Le nom de Fontenelle ne pouvoit être resserré dans les bornes de son pays. La réputation des grands hommes part d'auprès d'eux; mais c'est au loin

qu'elle paroît briller davantage. Elle ne parle ja◄ mais plus haut, que lorsqu'ils ne sont point à portée de l'entendre : du méme essor dont la gloire franchit les temps, elle franchit les lieux; elle n'est guère immortelle qu'autant qu'elle est générale; son étendue est le sceau de sa durée. Tel fut le triomphe de Fontenelle. Les étrangers accouroient ici pour l'entendre, pour pouvoir dire au moins dans leur patrie, je l'ai vu. Un d'eux arrive à peine aux portes de cette capitale; il le demande avec impatience au premier qu'il rencontre, persuadé qu'un homme connu aux extrémités du monde, ne pouvoit être ignoré d'aucun de ses concitoyens.

Honoré des bontés d'un grand prince, qui, doué comme lui d'un génie universel, étoit le juge le plus éclairé du mérite; admis, si l'on ose le dire, dans sa familiarité, il ne fit point servir à son ambition ou à sa fortune cet excès de faveur. Exempt de l'esprit d'intrigue, inaccessible aux mouvemens inquiets ou violens, ami du bien général, animé du desir de plaire, sachant jouir de tout et de lui-même; né plutôt pour la société, que pour un commerce plus intime, elle s'enrichit de ce qu'il eût pu donner à des liaisons particulières, à ces penchans estimables, mais dangereux, passions des ames nées trop sensibles, sujettes à s'égarer, dès qu'elles ne sont plus surveillées par la raison.

Il eût été publiquement révéré à Sparte par som

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