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M. le duc d'Orléans, fils de M. le Régent, ne lui en conserva que la moitié; et Fontenelle, quoiqu'il fût alors devenu riche pour un homme d'esprit, n'en murmura pas. Il approuva la pieuse économie du prince, qui se souvenant qu'il étoit homme, prenoit sur les dépenses de la grandeur de quoi subvenir aux besoins de l'humanité.

Cette vertu même n'étoit pas étrangère à Fontenelle. Il est vrai qu'il falloit l'éclairer de bien =près pour en découvrir les effets. Il étoit trop in- telligent pour ne pas laisser aux vertus tout ce qu'elles peuvent avoir de prix ; et la main qui donnoit, se cachoit avec plus de précaution que celle qui recevoit. Cependant ses amis les plus intimes rendent témoignage qu'il a secouru plusieurs personnes dont il ne connoissoit que l'indigence; et l'on a trouvé dans ses papiers, après sa mort, des billets pour des sommes qu'il avoit prêtées à des gens dès-lors insolvables, et dont il n'a jamais ni poursuivi ni espéré le paiement.

Sa vieillesse toujours gaie, toujours galante, nè fut marquée que par le nombre des années; ellé devint même pour lui une nouvelle source de gaieté et de galanterie. Il comptoit quatre-vingt – seizė ans, et les dames les plus spirituelles s'en disputoient encore la conquête. Ce ne fut qu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans qu'il commença à devenir sourd, et sa surdité s'accrút par degrés. Ceux qui

l'entretenoient y gagnoit souvent; il devinoit mieux qu'on ne lui disoit. Quatre ou cinq ans après, sa vue s'affoiblit tout-à-coup, et resta dans l'état où elle s'est conservée jusqu'à la fin. Neuf jours avant sa mort, il reçut les sacremens qu'il avoit demandé de lui-même. Il s'éteignit sans maladie et sans effort le 9 janvier 1757, après avoir été pendant près d'un siècle entier un miracle de santé, d'esprit, d'égalité d'ame, et de connoissances.

Il avoit institué exécutrice de son testament madame Geoffrin. Il comptoit avec raison sur la probité de cette dame, dont il avoit éprouvé la bienveillance dans un commerce plein d'esprit et d'agrément. Quatre autres dames furent ses héritières ; madame de Forgeville, cette amie généreuse qui avoit contribué à soutenir sa vieillesse des soins par tendres et assidus; madame de Montigny, sœur de M. d'Aube, son cousin issu de germain, chez qui il avoit demeuré depuis sa sortie du palais royal, et qui étoit mort avant lui; et les deux demoiselles de Marsilly, petites-filles du marquis de Martinville de Marsilly, qui fut tué au combat de Leuze, où il commandoit les Gardes-du-Corps, et arrièrespetites-filles de Thomas Corneille. MM. de Latourdupin étoient parens de Fontenelle au même degré que les demoiselles de Marsilly. Feu madame la comtesse de Latourdupin étoit fille unique de François, fils de Thomas, et le dernier des Corneille.

Fontenelle recevoit de la cassette du Roi douze cent livres , que M. le maréchal de Villeroy lui avoit fait avoir à son insçu. Six mois avant sa mort, il obtint, par le crédit de M. le comte d'Argenson, que la moitié de cette pension seroit appliquée à M. Bovyer de Saint-Gervais, mousquetaire, son parent éloigné, qui demeure actuellement à Mortagne dans le Perche.

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EXTRAIT

Du DISCOURS prononcé par M. SEGUIER, l'un des avocats-généraux du Parlement de Paris, lorsqu'il fut reçu à l'Académie Françoise, le Jeudi 31 Mars 1757, à la place de FONTENELLE.

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MESSIEURS,

QUAND le célèbre académicien que vous regretfut admis dans votre illustre compagnie, il attribua ce glorieux avantage à l'honneur qu'il avoit d'appartenir au grand Corneille. Mais si le hasard de la naissance l'attachoit les liens du sang au père du théâtre, cet éclat héréditaire disparoissoit auprès des titres personnels qui l'avoient rendu digne de votre choix......

par

Mais à qui succédai-je, messieurs? à un de ces hommes rares, nés pour entraîner leur siècle, pour produire d'heureuses révolutions dans l'empire des lettres, et dont le nom sert d'époque dans les annales de l'esprit humain; à un génie vaste et lu

pour

mineux, qui avoit embrassé et éclairé plusieurs l'attrait de ses goûts, par genres, universel par l'étendue de ses idées, et non par ambition ou par enthousiasme; à un esprit facile, qui avoit acquis, et qui communiquoit, comme en se jouant, toutes les connoissances; à un bel esprit philosophe, fait embellir la raison, et pour tenir d'une main légère la chaîne des sciences et des vérités. Il falloit, dit Fontenelle, décomposer Léibnitz, pour le louer; c'est un moyen que, sans y penser, le panégyriste préparoit dès-lors pour le louer luimême. En effet, que de différens mérites dans le même écrivain! La philosophie affranchie par Descartes des épines de l'école, restoit encore hérissée de ses propres ronces. Fontenelle acheva de la dépouiller de ce langage abstrait, de ces surfaces énigmatiques, qui étoient un voile de plus pour ses mystères; voile épais, imaginé par l'ignorance pour dérober l'absurdité des systêmes, ou par la vanité. Il fit plus; il substitua des fleurs aux épines: c'est ainsi qu'il embellit Copernic et Descartes luimême, dans la Pluralité des Mondes, ouvrage adroitement superficiel, appas qu'il présenta à son siècle, pour inspirer le goût de la philosophie. Eh! quelle magie de style ne falloit - il pas pour faire descendre les corps célestes sous les yeux du vulgaire, pour lui en développer toute l'économie d'une manière si agréable, avec autant d'ordre

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