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chelieu eut formé notre compagnie dans la capitale, il s'en fût formé aussi-tôt d'autres pareilles dans les provinces, on eût pu croire que l'esprit d'imitation et de mode, si reproché à notre nation, agissoit; et s'il eût agi, il est certain qu'il ne se fût ne se fût pas soutenu. Mais les Académies, nées après l'Académie Françoise, sont nées en des temps assez différens, Ce n'est donc plus une mode qui entraîne la nation : une inutilité réelle et solide se fait sentir, mais lentement, parce qu'elle ne regarde que l'esprit; et en récompense elle se fait toujours sentir: la pure raison ne fait pas rapidement ses conquêtes; il faut qu'elle se contente de les avancer toujours de quelques pas.

Si les villes, si les provinces du royaume s'étoient disputé le droit d'avoir une Académie, quelle ville l'eût emporté sur Marseille par l'ancienneté des titres? quelle province en eût produit de pareils aux vôtres, Messieurs? Marseille étoit savante et polie dans le temps que le reste des Gaules étoit barbare; car il n'est pas à présumer que le savoir des druides y répandît beaucoup de lumières. Marseille a eu des hommes, fameux encore aujourd'hui, que les Grecs reconnoissoient pour leur appartenir, non-seulement par le sang, mais par le génie. Il est sorti de la Provence, soumise à l'empire romain, des orateurs et des philosophes que Rome admiroit. Et dans des temps beaucoup

moins reculés, lorsque cette épaisse nuit d'ignorance et de barbarie, qui avoit couvert toute l'Europe, commença un peu à se dissiper, ne fut-ce pas en Provence que brillèrent les premiers rayons de la poésie françoise, comme si une heureuse fatalité eût voulu que cette partie des Gaules fût toujours éclairée la première? Alors la nature y enfanta tout-à-coup un grand nombre de poëtes dont elle avoit seule tout l'honneur; l'art, les règles, l'étude des Grecs et des Romains ne lui pouvoient rien disputer. Ces auteurs, qui n'avoient que de l'esprit sans culture, dont les noms sont à peine connus aujourd'hui de quelques-uns d'entre les savans les plus curieux, sont ceux cependant dont les Italiens ont pris le premier goût de la poésie; ce sont ceux que les anciens poëtes de cette nation si spirituelle, et le grand Pétrarque lui – même, ont regardés comme leurs maîtres, ou du moins comme des prédécesseurs respectables. La gloire de Pétrarque peut encore appartenir plus particulièrement à la Provence par un autre endroit : il fut inspiré par une provençale. Vous aviez aussi dans

ces mêmes siècles une Académie d'une constitution singulière : le savoir, à la vérité, n'y dominoit pas; mais en sa place l'esprit et la galanterie. L'élite de la noblesse du pays, tant en hommes qu'en femmes, composoit la fameuse cour d'amour, où se traitoient avec méthode et avec une espèce de régu larité académique, toutes les questions que peuvent

fournir ou les sentimens ou les aventures des amans; questions si ingénieuses pour la plupart, et si fines, que celles de nos romans modernes ne sont souvent que les mêmes, ou ne les surpassent pas : mais il est vrai que sur ces sortes de sujets, l'étude des anciens et les livres ne sont pas si nécessaires. Vous n'avez pas voulu, messieurs, vous parer beaucoup de tout cet éclat qui ne vient que de vos ancêtres mais avec ceux qui ne font valoir leur noblesse, on est d'autant plus obligé à s'en souvenir et à faire sentir qu'on s'en souvient. Une ancienne possession d'esprit est certainement un avantage. Ou c'est un don du climat, s'il y en a de privilégiés et quel climat le devroit être plus que le vôtre? ou c'est un motif qui anime et qui encourage; c'est une gloire déja acquise qui devient la semence d'une nouvelle.

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pas

Combien de talens semés assez indifféremment en tous lieux, périssent faute d'être cultivés! Les Académies préviennent ces pertes dans les différens départemens dont on leur a en quelque sorte confié le soin; elles mettent en valeur des bienfaits de la nature, dont on n'eût presque retiré aucun fruit. Rome envoyoit des colonies dans les provinces de son empire, parce qu'elle n'y eût pas trouvé des Romains tout formés : mais chez nous il se formera des Romains, pour ainsi dire, loin de Rome; et qui sait s'il n'y en aura pas quelques-uns que la capitale enviera, et qu'elle enlevera même aux provinces? RÉPONSE

REPONSE

DE FONTENELLE,

Doyen de l'Académie Françoise, et alors directeur, à M. MIRABAUD, lorsqu'il y fut reçu le 28 septembre 1726.

MONSIEUR,

On craint quelquefois que les lettres ne conservent pas encore long-temps dans ce royaume, tout l'éclat qu'elles ont acquis; il semble qu'elles ne soient plus assez considérées : et en effet une certaine familiarité que l'on a contractée avec elles, peut leur être nuisible. Beaucoup plus d'excellens ouvrages ont porté tous les genres d'écrire à un point qu'il seroit très - difficile de passer; et dès que l'esprit ne s'élève plus, on croit qu'il tombe. La prompte décadence des Grecs et des Romains nous fait peur; car nous pouvons, sans trop de vanité, nous appliquer ces grands exemples. Cependant quand une place de l'Académie Françoise Tome I. K

est à remplir, quel est notre embarras ? c'est le nombre des bons sujets. Nous perdons M. le duc de la Force, qui joignoit à une grande naissance et à une grande dignité plus de goût pour toute sorte de littérature que la naissance et les dignités n'en souffrent ordinairement, et même plus de talens qu'il n'osoit en laisser voir; et aussi-tôt notre choix est balancé entre plusieurs hommes, tous recommandables par différens endroits, et dont le nombre est si grand par rapport à l'espèce dont ils sont qu'il fait presque une foule. Vous avez été choisi, Monsieur; mais dans la suite vous vous donnerez vous-même pour confrères ceux qui ont été vos rivaux, et cette rivalité vous déterminera en leur faveur..

Ç'a été votre belle traduction de la Jérusalem du Tasse qui a brigué nos voix, La renommée n'a encore depuis trois mille ans consacré que trois noms dans le genre du poëme épique, et le nom du Tasse est le troisième. Il faut que les nations les plus jalouses de leur gloire, les plus fières de leur succès dans toutes les autres productions de l'esprit, cèdent cet honneur à l'Italie.

Mais il arrive le plus souvent que les noms sont, sans comparaison, plus connus que les ouvrages qui ont fait connoître les noms. Les auteurs célèbres des siècles passés ressemblent à ces rois d'orient, que les peuples ne voient presque jamais, et dont

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