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collége de Louis-le-Grand, entra dans la compagnie de Jésus, qui dirigeait ce collége. Il fut appelé au siége épiscopal de Marseille, le 19 janvier 1709, mais il ne fut sacré que l'année suivante (31 mai 1710). Ce fut dix années après que, dans ce même mois et presque à pareil jour (27 mai 1720), la peste, éclatant à Marseille, devait immortaliser le nom de l'évêque Belsunce.

Ce fut le 25 mai 1720, que le vaisseau d'un capitaine Chatard, arrivant de Séide, de Tripoli, de Syrie et de Chypre, aborda aux îles du château d'Iff, après avoir perdu six hommes de son équipage pendant sa traversée. Le 27, un des matelots meurt à bord; le 12 juin, le garde de quarantaine sur ce navire succombe. Ce n'est que vers le 23 juin que la peste se communique à des portefaix, et c'est du 10 au 15 juillet seulement que le fléau se propage dans la ville. Dès le milieu du mois d'août, la ville de Marseille offrait déjà le tableau que trace son évêque dans l'un de ses mandements. «Sans entrer dans le secret de tant de maisons désolées par la peste et par la faim, où l'on n'entendait que des gémissements et des cris, où des cadavres, que l'on n'avait pu faire enlever, pourrissant depuis plusieurs jours auprès de ceux même qui n'étaient pas encore morts, et souvent dans le même lit, étaient pour ces malheureux un supplice plus dur que la mort elle-même. Sans parler de toutes les horreurs qui n'ont pas été publiques, de quels spectacles affreux, pendant quatre mois, n'avonsnous pas été et ne sommes-nous pas encore les témoins! Nous avons vu tout à la fois toutes les rues de cette ville bordées de deux côtés de morts à demi pourris, et si remplies de hardes et de meubles pestiférés, jetés par les fenêtres, que nous ne savions où mettre les pieds. Toutes les places publiques, toutes les portes des églises étaient traversées de cadavres entassés, et en plus d'un endroit, mangés par les chiens. Combien de fois, dans notre très-amère douleur, nous avons vu ces moribonds tendre vers nous leurs mains tremblantes, pour nous témoigner leur joie de nous revoir encore une fois avant que de mourir, et nous demander ensuite avec larmes notre bénédiction et l'absolution de leurs péchés.

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Le 31 août, les hôpitaux de la peste ne sont plus assez grands pour recevoir le nombre de malades qui s'y présentent en foule. Sitôt que, dans une maison, une personne se sent frappée de ce mal, elle devient à l'instant un objet d'horreur et d'effroi à ceux même qui sont les plus proches. La nature oubliant les lois de la chair et du sang, on prend le barbare parti ou de jeter le pauvre malade hors de la maison ou de s'enfuir, l'abandonnant tout seul, sans secours, en proie à la maladie, à la faim, à la soif, à tout ce qui peut rendre la mort le plus cruelle. Les femmes en usent ainsi envers leurs maris, les maris envers leurs femmes, les enfants envers leurs pères et mères, et ceux-là envers leurs enfants. C'est de là que l'on voit ce nombre infini de malades de tout âge, de toute condition, étendus dans les rues et les places publiques.

A la date du 4 septembre, presque tous les religieux et prêtres qui assistaient les pestiférés ont péri. On compte déjà parmi ces victimes quarante-deux capucins, trente-deux observantins, vingt-neuf récollets, vingt-deux augustins réformés, vingt-un jésuites, dix carmes déchaussés, et la plupart des vicaires des chapitres et des paroisses. Le clergé marseillais n'a qu'à prendre exemple sur son évêque. Dès le commencement de la contagion, on l'a pressé de sortir de la ville pour tâcher de se conserver au reste de son diocèse; il a rejeté tous ces conseils; il reste avec une fermeté inébranlable prêt à donner sa vie pour son troupeau; mais il ne se borne pas à rester prosterné au pied des autels, et à lever les mains au ciel; sa charité est active, il est tous les jours sur le pavé de tous les quartiers de la ville, et va partout visiter les malades dans les plus hauts et les plus sombres appartements des maisons, dans les rues, à travers les cadavres, sur les places publiques, sur le port, sur le cours. Les plus misérables, les plus abandonnés, les plus hideux, sont ceux auxquels il va avec le plus d'empressement et sans craindre ces souffles mortels qui portent le poison. Il les approche, les confesse, les exhorte à la patience, les dispose à la mort, verse dans leurs âmes des consolations célestes, et laisse à tous des fruits abondants de sa généreuse charité, répandant

de l'argent partout. Plus de 25,000 écus (en deux mois) ont déjà coulé de ses mains, et il cherche encore à tout engager, pour en pouvoir répandre davantage. La mort a respecté ce nouveau Charles Borromée, mais elle l'a toujours environné et a fauché jusque sous ses pieds. La peste gagne son palais : la plupart de ses officiers et domestiques en sont frappés. Il est contraint d'aller prendre retraite en l'hôtel du premier président. La peste l'y poursuit encore, et n'attaque pas seulement le reste de ses domestiques, mais deux personnes qui lui sont très-chères par leurs mérites distingués, et qui sont ses aides dans ses saintes peines, le père de La Fare, jésuite, et le sieur Bougerel, chanoine de la Mayor. S'il a la consolation de voir échapper le premier, il a la douleur de voir expirer l'autre ; tout cela cependant ne l'ébranle pas.

L'extrait suivant d'une réponse du pieux prélat au chanoine Plomet de Montpellier, peut donner quelque idée de la sérénité et de la modestie de l'intrépide Belsunce. Cette réponse est du 18 octobre.

« Il est vrai, Monsieur, qu'étant enveloppé, depuis quatre mois, des ombres de la mort, voyant sans cesse des morts et des mourants, voyant chaque jour abattre à mes côtés tout ce qui m'approche de plus près, ayant perdu tous ceux qui avaient le zèle de venir avec moi confesser les malades exposés dans les rues, il est vrai que je suis digne de toute votre compassion; mais je ne mérite en aucune façon toutes les louanges que vous me prodiguez. Je n'ai point vendu ma crosse, ni ma vaisselle, comme on vous l'a dit, Monsieur, je n'ai point de vaisselle et je n'ai trouvé aucun acheteur de mes meubles et autres choses que je voulais vendre. Ainsi il m'a fallu recourir à d'autres moyens qui m'ont été plus efficaces, et mes proches et mes amis ont eu la charité de me secourir dans cette triste occasion; de sorte que, par la grâce du Seigneur, quoique je n'aie pu rien vendre, j'ai pu secourir mon cher troupeau... Le mal, Dieu merci, est très-considérablement diminué je vais partout à présent sans trouver de cadavres ni de malades à confesser, rien que des aumônes à faire, et nous commençons à respirer; mais la main du Dieu

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