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L'hospice de Nogent-le-Rotrou, que Sully dota, et qui garde ses cendres, envoya dans ce but quelques secours. De tout l'héritage du ministre et de l'ami de Henri IV, la part qu'il a faite aux malheureux est la seule dont une parcelle soit arrivée à sa postérité.

C'étaient là cependant des ressources insuffisantes. Quelques cœurs généreux ont imaginé d'y suppléer par la voie des souscriptions, et un prélat bienveillant a offert un pieux asile; mais il fallait les forces vives de l'éducation pour donner à l'esprit et à l'âme de cet enfant la trempe qu'exige sa destinée. Le roi vient de lui accorder une bourse au collége de Henri IV. Il l'a fait pour la mémoire du ministre qui eut la fortune de bien servir la France et de laisser un nom respecté; il l'a fait pour le vertueux serviteur qui a mérité cette consolation, de voir son élève mis en demeure de remonter, s'il le veut et s'il le sait, au rang dont il est déchu.

Martin, votre tâche est accomplie vous avez bien mérité de tous les gens de bien... Vous avez montré à notre siècle un spectacle toujours trop rare la reconnaissance, la fidélité, le respect.

LE BATELIER DE MONTEREAU, MATHIEU DIT BOISDOUX.

PRIX MONTYON, 1840

ATHIEU, dit Boisdoux, est un brave homme rangé, sobre, laborieux, qui travaille le jour, qui travaille la nuit, pour nourrir sa mère et élever ses enfants. Son seul désordre est de prodiguer sa vie, cette vie si nécessaire à tous les siens, pour le bien de ses semblables. Qu'il découvre au loin la lueur d'un incendie, il V court, et vous pouvez compter qu'une fois arrivé, il sera partout où seront les grands services à rendre, les grands dangers à braver. Qu'un accident arrive sur la Seine ou 'Yonne, qu'un enfant, qu'un homme crie au secours, si

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loin que soit Boisdoux, il l'entendra, et l'enfant, I homme sera sauvé. On ne compte plus les incendies où a éclaté son courage, les victimes qu'il a disputées aux deux rivières de sa cité. Un jour, leurs flots débordés couvraient au loin la plaine plusieurs quartiers étaient inondés. Les habitants, réfugiés sur les hauteurs, ne communiquaient plus qu'en bateau avec leurs maisons envahies. Trois d'entre eux, qui étaient allés ainsi voir les ravages de l'inondation, remontent dans leur batelet, et du pied le poussent au large. Ils n'avaient ni croc ni rames; ils s'en aperçoivent quand il n'est plus temps le fleuve les emporte. Le pont est devant eux, dont les arches, pour la plupart, sont déjà cachées sous les eaux. Ils vont y être brisés... Ils crient au secours. Boisdoux les a entendus... Que fera-t-il? Ira-t-il chercher son bateau? Point le temps presse. Il se précipite, il nage: il fera ensuite comme il pourra. Ce qu'il fit, le voici :

Les malheureux allaient toujours... Il était loin d'eux; il les voyait fuir, arriver au pont. Quelles angoisses pour Boisdoux!... Enfin, il a tant peur pour ces trois hommes qui vont périr, il fait de tels efforts, qu'il est arrivé il a rejoint le bateau. A quoi bon pour un autre que Boisdoux?... Avec ce flot em

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porté, ce pont qu'on touche, sans rames, sans aviron, que

peut-il de plus que ces trois hommes, qui n'ont rien pu pour eux-mêmes?... Il a de plus qu'eux le courage le plus intelligent, celui qui se dévoue : il y a là une lumière et une force divines. Boisdoux raidit son bras contre le batelet pour l'arrêter; il se saisit de la corde qui pend, lutte contre le flot, et, comme il y faut ses deux bras, tant le flot est terrible, il prend de ses dents la corde qui les doit sauver. Dieu aidant, il les sauve, en effet, à force de courage et de fatigue; il arrive au rivage épuisé, mais content les trois hommes lui ont dû la vie.

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Une autre fois, le 7 novembre 1840, le coche d'Auxerre, ce coche antique qui a eu dans sa carrière vénérable une fortune qu'on ne sait pas beaucoup, celle de mener à Paris, la première fois qu'il y vint, un jeune officier de l'école de Brienne qu'on appelait Napoléon Bonaparte, le coche d'Auxerre descendait sur Paris, ne portant pas probablement d'aussi grandes destinées, mais réservé à une grande catastrophe et portant la gloire à Boisdoux. Le flot, cette fois encore, était rapide. Le coche va droit au pont, et manque l'arche. Un grand cri se fait entendre... Il était brisé, englouti. Boisdoux a tout vu, tout entendu il s'est élancé, il court, jette sa veste; « car, a-t-il dit dans son interrogatoire, je pensais bien qu'il y aurait de la besogne pour moi. » Il y en avait en effet. Le coche portait vingt-trois passagers; ils étaient presque tous dans la salle commune. Le navire est englouti, sauf l'arrière, qu'on voit encore à fleur de l'eau. Boisdoux y est arrivé: il est sur ce qui reste du pont; et comme il s'enquiert des moyens de sauver ces malheureux, un homme qui se tenait cramponné dans l'eau jusqu'à la ceinture lui répond qu'ils sont perdus... Qui pourrait penser à les sauver? « Moi, dit Boisdoux : je suis venu pour cela. » Et il cherche les issues. Une de ces fenêtres de navire qu'on appelle des sabords était seule à moitié hors de l'eau. Elle est trop étroite pour lui donner passage; mais tout autre moyen est impossible: il y passera. Vous l'auriez vu faire effort pour forcer l'entrée du sabord, pour plonger dans le gouffre où ces infortunés luttent contre la mort, comme d'autres eussent fait pour en sortir. Enfin, il entre, il est dans

cet abime; il saisit une des victimes, une jeune fille, l'amène au sabord, la fait passer, respire et se replonge dans le gouffre. Il ramène un jeune homme encore vivant, puis encore une jeune fille, puis une autre celle-ci ne vivait plus. Le temps s'écoulait dans cette lutte héroïque... La mort, malgré tout, allait plus vite que Boisdoux. Cependant il recommence; mais c'était en vain... Il n'y avait plus là d'être vivant que lui. Il faut qu'il se contente de ces trois vies qu'il a sauvées, de ces deux jeunes filles, de ce jeune homme, qui n'ont revu que grâce à lui la clarté du jour.

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Enfin, il se décide à revenir à la lumière, à sortir de l'eau, des ténèbres, de ce tombeau si rempli. Il était épuisé de fatigue il fallut qu'on vînt à son aide, qu'on le tirât avec effort de ce sabord qu'il avait franchi tout seul quand il avait fallu se dévouer, devant lequel il faiblissait quand il n'avait plus qu'à se sauver lui-même.

DEVOUEMENT HEROÏQUE.

PRIX MONTYON. 1830

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IMON ALBOUY exerce dans la ville de Rodez la profession de tisserand, ainsi que son père septuagénaire, auquel son travail fournit les moyens d'existence.

Revenant chez lui vers les sept heures du soir, il fit la rencontre d'un chien enragé qui avait déjà blessé grièvement plusieurs personnes. Cet animal, qui s'avan çait rapidement, se mit à le poursuivre. Albouy, après s'être adossé contre un mur, l'attendit avec courage; et le chien, s'étant jeté sur lui, le mordit cruellement. Cependant le blessé parvint à se rendre maître de l'animal furieux, et se mit à crier au secours. « Je ne le lâcherai pas, dit-il je veux éviter qu'il fasse d'autres malheurs...

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