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E tirage de la milice se faisait en Poitou vers la fin d'avril 1776. Deux veuves de la paroisse de Voulême et de celle de Saint-Macoux avaient chacune, entre Sautres enfants, un fils aîné d'âge et de

taille à tirer, mais dont elles ne pouvaient se passer pour la culture des terres qu'elles faisaient valoir. Plongées dans l'affliction, elles conjuraient le ciel de ne pas permettre que le sort tombât sur leurs fils. Les jeunes gens des deux paroisses virent le triste état de ces femmes, et en furent touchés. De concert ils courent chez le commissaire, et le conjurent de vouloir bien exempter deux de leurs camarades, sans toutefois contrevenir à l'ordonnance. Le commissaire leur représente que la chose est difficile. « Point du tout, Monsieur, répondirent-ils; il n'est rien de plus aisé... Mêlez ensemble les billets blancs et les billets noirs, et nous en faisons notre affaire. » Ils tirent deux billets blancs, et ils les donnent aux fils des deux veuves. « Allons, monsieur le commissaire, continuent-ils d'un ton plus gai, c'est à nous, à présent... La bonne ouvre est faite, et nous voilà contents. >>

LES TROIS FRÈRES CONTÉ.

PRIX MONTYON, 1833.

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IEN des hommes jouissent de l'estime publique et de hautes récompenses, qui sont fort loin de les mériter autant que les hommes simples et courageux dont nous allons raconter brièvement les belles actions ce sont trois frères animés au

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même degré de la passion du dévoue

ment. Leur nom est Conté; le théâtre de leurs travaux, Cahors; le fleuve, ou plutôt le torrent contre lequel ils passent leur vie à lutter, le Lot. Depuis douze ans qu'ils habitaient sur le port, ils avaient déjà retiré des flots, isolement, vingt-six personnes, dont vingt-quatre vivantes, lorsque, pendant l'enquête, une vingt-septième dut la vie à leur courage. Mais ce n'est pas tout. Le 28 janvier 1827, une barque montée par six hommes, dont aucun ne savait nager, va se briser contre une pile du pont. Le courant les emporte sur quelques débris, et les jette contre la chaussée, où un accident les tient un moment suspendus au-dessus d'une chute profonde. Nul secours n'est possible tous les bateliers accourus renoncent à rien tenter... Mais voilà que deux des Conté arrivent. Ils s'élancent dans leur bachot, franchissent audacieusement la chute, vont recevoir deux des mariniers que le flot emportait, reviennent disputer les quatre autres au torrent, et les sauvent avec un bonheur qui tient du miracle comme leur courage.

En 1836, l'aîné, qui est teinturier, travaillait, couvert de sueur, parmi les chaudières bouillantes. On crie que le jeune Lartigue se noie... (Le jeune Lartigue est fils d'un ennemi du père des Conté.) Vous pensez bien que Conté s'élance. Il se blesse le pied sur le rivage; mais il peut marcher encore... Il

arrive, poursuit dans le courant rapide le jeune Lartigue, le saisit, le perd, le retrouve, et, fatigué du fardeau après cette longue lutte, il est entraîné à son tour. Par bonheur, un autre des Conté est arrivé... A qui va-t-il d'abord?... Au jeune Lartigue, et tous deux sont sauvés.

Une autre fois, le Lot s'enfle pendant la nuit, franchit toutes ses barrières, envahit un quartier populeux, et, grossissant toujours, laisse voir au lever du soleil la foule des malheureux qui se sont réfugiés, d'étage en étage, sur les toits de leurs maisons, et qui n'ont plus d'asile. L'aîné des Conté était à l'armée; mais ils sont toujours deux pour se dévouer, car le troisième a treize ans maintenant il peut imiter les deux autres. Il le fait. Le torrent était furieux. Les deux intrépides bateliers lui disputent une à une toutes ses victimes. Plus de soixante lui sont arrachées par eux; ils ne se retirent que quand la tâche est finie, épuisés de fatigue, saisis déjà par une fièvre brûlante qui, pendant deux mois entiers, fait craindre pour leur vie. Sur ces entrefaites, on crie qu'une vieille mendiante de soixante-dix ans est tombée dans le Lot. L'un des Conté l'a entendu, et déjà l'intrépide jeune homme, oubliant sa vie menacée, est allé redemander aux flots quelques jours que la pauvre vicille femme pouvait encore passer sur la terre.

LA SOEUR MARTHE.

PORTRAITS ET HISTOIRES DES HOMMES UTILES.

NNE BIGET naquit, le 26 octobre 1748, à Thoraise, joli village situé sur les rives 'du Doubs, à peu de distance de Besançon. Elle montrait, dès son enfance, un naturel affectueux et compatissant, qui la faisait chérir de tous ceux qui l'approchaient. Un jour, portant de petits gâteaux à ses sœurs, qui étaient en pension à Besançon, elle les donna tous à de pau

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vres prisonniers qu'elle rencontra sur le pont de la ville.

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Quand le moment vint de choisir un état, elle se fit recevoir sœur converse au couvent de la Visitation. C'est dans l'exercice de ces fonctions que sœur Marthe reçut le nom de religion qu'elle devait rendre si cher à la reconnaissance publique. Dès les premiers temps de son entrée au couvent, elle ajoutait déjà des œuvres de surérogation à l'observance de la règle. L'archevêque de Besançon (Durfort) lui avait permis de visiter les prisonniers, qu'elle appelait ses amis. Elle leur consacra tous ses soins quand la Révolution eut détruit l'ordre de religieuses auquel elle appartenait. Soeur Marthe vivait à Besançon de la modique pension d'ancienne religieuse, s'élevant. à trois cent trente-trois francs, et était propriétaire d'une petite maison. C'était avec de si faibles ressources que cette femme charitable était devenue une providence pour les pauvres. Sa demeure était le rendez-vous des vieillards, des enfants et des malades de la classe indigente; elle leur distribuait des aumônes et des aliments ils trouvaient dans la sœur Marthe une infatigable pourvoyeuse. Elle se multipliait pour secourir, et sa charité ne se rebutait d'aucun obstacle; elle allait, quêtant pour les pauvres, dans toutes les maisons; et

telle était la vénération qu'elle inspirait, qu'on eût rougi de ne pas s'associer par quelque offrande à son admirable charité. Ses soins ne se bornaient pas aux seuls pauvres de la ville sœur Marthe allait dans les villages environnants visiter, consoler et soigner les malades; elle leur fournissait des médicaments, et préparait les boissons qui leur étaient ordonnées; elle bravait toutes les fatigues : ni l'ardeur de l'été ni la rigueur de l'hiver ne pouvaient ralentir son zèle. Quelle que fût l'intensité du froid, jamais elle n'allumait de feu pour elle : cette dépense eût été un tort fait à ses malheureux, disait-elle. Sa seule nourriture fut, pendant onze ans, du pain le plus grossier et du lait. Cette frugalité extrême lui permettait de faire plus de bien.

Lors d'un incendie qui réduisit en cendres, le 23 mars 1805, la moitié d'un hameau près de Besançon, la sœur Marthe fut des premières à se rendre sur ce théâtre de désolation. Son exemple, plus puissant encore que ses exhortations, excitant et soutenant le courage des travailleurs, contribua puissamment à arrêter les progrès du feu; et sa présence d'esprit sauva une partie des habitations. Une chaumière en proie aux flammes était habitée par une femme nommée Catherine Simon, nourrice de deux enfants; et l'incendie avait si promptement et si complétement enveloppé cette demeure, que la malheureuse nourrice n'avait pu se soustraire par la fuite au sort affreux qui la menaçait. Sa perte et celle des deux petits enfants paraissaient inévitables personne n'osait se hasarder à essayer de leur porter quelque secours. Sour Marthe, témoin de cette scène déchirante, priait, suppliait, menaçait même; mais c'était en vain. Elle offrait tout ce qu'elle possédait, et même jusqu'à sa croix d'or, à celui qui tenterait de sauver ces trois victimes. Enfin, ne comptant plus que sur son propre courage, et sans calculer le danger, sœur Marthe, malgré son âge, s'élance au milieu des débris enflammés, et, comme protégée par un prodige de la Providence, sans autre accident que quelques brûlures aux mains et au visage, elle parvient à arracher aux flammes la pauvre femme et les deux enfants.

Ce fut deux années après cet incendie, le 7 août 1807, que la sœur Marthe, étant allée cueillir des plantes sur les bords

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