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promptement préparer un dîner pour ses hôtes. En attendant le repas, il leur présente des rafraîchissements, et fait retomber la conversation sur la perte dont l'un d'eux s'est plaint. Il ne doute point que ce ne soit à lui qu'il doive une restitution. Il va chercher le nouveau recteur, l'informe de ce qu'il vient d'apprendre, l'invite à partager le dîner de ses hôtes et à leur tenir compagnie. Celui-ci l'accompagne, et ne cesse d'admirer la joie que ce bon paysan a d'une découverte qui doit le ruiner.

On dîne. Les voyageurs, satisfaits, ne savent comment reconnaître l'accueil que leur fait Perrin; ils admirent son petit ménage, son bon cœur, sa franchise, l'air ouvert de Lucette, sa candeur, son activité; ils caressent les enfants. Perrin, après le repas, leur montre sa maison, son potager, sa bergerie, ses bestiaux, les entretient de ses champs et de leur produit. « Tout cela vous appartient, dit-il ensuite au premier voyageur. Lorsque ce que vous avez perdu est tombé entre mes mains, voyant qu'il n'était pas réclamé, j'en ai acheté cette ferme, dans le dessein de la remettre un jour à celui qui y a de véritables droits... Elle est à vous. Si j'étais mort avant de vous trouver, M. le recteur a un écrit qui constate votre propriété.

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L'étranger, surpris, lit l'écrit qu'il lui remet; il regarde Perrin, Lucette et ses enfants. « Où suis-je, s'écrie-t-il enfin, et que viens-je d'entendre?... Quel procédé! quelle vertu ! quelle noblesse! et dans quel état les trouvé-je!..... Avez-vous quelque autre bien que cette ferme? ajouta-t-il.-Non; mais si vous ne la vendez pas, vous aurez besoin d'un fermier, et j'espère que vous me donnerez la préférence.—Votre probité mérite une autre récompense... Il y a douze ans que j'ai perdu la somme que vous avez trouvée... Depuis ce temps, Dieu a béni mon commerce: il s'est étendu, il a prospéré; je ne me suis pas longtemps aperçu de ma perte. Cette restitution, aujourd'hui, ne me rendrait pas plus riche... Vous méritez cette petite fortune... La Providence vous en a fait présent ce serait l'offenser que de vous l'ôter... Conservez-la, je vous la donne; vous pouviez la garder: je ne la réclamais point. Quel homme eût agi comme vous? »

Il déchira aussitôt l'écrit qu'il tenait dans ses mains. «< Une si belle action, ajouta-t-il, ne doit point être ignorée... Il n'est pas besoin de nouvel acte pour assurer ma cession, votre propriété et celle de vos enfants...; je le ferai cependant écrire, pour perpétuer le souvenir de vos sentiments et de votre honnêteté. >>

Perrin et Lucette tombèrent aux pieds du voyageur. Il les releva et les embrassa. Un notaire, qui fut demandé, écrivit cet acte, le plus beau qu'il eût rédigé de sa vie. Perrin versait des larmes de tendresse et de joie. « Mes enfants, s'écriait-il, baisez la main de votre bienfaiteur... Lucette, ce bien est à nous, et nous pouvons en jouir sans trouble et sans remords. »

LES GRENADIERS FRANCAIS

EXTRAIT DU PEUPLE INSTRUIT PAR SES PROPRES VERTUS

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ON affreux incendie consuma plusieurs maisons de Nanci en 1766. Le fléau était d'autant plus rapide et plus terrible, qu'il attaquait des maisons du peuple, où l'indigence avait presque partout substitué le bois à la pierre. Un vent très-violent hâtait encore les progrès du désastre. Les flammes sortaient par les toits, toutes les poutres étaient embrasées; plusieurs pignons, déjà renversés dans les cendres, annonçaient l'écroulement général et prochain. Les pompes demeuraient inutiles, malgré leur activité, et ni pompiers ni personne n'osaient se hasarder davantage sous ces murailles, où l'on n'avait plus qu'un tombeau à espérer. Au milieu des cris du désespoir, des hurlements de l'avarice, des désordres d'une populace effrayée, une femme attirait tous les yeux par le caractère auguste de sa douleur: c'était une mère. La malheureuse, en larmes, voyait les tourbillons de feu s'avancer vers une chambre du quatrième étage, où la frayeur, le tu

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Perrin et Lucette tombèrent aux pieds du voyageur; il les releva

et les embrassa.

multe et la fatalité, trompant sa tendresse, lui avaient fait abandonner dans leurs berceaux deux enfants qu'elle n'aimait que davantage pour n'avoir pas de pain à leur donner. A genoux, les mains au ciel, la mort au cœur, les yeux fixés sur les flammes, qui gagnent sans cesse, et la brûlent sans la toucher, elle désigne l'endroit, implore du secours, et n'excite qu'une vaine pitié, que la terreur et le danger glacent aus

sitôt.

Le régiment du Roi (infanterie) était en garnison dans la ville. Deux grenadiers issus de la même mère s'approchent de la chambre où sont déposés ces infortunés. C'est sur les poutres brûlantes qu'ils volent à une gloire aussi vraie et peut-être plus douce que celle qui leur est déjà connue. Soudain ils disparaissent dans les nuages de fumée qui s'élèvent. A peine sont-ils entrés que la moitié de la maison s'écroule... La mère

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tombe, et croit tout perdu... Les mêmes braves reparaissent, leurs vêtements à demi brûlés, leurs cheveux roussis jusqu'à la racine, et rendant chacun un enfant à cette mère, qui se relève aux acclamations du peuple, au bruit de l'édifice qui s'abîme en entier, et à la vue de ses libérateurs.

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