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Saint Vincent de Paul prèchant devant les dames de la Cour.

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abrégeait leurs jours. Ceux qui échappaient à ce danger étaient ou donnés à qui les voulait prendre, ou vendus à si bas prix, qu'il y en eut pour lesquels on ne paya que vingt sous. Ce qui était plus déplorable, c'est que ceux qui n'avaient pas reçu le baptême mouraient sans le recevoir. La veuve de Saint-Landry avoua qu'elle n'en avait jamais ni baptisé ni fait baptiser

aucun.

La malheureuse situation de ces enfants trouvés toucha sensiblement le cœur de saint Vincent. La difficulté était d'y porter remède la charité du saint l'entreprit, et ses pieux efforts furent couronnés de succès. Il pria d'abord quelques dames de son assemblée d'aller en la maison de la Couche (c'est le nom de celle qu'occupait la veuve), et de voir si l'on ne pourrait point arrêter ou du moins diminuer un aussi grand mal. Ces dames furent tellement effrayées du spectacle qu'offrit à leurs yeux cette multitude d'enfants presque abandonnés, que, ne pouvant se charger de tous, elles voulurent au moins se charger de quelques-uns pour leur sauver la vie, et elles en tirèrent douze au sort. On loua, en 1638, une maison à la porte Saint-Victor pour les loger, et Mlle Le Gras, qui vouait sa vie aux bonnes œuvres, en prit soin avec les filles de la charité. On essaya d'abord de les nourrir avec du lait de chèvre et de vache; mais dans la suite on leur donna des nourrices. Aux premiers enfants ces vertueuses dames en joignaient peu à peu quelques autres, selon les moyens qu'elles avaient. La différence qui se trouvait bientôt entre ceux de la porte SaintVictor et ceux qui restaient à la Couche attendrissait en faveur de ces derniers; mais il n'était pas possible de les adopter tous. Cependant saint Vincent priait Dieu et le faisait prier de lui manifester ses desseins, d'ouvrir le trésor de sa miséricorde, et de faciliter le succès d'une entreprise qui paraissait encore plus nécessaire qu'elle n'était difficile.

Enfin, après bien des prières, car c'était toujours par là que saint Vincent voulait que l'on commençât, après bien des conférences, on tint, en 1640, une assemblée générale. Le saint y exposa d'une manière si pathétique le besoin de ces innocentes créatures, la gloire qui reviendrait à Dieu de l'éducation

chrétienne qu'on leur pourrait donner, la bénédiction et les récompenses qui suivraient une si bonne œuvre, que toutes les dames qui étaient présentes formèrent la résolution de se charger du soin de ces pauvres enfants. Le serviteur de Dieu. applaudit à ce généreux dessein; mais comme il était aussi prudent que zélé, il voulut qu'on n'entreprît rien que par manière d'essai.

Pour diminuer la dépense, outre l'argent qu'il fournissait lui-même, selon sa coutume, il représenta à Anne d'Autriche l'extrême nécessité des enfants exposés, et cette princesse obtint du roi douze mille livres de rente. Avec ce secours, l'établissement se soutint pendant quelques années; mais le nombre de ces enfants, qui croissait tous les jours, et dont l'entretien allait au delà de quarante mille livres; la crainte d'une révolution dans l'État, que les factions commençaient à faire entrevoir, amortirent le courage des dames de la charité. Elles dirent hautement qu'une si excessive dépense passait leurs forces, et qu'elles ne pouvaient plus la soutenir. Ce fut pour prendre un dernier parti que saint Vincent indiqua, en 1648, une assemblée générale. Les dames les plus illustres de la ville et de la cour s'y trouvèrent. Le saint y mit en délibération si l'on continuerait la bonne œuvre qu'on avait commencée, et, après avoir fait valoir toutes les raisons que sa pieuse charité lui suggérait, n'étant plus maître de ses moyens, et prenant un ton plus tendre et plus animé, il conclut en ces termes : « Mesdames, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants; vous avez été leurs mères selon la grâce depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnées voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner... Cessez d'être leurs mères pour devenir à présent leurs juges leur vie et leur mort sont entre vos mains... Je m'en vais prendre les voix et les suffrages... Il est temps de prononcer leur arrêt, et de savoir si vous ne voulez plus avoir de miséricorde pour eux. Ils vivront si vous continuez d'en prendre un charitable soin, et, au contraire, ils mourront et périront infailliblement si vous les abandonnez l'expérience ne vous permet pas d'en douter. >>

A ces paroles, l'assemblée ne répondit que par des larmes : l'onction de l'Esprit saint s'était insinuée dans tous les cœurs.

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Il fut arrêté à l'unanimité que, à quelque prix que ce fût, on continuerait ce qu'on avait si bien commencé. En conséquence, on demanda et l'on obtint du roi les bâtiments de Bicêtre, ancien château qui avait été construit sous le règne de Charles V, et qui, sous Louis XIII, servait d'hôpital aux soldats invalides. On y transporta les enfants sevrés; mais comme on reconnut bientôt que l'air y était trop vif pour eux, on les ramena à Paris, dans le faubourg de Saint-Lazare, où dix ou douze filles de la charité se chargèrent de leur éducation. On leur acheta, dans la suite, deux maisons, l'une dans le faubourg Saint-Antoine, l'autre devant l'Hôtel-Dieu. La libéralité de Louis XIV augmenta leurs revenus plus tard.

Aujourd'hui les enfants trouvés sont recueillis en France dans plus de cent hospices, et y reçoivent les soins les plus tendres des sœurs de la charité, dont l'institution est due au même saint Chaque année, un grand nombre y sont admis, et environ cent cinquante mille sont élevés et placés aux frais de ces établissements.

Le temps, qui efface peu à peu le souvenir des bienfaits ordinaires, n'altérera jamais, dans les enfants exposés, la mé

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