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rêtée, tandis qu'une barque détachée du navire allait reconnaître ce qu'on n'avait fait qu'entrevoir. Les flots recommencent à s'agiter; on distingue enfin deux hommes, dont l'un, qui tenait l'autre embrassé, s'efforçait de nager vers la barque. On fait force de rames pour voler à leur secours. Antonio est près de laisser échapper Roger... Il entend qu'on lui crie: << Bon courage! » Il serre son ami, fait de nouveaux efforts, et saisit d'une main défaillante un des bords de la barque. Il est près de retomber on les retient tous deux. Les forces d'Antonio étaient épuisées; il n'a que le temps de s'écrier: « Qu'on porte du secours à mon ami!... Je me meurs... » Et les ombres de la mort se répandent sur son visage. Roger, qui était évanoui, ouvre les yeux, lève la tête, et voit Antonio étendu à ses côtés, et ne donnant plus aucun signe de vie. Il s'élance sur son corps, l'embrasse, l'inonde de ses larmes, pousse mille cris. «Mon ami, mon bienfaiteur, c'est moi qui suis ton assassin!... Mon cher Antonio, tu ne m'entends plus... C'est donc là la récompense de m'avoir sauvé la vie!... Ah! qu'on se hâte de me l'ôter, cette vie malheureuse! Je ne puis plus la supporter : j'ai perdu mon ami!..... »

Roger veut se poignarder : on lui arrache une épée dont il s'était saisi. Il raconte, au milieu des sanglots, les détails de son aventure aux gens de la barque. Il retombait toujours sur le corps d'Antonio. «Ne m'empêchez point de mourir... Oui, mon ami, je vais te suivre, ajoutait-il en couvrant ce corps pâle de ses baisers et de ses larmes. Au nom de Dieu, laissezmoi mourir!..... » Le ciel, qui sans doute est touché des larmes des hommes lorsqu'elles sont sincères, semble donner une marque signalée de sa bonté en faveur d'un sentiment si rare. Antonio pousse un soupir, Roger jette un cri de joie. On se réunit à lui pour donner du secours au malheureux Espagnol. Enfin il lève un œil mourant; ses premiers regards cherchent à se fixer sur le Français. A peine l'a-t-il aperçu qu'il s'écrie : «J'ai pu sauver mon cher Roger!... » La barque arrive au vaisseau. Ces deux hommes inspirent une sorte de respect à l'équipage tant la vertu a de droits sur tous les cœurs! Ils excitent un intérêt puissant tous se disputent le plaisir de les obliger.

Roger, arrivé en France, courut dans les bras de son père, qui pensa expirer d'un excès de joie; et il fut nommé gondolier de Versailles. L'Espagnol, à qui on avait offert un poste très-avantageux pour un homme de son état, aima mieux rejoindre sa femme et ses enfants; mais l'absence ne diminua rien de son amitié il demeura en correspondance de lettres avec Roger. Ces lettres sont des chefs-d'œuvre de naïveté et de sentiment. On pourra un jour les rendre publiques pour l'honneur d'un sentiment qui a produit tant d'actions héroïques.

PIERRE GUILLOT.

PRIX MONTYON, 1838.

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E 15 septembre 1837, le bateau à vapeur le Vulcain descendait vers Nantes. Une catastrophe qui fit un grand nombre de victimes arrêta sa course. Le bruit public avait appris aux magistrats qu'au milieu de tous les malheurs s'était rencontré un rare dévouement; on ne savait rien de plus. Il a fallu qu'une compagnie qui fait comme nous, qui recherche les bonnes actions pour les récompenser en les honorant, la Société industrielle de Nantes, se livrât à une minutieuse enquête, fit subir de véritables interrogatoires, et employât, pour découvrir la vertu, les ressorts jusqu'à présent mis en œuvre contre le crime. Voici ce qu'elle a trouvé :

Arrivé près l'Ingrande, le Vulcain s'était approché de terre pour embarquer des voyageurs. Dans ce mouvement, il touche, ses roues s'embarrassent, sa chaudière se déchire, et la vapeur épanche de tous côtés son flot brûlant. Un marinier que ce flot redoutable atteint et blesse sur le pont, pense aussitôt à cinq enfants avec lesquels, une minute auparavant, il jouait dans la salle commune. Ce brave homme, qui s'appelle Pierre Guillot, n'a pas d'enfants, mais il aime les enfants. Il avait entendu ceux-là pleurer, et il était allé naturellement

aider leur bonne et leur mère à les consoler. Il les tenait sur ses genoux quand la secousse fatale l'avait rappelé précipitamment à son poste. Les infortunés vont périr... Il veut retourner à eux l'escalier, envahi, avait disparu dans l'eau qui brûle, dans la vapeur qui asphyxie et qui dévore. Vainement il met ses mains sur sa figure avancer d'un pas est impossible. Et cependant, comme il l'a répété dans son interrogatoire, il y avait là une mère et cinq enfants qui allaient être brûlés tout vivants!... « Cette idée-là, dit-il, me tue. »

Il va aux sabords, se penche, et aperçoit la mère. Vous l'auriez vu se suspendre de son pied brûlé à la rampe du

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bâtiment, et d'un bras robuste enlever cette infortunée, mais sans la sauver : elle était frappée à mort. Il revient, voit la servante, et veut la saisir... Elle le repousse : « Non, non! s'écrie-t-elle à moitié calcinée, sauvez mes enfants! » Vous pensez que c'est là le trait sublime auquel nos palmes s'adressent?... Hélas! non le sacrifice a été consommé. Comme

nous l'a écrit la Société industrielle de Nantes, c'est de Dieu que cette admirable fille est allée recevoir sa couronne.

Ah! du moins, laissez-nous un moment nous arrêter sur cette mort, qui égale tous les martyres, sur cette tendresse maternelle d'une étrangère qu'aucune tendresse maternelle ne surpassera!... Nous tous, qui appelons près de nos enfants d'autres soins à notre aide, ne sentons-nous pas qu'on respire en apprenant qu'il y a là des affections égales aux nôtres, une sollicitude que ne paiera aucun salaire, des cœurs d'où pourrait s'échapper ce cri: «Sauvez, sauvez mes enfants? >>

Qu'étaient-ils devenus, en effet?... Faut-il vous dire qu'ils étaient aussi les enfants adoptifs de Guillot?... Il s'est élancé par le sabord, il a plongé dans la fournaise ardente; il y fait deux voyages. Les cinq enfants sont rendus à la lumière, leur bonne l'est à son tour; mais Dieu n'a pas fait de miracle trois enfants sont morts avec leur bonne et leur mère; deux seulement vivront.

Maintenant, pensez-vous que l'homme qui porte à la fois cette tendresse et cet héroïsme dans le cœur ne compte qu'un acte de dévouement en sa vie?... Sa vie est pleine de traits semblables. Une fois soumis à l'interrogatoire, Guillot cut à rendre bien des comptes : « A Ancenis, n'avez-vous pas, au prix des plus grands dangers, éteint un incendie?-Oh! moins que rien; c'est à peine si je m'en souviens... Il doit y avoir quatre ans de cela. » Et comme on lui demande s'il n'a pas d'autres bonnes actions à confesser : « Je ne me rappelle rien de plus. Mais à Nantes, le 7 septembre 1830, par une nuit obscure et malgré mille obstacles, n'avez-vous pas sauvé une femme qui se noyait dans la Loire? » Et il fait ingénûment son récit. «Mais encore à Nantes, mais ensuite au Pont-de-Cé, n'avez-vous pas sauvé trois hommes en vous exposant à périr avec eux? » Et toujours ses aveux, ainsi obtenus, venaient faire admirer tout ce qu'il y a de simplicité naïve dans cet héroïsme qui se multiplie et qui s'ignore!

FONDATION DES HOSPICES POUR LES ENFANTS TROUVES,

PAR SAINT VINCENT DE PAUL.

« les pauvres enfants que leurs parents avaient abandonnes sont adoptés par la Charité »

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E fut en 1648 que saint Vincent de Paul, cet apôtre de la charité chrétienne, fonda le premier hospice pour les enfants trouvés.

La ville de Paris, dont l'immense étendue renferme près d'un million d'habitants, réunit dans son sein toutes les extrémités le luxe et les richesses y marchent à côté de la misère et de l'indigence; les vertus les plus sublimes s'y rencontrent avec les vices les plus honteux. Le désordre des mœurs et quelquefois la pauvreté font abandonner chaque année une foule d'enfants qui, du temps du saint prêtre, perdaient la vie avant que de l'avoir connue, ou ne la connaissaient que pour en éprouver toutes les rigueurs. On les exposait ou à la porte des églises ou dans les places publiques. L'unique bien qu'on leur fît était de les faire enlever par un commissaire du Châtelet. On les portait chez une veuve de la rue Saint-Landry, qui, avec deux servantes, se chargeait du soin de leur nourriture; mais comme le nombre de ces enfants était grand, et que les charités étaient médiocres, cette veuve, faute d'un revenu suffisant, ne pouvait ni entretenir assez de nourrices pour les allaiter, ni élever ceux qui étaient sevrés. Aussi la plupart de ces pauvres enfants mouraient de langueur. Souvent même les servantes, afin de se délivrer de l'importunité de leurs cris, leur faisaient prendre, pour les endormir, un breuvage qui

Extrait de la Vie de saint Vincent de Paul, publiée à Nanci, en 1748, in-40, t. Jer, pag. 459.

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