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En 1787, les possesseurs du château avaient assuré des secours réguliers aux pauvres et aux infirmes de Leschelle. Convaincue que toute la puissance d'un acte gît dans sa moralité plutôt que dans son accomplissement matériel, madame d'Hervilly appliqua tous ses soins à rechercher les moyens les plus sûrs d'obliger les malheureux, sans les abaisser. Ayant reconnu depuis longtemps que la simple aumône dégrade souvent l'homme et l'encourage à l'oisiveté, elle donnait ordinairement à son bienfait la forme ou au moins l'apparence d'un salaire, et avait toujours du travail pour les bras valides, et un simulacre d'occupation pour les vieillards et les gens dépourvus de vigueur. Les enfants des pauvres, et les pauvres eux-mêmes, étaient souvent habillés à ses frais. Elle leur faisait faire, dans la saison rigoureuse, de fréquentes et abondantes distributions de bois. Sa sollicitude entrait dans les plus petits détails; les vieillards et les malades ne recevaient que du bois sec. Elle visitait fréquemment les uns et les autres pour soutenir leur courage et leur ouvrir sa bourse. Elle avait donné ses ordres pour qu'on vînt l'avertir, à toute heure du jour et de la nuit, lorsqu'un indigent avait besoin d'elle. Maintes fois on a vu sortir d'une porte du château, par le froid et l'obscurité, une femme enveloppée d'un manteau, portant une lanterne allumée à la main: c'était la comtesse d'Hervilly qui allait porter des secours et des consolations à une femme en couche ou à un malade nécessiteux.

Dans les temps de cherté de grains et de misère, ses secours en argent et en denrées se multipliaient. Il lui arrivait d'ordonner des délivrances de bois à bâtir pour des malheureux dont les chaumières avaient été dégradées par la tempête, et d'y ajouter quelque argent pour l'achat des pailles de la toiture. Les incendiés ne réclamaient jamais en vain sa bienfaisance, et beaucoup d'entre eux lui ont dû le rétablissement de leurs foyers.

Toujours mue par ce principe, qu'il faut élever l'homme et lui donner le sentiment de sa force en l'aidant, elle favorisait des acquisitions de terrain, livrait, à juste prix, des matériaux de construction, pour assurer un logement aux nécessiteux, et

leur accordait toute facilité de remboursement, à long terme, et sans intérêt.

Son esprit de justice et ses sentiments de charité intervenaient entre le villageois embarrassé et la cupidité de l'homme d'affaires, à la veille de dépouiller sa victime par l'exécution d'un réméré. Elle prévenait ainsi, par un remboursement effectué en temps utile, l'effet désastreux de ces sortes de contrats si fréquents dans les campagnes, et conservait au pauvre le toit de ses pères, avec la portion de terrain qui le faisait vivre.

Madame d'Hervilly a toujours eu un grand nombre de pensionnaires recevant des secours réguliers en argent ou en pain. Elle entretenait continuellement en apprentissage des enfants d'indigents et des orphelins, pour les pourvoir de bons métiers et les mettre à même de secourir leurs parents ou leurs familles adoptives.

Accessible à tous, elle ne se faisait jamais attendre quand on la demandait, dans la conviction où elle était que le temps de ceux qui nourrissaient leur famille de leurs sueurs demandait plus de ménagement que le sien..

Elle sut toujours faire de sa fortune un double instrument de secours; l'un, pour l'âme; l'autre, pour les besoins du corps; employant son argent à donner du pain à ceux qui en manquaient, et son bienfait lui-même à leur inspirer l'amour du travail, l'esprit d'ordre, l'affection de leurs proches, la soumission au devoir, et surtout ces sentiments d'une vraie et constante piété qui sont le plus solide appui dans une vie laborieuse, la plus sûre garantie de la moralité, et la condition la plus efficace du bonheur.

Ses malheurs n'avaient rien enlevé à la douce gaieté de son caractère. Persuadée qu'il faut à l'homme du repos, et même de la joie, que sa vie peut être irréprochable et pure sans être terne et décolorée, elle songeait souvent et donnait une bonne part de son temps aux plaisirs des habitants de Leschelle. Rarement elle était plus heureuse que lorsqu'elle les réunissait et les voyait rire aux représentations du théâtre du châ-. teau, occupé plusieurs fois l'an par ses enfants et par les membres de sa famille.

Aussi, quels sentiments de respect et d'amour elle s'est conciliés dans ce pays!

Aujourd'hui, madame la comtesse d'Hervilly n'est plus; mais son âme s'est perpétuée pour ainsi dire dans sa famille. Ses bonnes œuvres, ses bienfaits si étendus, n'ont point cessé avec sa vie terrestre. Comme elle, sa famille continue de veiller aux besoins physiques et moraux des habitants de Leschelle et des pays environnants; comme elle, sa famille est icibas la Providence visible de tous ceux qui souffrent ou qui ont besoin d'aide, de protection et de bons conseils.

LA PIETE FILIALE.

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION

feu du mont Etna, après avoir renversé tous les obstacles et brisé toutes les digues qui s'opposaient à son passage, sortit un jour avec impétuosité, et se répandit de tous côtés. Ce torrent

portait partout le ravageet la désolation. Les moissons et tous les lieux cultivés d'alentour, les maisons, les forêts et les collines couvertes de verdure, tout était la proie de ce terrible élément. A peine les flammes avaient commencé à se répandre, que Catane se sentit agitée d'un violent tremblement de terre; on vit même qu'elles avaient déjà pénétré dans la ville. Chacun tâche alors, selon ses forces et son courage, d'arracher ses richesses à la fureur du feu. L'un gémit sous le pesant fardeau de son argent; l'autre est si troublé qu'il prend les armes, comme s'il voulait combattre contre cet élément. Celui-ci, accablé sous le poids de ses richesses, peut-être acquises par ses crimes, ne saurait avancer, pendant que le pauvre, chargé d'un fardeau plus léger, court avec une extrême vitesse; enfin, chacun fait, chacun emporte ce qu'il a de précieux; mais tous ne peuvent pas également se sauver; le feu dévore ceux qui sont les plus lents à fuir, et ceux qu'une sor

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