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LES ÉPOUX BACHELARD.

PRIX MONTYON, 1829.

ACHELARD, Pierre, boulanger à Coligny, arrondissement de Bourg, département de l'Ain, et Françoise Poncet sa femme.

Pierre Bachelard a successivement exercé la profession de domestique, d'hôtelier et de boulanger.

Il a passé sa jeunesse au service d'une maison recommandable, et il s'y est ac

quis une telle confiance, qu'à la mort de son maître, il est devenu le dépositaire et le régisseur de la fortune des enfants, sans qu'on ait vu chanceler un moment son respect et sa fidélité.

En quittant cet emploi, son premier soin fut de s'associer une femme vertueuse, et ils entreprirent d'élever une hôtellerie. Comme ils furent bientôt connus pour d'honnêtes gens, leur maison fut fréquentée par les voyageurs; elle était fermée à l'ivrognerie et à la débauche. Les règlements faits pour maintenir l'ordre y étaient observés, et les droits d'octroi et les contributions acquittés avec tant de probité, que notre hôtelier a été honorablement cité dans un mémoire authentique pour être le seul, dans un grand nombre, qui n'eût jamais songé à pratiquer la moindre fraude.

En 1815, les troupes des puissances alliées occupèrent le département de l'Ain; Bachelard et sa femme se virent dépouillés de leurs fourrages, de leurs provisions, et ne purent continuer leur état d'hôtelier.

Bachelard se mit alors à fabriquer du pain.

Lorsqu'on fit un rôle de répartition de secours en faveur de ceux qui avaient souffert de l'invasion étrangère, Bachelard fut

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le premier à renoncer, en faveur des indigents, aux avantages de ce role.

Dans la disette de 1816 et 1817, ce brave homme fut chargé de la fabrication du pain qui était distribué chaque jour par l'autorité locale, et il ne voulut, pour ce travail, entendre parler d'aucune rétribution; il le faisait volontiers, disait-il, pour contribuer au soulagement des pauvres.

L'excès de la fatigue et de la chaleur qu'il eut à supporter lui a fait perdre la vue, il y a dix ans; il continue, tout aveugle qu'il ést, son état de boulanger, et sa femme et lui s'entendent pour faire tout le bien qui est en leur pouvoir; telle est leur conduite depuis quarante ans qu'ils sont en ménage.

En 1828, où le pain éprouva une grande augmentation, les époux Bachelard l'ont donné aux ouvriers de leur commune à cinq et à dix centimes au-dessous du prix qu'on le vendait ailleurs.

Une personne charitable les avait chargés de livrer chaque semaine une certaine quantité de pain à une femme pauvre, âgée et infirme. Apres un certain temps, des circonstances particulières empêchèrent la bienfaitrice de pouvoir continuer son aumône; elle en prévint Bachelard et sa femme, qui, sans rien dire, ne cessèrent point de fournir la même quantité de pain à cette pauvre infirme; et ils lui ont toujours laissé ignorer l'obligation qu'elle leur avait.

La veuve, presque centenaire, d'un ancien militaire, sans fortune, sans parents, dénuée de tout, a reçu pendant trois ans les soins les plus assidus de la femme Bachelard, qui pourvoyait à sa nourriture, à son chauffage, la veillait, et lui a rendu les services du genre le plus pénible et le plus rebutant jusqu'à sa mort arrivée depuis peu.

Enfin, la vie des époux Bachelard est constamment remplie par des actes de charité et de dévouement pour toutes les infortunes.

LES BIENFAITS DU PATRONAGE.

PATRONAGE VILLAGEOIS. MADAME LA COMTESSE D'HERVILLY.

EXTRAIT DES LETTRES SUR LA PICARDIE

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L est difficile de se faire une idée exacte de l'influence salutaire qu'exercent les grands propriétaires sur le bien-être et la moralité des habitants des campagnes, lorsqu'à l'exemple des vertus ils joignent une bienfaisance éclairée et active. Il est utile, sous plusieurs rapports, de faire connaître les services essentiels et variés qu'ils peuvent rendre en acceptant ainsi la mission qu'ils ont reçue de la Providence, et enseignant ainsi le bon emploi qui doit être fait de la fortune. Parmi le grand nombre de personnes que nous pourrions citer et qui peuvent servir de modèle en ce genre, nous nous bornons à en rappeler une dont la mémoire justement vénérée est chère à quelques-uns de nos lecteurs.

Madame d'Hervilly avait trente ans lorsque la Révolution éclata. Mise en prison avec ses trois enfants en bas âge, elle perdit à la fois son père et son oncle sur l'échafaud, son mari à Quiberon. Menacée elle-même, à chaque instant, d'être traduite devant le tribunal révolutionnaire, elle priait Dieu de la laisser vivre pour ses trois filles. Dépouillée de ses domaines, frappée par tous les genres de persécutions et de malheurs, aux prises avec une ruine complète, elle conserva toujours le calme, la confiance et la résolution qui sont le privilége des grandes ames. Elle entretenait sa famille du travail de ses mains, et se condamnait aux privations pour en éviter aux siens. A force de patience, d'activité, d'esprit, d'ordre et d'intelligence, elle parvint à réunir les débris de sa fortune, dont elle considérait, dans ses convictions sociales et religieuses, l'occupation

comme un devoir attaché au poste qu'elle venait de reconquérir avec tant de peine. A mesure qu'elle retrouvait une portion de revenu, elle instituait une pension en faveur d'amis qui, frappés comme elle par l'adversité, n'avaient pu réparer leurs pertes. Dès lors, elle put être l'administrateur du bien des pauvres. C'était sous ce point de vue que la comtesse d'Hervilly envisageait l'existence des grandes fortunes. Orpheline et veuve, dépouillée de toutes ses richesses, elle s'est promptement retrouvée, à force de courage et de bonté, en mesure de répandre et de poursuivre le cours de ses bienfaits en un lieu plein de cruels souvenirs, où toute autre âme fût tombée dans le désespoir et l'inertie, où la sienne ne fit que devenir plus jeune, plus ardente et plus secourable.

Le château de Leschelle (département de l'Aisne) offrit de tout temps un saint asile aux hommes qui souffraient, un refuge tutélaire à tous les malheureux.

Au commencement du siècle passé, ceux qui portaient alors le titre de seigneur de Leschelle fondèrent en ce lieu deux écoles, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles, avec les bâtiments et les secours annuels nécessaires à leur établissement et à leur entretien. L'école des garçons appartient, depuis la Révolution, à la commune; celle des filles est toujours soutenue par la famille qui l'a créée. Deux institutrices, portant le nom de sœurs, mais ne relevant d'aucune congrégation religieuse, y instruisent gratuitement toutes les petites filles du pays et des environs. Elles ont leur maison, leur pré, leur jardin qu'elles cultivent elles-mêmes, et jouissent des biens de la terre, ne payant même aucun impôt; la main qui leur concède maison, prairie, jardin, le paie pour elles. On dirait difficilement tous les services que rendent ces dignes filles, toujours prêtes, malgré la continuité de leurs leçons, à obliger et à secourir ceux qui souffrent. Aussi se transmettent-elles, comme par voie de succession, l'affection et la reconnaissance qui s'attachent à elles et à leurs œuvres.

Les écoles de Leschelle ne se bornent pas à l'instruction des élèves; elles exercent une influence active sur les mœurs. On aime beaucoup la danse en Picardie. Mais ce plaisir, permis

lorsqu'il est goûté avec innocence et dans un lieu convenable, offrait le plus grand danger aux jeunes filles; car on dansait au cabaret dans une salle basse, humide, exhalant force odeur de cidre, de vin, d'eau-de-vie et de tabac, souvent rougie du sang des danseurs, la plupart ivres, passant aisément des propos injurieux aux menaces et aux coups.

Il était réservé à la famille qui est la Providence visible du pays, d'offrir à sa jeunesse de plus nobles délassements. La distribution annuelle des prix se fait au château. Tout ce qui pourrait exciter la vanité et trahir l'apparat est absolument écarté de cette solennité simple et touchante. Les élèves qui sont récompensées n'ont d'autres témoins de leurs succès que leurs condisciples, les bonnes sœurs qui les instruisent, et la famille à laquelle l'école doit son existence et son entretien. Après cela l'on joue, l'on danse, on court, on glisse avec des souliers ferrés sur les beaux parquets des salons de Leschelle. On fait dans ce séjour, ordinairement si bien ordonné, un bruit qui perce l'épaisseur de ces voûtes souterraines, et une poussière à ne s'y point reconnaître. On est heureux; et cette joie, ce bonheur, sont si francs et de si bon aloi, qu'ils sont cordialement partagés par tous les spectateurs. Ce n'est pas tout. Trois jours après, les élèves qui ont eu des prix sont invitées à s'asseoir toutes à la même table, dans la grande salle à manger du château. Elles y sont servies par la famille au moins autant que par les domestiques. Rien n'égale le plaisir qu'elles éprouvent à se voir ainsi fêtées.

Les élèves sont exhortées et encouragées, à mesure qu'elles grandissent, à ne point fréquenter les bals. Celles qui suivent ce conseil, et qui persistent dans cette sage résolution, conti nuent d'assister, après leur sortie de l'école, à la distribution annuelle, et y reçoivent des prix de persévérance; le dimanche le château leur est ouvert, et elles sont invitées à cueillir des fruits dans le jardin, à y jouer, danser, et à se livrer, en présence des sœurs, à tous les amusements de leur âge. De cette manière, et par cette influence si douce et si simple, beaucoup de jeunes filles sont détournées du danger qui les menaçait.

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