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donner le lion. On voyait Androclès, continue l'auteur, tenant son libérateur attaché à une simple courroie, marcher au milieu de Rome. Le peuple enchanté le couvrit de fleurs et le combla de largesses en s'écriant: Voilà le lion qui a donné l'hospitalité à un homme, et voilà l'homme qui a guéri un lion.

LE LION ET L'ÉPAGNEUL.

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION

L fallait, pour voir à la Tour de Londres les bêtes féroces, donner de l'argent à leur maître, ou apporter un chien ou un chat qui pût leur servir de nourriture. Quelqu'un prit dans une rue un épagneul noir qui était très-joli; étant venu voir un énorme lion, il jeta dans sa cage le petit chien aussitôt la frayeur s'empare de ce petit animal, il tremble de tous ses membres, se couche humblement, rampe, prend l'attitude la plus capable de fléchir le courroux naturel au

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lion, et d'émouvoir ses dures entrailles. Cette bète féroce le

tourne, le retourne, le flaire sans lui faire le moindre mal. Le maître jette au lion un morceau de viande, il refuse de le manger, en regardant fixement le chien, comme s'il voulait l'inviter à le goûter avant lui. L'épagneul revient de sa frayeur, il s'approche de cette viande, en mange, et dans l'instant le lion s'avance pour la partager avec lui. Ce fut alors qu'on vit naître entre eux une étroite amitié. Le lion, comme transformé en un animal doux et caressant, donnait à l'épagneul des marques de la plus vive tendresse, et l'épagneul à son tour témoignait au lion la plus extrême confiance. La personne qui avait perdu ce petit chien vint quelque temps après pour le réclamer. Le maître du lion la presse vivement de ne pas rompre la chaîne de l'amitié qui unit si étroitement ces deux animaux; elle résiste à ses sollicitations. «< Puisque cela est ainsi, répliqua le maître du lion, prenez vous-même votre chien; car si je m'en chargeais, cette commission deviendrait pour moi trop dangereuse. » Le propriétaire de l'épagneul comprit bien qu'il fallait en faire le sacrifice. Au bout d'une année, le chien tomba malade et mourut; le lion s'imagina pendant quelque temps qu'il dormait; il voulut l'éveiller, l'ayant inutilement remué avec ses pattes, il s'aperçut alors que l'épagneul était mort; sa crinière se hérisse, ses yeux étincellent, sa tête se redresse, sa douleur éclate avec fureur; transporté de rage, tantôt il s'élance d'un bout de sa cage à l'autre, tantôt il en mord les barreaux pour les briser; quelquefois il considère d'un œil consterné le corps mort de son tendre ami, et pousse des rugissements épouvantables. Il était si terrible, qu'il faisait sauter par ses coups de larges morceaux du plancher; on voulut écarter de lui l'objet de sa profonde douleur, mais ce fut inutilement, et il garda le petit chien avec grand soin; il ne mangeait pas même ce qu'on lui donnait. Enfin il se coucha et mit sur son sein le corps de son ami, seul et unique compagnon qu'il eût sur la terre; il resta dans cette situation pendant cinq jours, sans vouloir prendre de nourriture; rien ne put modérer l'excès de sa tristesse; il languit et tomba dans une si grande faiblesse qu'il en mourut. On le trouva la tète affectueusement penchée sur le corps de l'épa

gneul. Le maître pleura la mort de ces deux inséparables amis, et les fit mettre dans une même fosse.

LA SERVANTE DES MALHEUREUX.

PRIX MONTYON. 1836

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ÉNARD, LOUISE-RENÉE, demeurant à Rennes, département d'Ille-et-Vilaine, est née en cette ville, le 29 vendémiaire an vi. On a dit avec quelque raison que la vie des gens de bien était courte à raconter; mais cela ne serait point vrai de mademoiselle Ménard, dont la biographie demanderait un volume, si on voulait rapporter les innombrables actions de bienfaisance dont se compose cette vie consacrée à la charité. Qu'on s'imagine une âme intelligente et active, dont toute l'activité, dont toute l'intelligence est dirigée vers le bien, et qui ne connaît d'autre occupation que le soin de chercher le malheur pour le soulager. Le meilleur des princes regrettait un jour perdu; mademoiselle Ménard n'a jamais eu à regretter un de ses moments, et les faits sont si pressés dans ce dévouement de toutes les minutes, qu'il semble qu'elle n'ait pu en accomplir un sans se préparer à un autre. Nous citons au hasard, et nous abrégerons beaucoup.

Mademoiselle Ménard, tourmentée depuis l'enfance de cette vocation de sacrifices qu'elle a si dignement remplie, aspirait dès l'âge de treize ans à entrer parmi les saintes filles de la charité. Elle avait obtenu dès lors l'autorisation de s'associer aux pénibles fonctions des dames de Saint-Vincent, de panser les plaies des malades, de laver le linge des pauvres, et de consacrer à leurs besoins les petites économies qu'elle pouvait faire, c'est-à-dire l'argent réservé à sa toilette et à ses menus plaisirs. Sa mère, qui avait révé pour elle un autre avenir, oh

tint facilement de son confesseur qu'il l'arracherait à cette vertueuse abnégation d'elle-même, pour la rendre à la société, et son évêque daigna la détourner de ce dessein par de tendres et respectueuses paroles. Elle obéit, car elle n'ignorait point que le premier de ses devoirs était d'obéir à sa mère; mais elle ne put se soustraire à son insurmontable vocation, et resta, au milieu du monde qui ne l'avait reconquise qu'en apparence, la servante des malheureux. Sa réputation était si bien établie à cet égard, que les administrateurs de la ville de Rennes lui confièrent, en 1816, la direction d'un bureau de bienfaisance, et le droit de choisir les personnes qui devaient la seconder. Mademoiselle Ménard était à l'époque de la vie où le bonheur d'être jeune se fait sentir avec des séductions invincibles elle avait dix-huit ans.

Mademoiselle Ménard n'a dès lors plus de vœux à former. Elle entre en possession du seul bonheur qu'elle comprenne. Elle est à dix-huit ans la mère de neuf cents familles indigentes. Elle se multiplie pour les aider et pour les servir. Elle a deux cent cinquante distributions de soupes et de viande à faire aux infirmes toutes les semaines; elle les élève à cinq cents. Et qu'on ne s'imagine pas qu'elle croie son ministère borné à quelques soins matériels qui ne pourvoient qu'aux nécessités du corps elle a les secrets du cœur, le langage qui se fait entendre de l'infortune, les paroles de l'espérance et de la consolation. Jamais elle n'a quitté la chaumière du pauvre ou le grabat du malade sans le laisser meilleur et plus heureux. On cite même des exemples d'infortunés qu'elle a réconciliés avec la vertu. Eh! qui fut jamais plus digne de la faire aimer? Cependant, elle ne se contente point des bienfaits quotidiens que ses attributions l'autorisent à dispenser. La charité est insatiable comme l'ambition. Tout ce qui souffre sur la terre, tout ce qui pleure, tout ce qui gémit relève de la charité. C'est son empire à elle, et il embrasse le monde. Un incendie réduit neuf familles à la misère mademoiselle Ménard adopte neuf familles de plus, obtient l'autorisation de quêter, mendie pour elles, et répare bientôt leurs pertes. Une salle d'asile où sont réunis de malheureux enfants qui gagnent quelques sous à la fabrication

de la dentelle, est délaissée par la personne qui la dirige: Mademoiselle Ménard la remplacé. Les rigueurs de l'hiver de 1830 font redouter l'irritation, hélas! trop naturelle de la classe pauvre dans ces extrémités douloureuses et presque désespérées, le conseil municipal appelle mademoiselle Ménard. Des travaux sont distribués à ceux qui ont la force de travailler, huit mille quatre cents soupes à ceux qui ne l'ont plus ou qui ne l'ont pas encore. Et remarquez bien ce grave sénat de la cité qui ouvre ses séances à une femme simple et obscure; la vertu convoquée à l'administration des peuples, et reprenant sans orgueil des droits qu'elle n'aurait jamais dû perdre, entre la politique et l'éloquence impuissantes! Quelque temps après, arrive le terrible fléau du choléra. L'héroïsme de mademoiselle Ménard a de nouvelles occasions de se déployer. Mademoiselle Ménard est partout où la mort menace une victime, et la mort est partout. Un malade s'échappe de l'hôpital, court en furieux dans les rues, où les plus hardis cherchent à éviter son approche, et tombe dans les bras de mademoiselle Ménard qui le suit... Il était mort.

Tant de vertus sont encore relevées de cette modestie touchante qui accompagne toujours la vertu. Vous en jugerez par les admirables expressions de M. l'évêque de Rennes : « Si « elle devait lire, dit-il, ce que j'écris avec connaissance de «cause et la plus intime conviction, je me condamnerais au «silence, tant est grand le respect que j'ai pour son humilité. >>

HENRI IV ET SULLY.

EXT. DE LA MORALE EN ACTION.

E duc Sully retournait à son château après une violente maladie causée par des blessures. Henri IV alla droit à lui, et en l'abordant : « Mon ami, lui dit-il, je suis bien aise de vous voir avec un meilleur visage que je ne m'y attendais, et j'aurai une plus grande joie, si vous m'assurez que vous ne courez point risque de la vie, ni d'être

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