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qu'elle parle sans cesse à sa pauvre affligée, comme elle l'appelle.

Et le lendemain, Jeanne passe son bras gauche dans le bras d'un grand fauteuil; elle met sa mère débout, la prend avec son bras droit; la vieille mère, soutenue ainsi, se laisse traîner pendant deux pas..., puis on s'arrête; Jeanne l'assied

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un moment sur le fauteuil; puis elle la relève, et on recommence. Cette route pénible dure plus de trois quarts d'heure, pour un trajet de cinq minutes à peine.

Au retour, qui se fait de la même manière, Jeanne est toute gaie: «Eh bien! ma chère amie, dit-elle à sa mère, avezvous bien prie le bon Dieu? Etes-vous contente? Vous n'êtes pas fatiguée, n'est-ce pas ?»>

Cette promenade laborieuse a depuis été renouvelée autant de fois que la bonne femme l'a souhaité.

Souvent on a conseillé à Jeanne de laisser mettre sa mère à l'hôpital.

Ça me fend le cœur, quand on me dit ça, » répond-elle

((

Mais, Jeanne, votre mère serait bien soignée.

Je le sais bien; ce n'est pas par mépris de l'hôpital: elle aurait les soins; mais la douceur? qui est-ce qui la lui donnerait? »

Une autre fois, elle ajoutait :

« Dieu nous laisse nos parents pour que nous en ayons soin; si j'abandonnais ma pauvre affligee, m'est avis que je mériterais que Dieu m'abandonne. »

Jeanne et sa mère habitent un rez-de-chaussée. Cette circonstance a permis à quelques personnes de s'assurer que l'excessive douceur de cette fille à l'égard de sa mère ne se démentait jamais. Jeanne garde pour elle le pain mêlé que lui donne le bureau de charité, et achète pour sa mère du pain blanc. Elle lui procure aussi, le plus souvent qu'elle peut, du beurre, du fromage et du lait. Pour elle, on ne la voit jamais manger autre chose que des pommes de terre ou des

navets.

Un jour, M. le curé lui fit porter une tourte dont on n'avait presque rien mangé. Longtemps après, on s'étonna d'en voir encore chez elle.

« Vous n'avez pas fini votre tourte?

« Ah! je la ménage pour ma mère; je lui en coupe de bons petits morceaux à ses repas; ça la régale.

Vous n'en mangez donc pas ?

« Ce serait grand dommage que j'en mange, pour lui rogner sa portion à la pauvre femme : c'est sa petite jouissance; elle n'en a pas tant, la pauvre affligée... Ni voir, ni entendre, toujours souffrir!... c'est bien le moins que je lui fasse ce que je peux ̧ »

Il y a quatre ans, par un grand froid, on la trouva cherchant à couvrir sa mère avec une vieille pelisse usée et sans chaleur. « Je la cache comme je peux, dit-elle, mais c'est trop mince; » et elle paraissait triste. Le lendemain on lui porta une bonne couverture de laine.

Et quand on revint, on trouva deux rubans cousus aux côtés de la couverture mise en double et entourant les épaules de la vieille mère, de manière que le froid ne pouvait l'atteindre. Jeanne était rayonnante: «Voyez, disait-elle, je lui ai cousu ça; elle n'est pas gênée, et elle a bien chaud. La nuit,

je lui déplie sa petite couverte, et je la mets sur son lit. Benis ceux qui couvrent ma mère, Dieu les mettra à couvert dans son paradis. »

Une autre fois, on lui donna pour elle-même une paire de vieilles manches en flanelle à peine, par le froid, avait-elle les bras couverts.

«Vos manches sont-elles bien ? » lui dit-on.

« Je les ai défaites; ma mère se plaignait de douleurs aux genoux, et j'ai cousu les morceaux de flanelle à son cotillon: ça sera chaud, voyez-vous; ça lui fait bien, la pauvre femme. » Et c'était vrai; les morceaux étaient redoubles et arrangés avec une intelligence parfaite.

Cette tendresse se montre en tout, et paraîtrait singulière si on voyait Jeanne de moins près.

Au milieu de ses infirmités, la mère Parelle est si bien assise dans un fauteuil, si blanchement arrangée, qu'il est aisé de voir comme elle est soignée. Dernièrement une visiteuse dit à Jeanne: « Elle est fraîche, en vérité, votre mère. »

La bonne fille sourit, et son visage s'anima comme celui d'une mère qu'on flatte par un compliment inattendu sur son enfant. « Vous trouvez, dit-elle, ah ! la pauvre femme! elle est plus fraiche que moi! elle ne påtit pas tant. » Puis elle soupira et dit « Si j'étais seulement assez heureuse pour qu'elle pút m'entendre! »

C'est que, depuis plusieurs mois, cette pauvre femme est arrivée à un état complet d'enfance et de surdité. Aujourd'hui elle ne sait plus où elle est; elle ne reconnaît plus sa fille, et Jeanne ne peut surmonter la tristesse que lui donne ce nouveau genre de peine.

«Où est Jeanne? dit la mère. près de vous; voilà sa main : elle peur.»

Elle est là, ma mignonne; là,

est là, chère amie, n'ayez pas

Mais la bonne femme n'entend pas, et Jeanne soupire.

« Si vous l'aviez connue, dit-elle, quand elle avait toute sa raison! Ah! c'était une si digne femme! Elle a tant travaillé pour élever huit enfants dans des temps si durs! Elle était si douce et si bonne! Depuis si longtemps qu'elle est malade, si elle est tour

mentante, ce n'est pas sa faute; c'est la souffrance qui veut ça. Ah! elle aura une belle récompense devant Dieu! »

En effet, tant qu'elle a conservé sa tète, la mère Parelle etait aussi admirable par sa résignation que sa fille l'était par sa piété filiale. Mais maintenant les soins qu'il faut lui donner deviennent de plus en plus pénibles. Jeanne suffit à tout; et, quoiqu'elle soit elle-même souvent malade, jamais elle ne se plaint ni ne se décourage. L'hiver dernier en core, elle a passé deux mois entiers sans se coucher. Tant de zèle, de constance et de persévérance filiale ne méritentils pas toute notre admiration?

L'HÉRITAGE DE LA MÈRE DES PRISONNIERS.

EXT. DU RAPP. DE M. LE COMTE DARU

A LA SOCIÉTÉ POUR L'AMÉLORATION DES PRISONS 1819.

:

Coutances, une pieuse fille a donné le spectacle de la pauvreté secourant le malheur Catherine Lamare, autrefois au service d'une personne charitable, à qui ses bienfaits avaient mérité le nom de Mère des prisonniers; elle aidait sa maîtresse dans les soins que celle-ci leur donnait avec un dévouement exemplaire. Cette personne en mourant lui a laissé une petite pension, et le peu dont elle pouvait disposer. Catherine a considéré ce legs comme un héritage. destiné aux prisonniers, et n'a voulu hériter elle-même que du zèle de sa maîtresse. Les prisonniers sont donc soignés comme auparavant; Catherine leur donne tout ce qu'elle peut épargner, et va elle-même faire bouillir leur marmite.

L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE EN FRANCE.

D'APRÈS BAILLET, PAR M. LE BARON DE GERANDO

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AINTE BATHILDE, ou Baldchild, reine de France, était issue de l'ancienne maison de Saxe. Dès sa plus tendre jeunesse, elle fut exposée en vente comme une esclave, sur les côtes de France, soit par des corsaires qui l'avaient enlevée, soit par ses propres parents selon la barbare coutume qu'avaient alors les Anglo-Saxons de vendre leurs enfants. Elle fut achetée à vil prix par Erchi

noald, ou Erchenwald, que nous appelons Archambaud, et qui devint bientôt après maire du palais, sous Clovis II. Parfaitement belle, adroite, sage, modeste, douce, obligeante, ses manières et une certaine majesté qui paraissait dans toutes ses actions, se ressentaient de la grandeur de sa naissance. Mais, au lieu de se glorifier de ces avantages, elle se regardait comme la dernière servante dans la famille à laquelle l'assujettissait sa nouvelle condition. Sa haute réputation l'en fit bientôt retirer pour la mettre sur le tròne. Il était question de marier Clovis II; on résolut de lui donner pour compagne la personne la plus accomplie de son royaume, et chacun se déclara tout d'une voix pour Bathilde. Bathilde remédia bientôt aux désordres qu'avait causés la faiblesse de ce prince. Son élévation, loin de lui rien ôter de son humilité ou de sa piété, ne servit qu'à mettre ses vertus dans un plus grand jour. Elle ne prit l'administration des affaires du royaume que pour entretenir la paix et l'union, et pour y rendre la religion triomphante. Elle fit diminuer les

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