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solides qui ne peuvent jamais manquer; elles suffiront toujours au bonheur de l'homme qui sait aimer l'innocence et se contenter du nécessaire, sans se tourmenter follement pour les biens frivoles, qui n'ajoutent pas un sentiment de plus à la félicité réelle. O vous, instruments simples et chers d'une vie heureuse! je ne veux que vous, c'est avec vous que je suis résolu de vivre et mourir. Grand roi ! je vous remets sans regret tout ce que m'a donné votre père, je ne garde que ce qui m'appartenait avant qu'il me fit venir à sa cour. » Le roi eut peine à revenir de sa surprise; il demeura bien convaincu de l'innocence d'Alibée, et son indignation retomba sur les courti

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sans qui l'avaient trompé. « Sortez, imposteurs, leur dit-il, et fuyez de ma présence. » Aussitôt il fit Alibée son premier ministre, et le chargea de toutes les affaires les plus secrètes et les plus importantes. Alibée mourut premier ministre et pauvre; il ne souffrit jamais qu'on punît aucun de ses ennemis; il ne laissa à ses parents que le bien nécessaire pour les nourrir dans la condition de berger, qu'il regarda toujours comme la plus heureuse et la plus sûre.

DEVOUEMENT FILIAL. JEANNE PARELLE.

PRIX MONTYON, 1836

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EANNE PARELLE est née à Coulange, près de Montrésor, dans le département d'Indre-et-Loire, en 1786.

Son père, Jacques Parelle, était terrassier, et connu pour un très-brave homme, laborieux et élevant bien sa famille. Il avait à Coulange une petite maisonnette, avec un très-petit champ. Sa femme, Marguerite Baudouin, lui donna huit enfants, qu'elle a élevés dans l'amour du travail, et dans de grands sentiments de piété.

Sous l'Empire, deux de ses fils sont partis pour l'armée, où ils sont morts. De ses quatre filles, deux se sont mariées, l'une à un marinier, l'autre à un terrassier; les deux autres sont entrées en condition. Jeanne avait pris ce dernier parti; elle servait, comme domestique, chez un menuisier des environs. Des personnes qui l'ont connue alors, et qui vivent encore, rendent témoignage de sa bonne conduite.

En 1811 ou 1812, la mère Parelle, qui avait alors plus de cinquante-cinq ans, devint infirme; elle cut plusieurs attaques de paralysie, et elle ne put bientôt plus marcher qu'à l'aide d'un bâton. Jeanne vint voir sa mère, et lui dit: Je veux rester avec vous; servir pour servir, vaut-il pas mieux que je serve ma mère que de rester avec des étrangers?

Cette résolution de Jeanne ouvrit pour elle une carrière de vingt-cinq années d'épreuves, de sacrifices et de vertus de tout genre.

A peine était-elle revenue chez ses parents, qu'elle perdit

son troisième frère, mort à la suite de fatigues excessives, à l'âge de vingt-cinq ans. Jeanne le pleura beaucoup, et elle en parle encore en ces termes : C'était celui que j'aimais le mieux: il avait le même cœur que moi pour nos parents.

L'année suivante, son père revenait un jour du travail; tout à coup il s'évanouit, perdit connaissance, et parut sans mouvement. Les voisins accoururent. Rien ne pouvait rappeler le malade à lui; on s'effraya. «Ma pauvre Jeanne, votre père est mort. - Non! non! cria-t-elle, mon père n'est pas mort! » Elle courut à lui, et, lui soutenant la tête, elle lui desserra avec force les dents. Aussitôt il rendit une abondante quantité de sang, revint à lui, et demanda pourquoi on l'entourait. It n'avait aucun sentiment de ce qui s'était passé. Jeanne riait, pleurait, était hors d'elle-même : « Je le savais bien, répétaitelle, que mon père n'était pas mort!.... »

Dans la famille, on le crut sauvé; mais le lendemain, le même accident se reproduisit; Jeanne eut recours au mème moyen, et son père fut encore soulagé. De même que la veille, il n'en conserva aucun souvenir.

Ce mal devint habituel, et se renouvela tous les soirs, pendant dix ans. On ne consulta qu'une seule fois un médecin, qui ne sut rien prescrire.

Jeanne poursuivait seule sa courageuse assistance.

Que ce mot n'étonne pas car il faut tout dire pour bien faire connaitre tout l'héroïsme de cette fille.

A chaque accès, Jeanne ouvrait violemment la bouche de son père, pour donner un passage au sang; et comme les dents étaient contractées avec force, et que le pauvre homme n'avait pas de connaissance, Jeanne avait les doigts constamment mordus. Il y avait des moments où les os étaient presque à découvert; et cela ne l'empêchait pas de recommencer tous les jours, sans que jamais son zèle ne se ralentît!.... Elle se servait tantôt d'une main, tantôt de l'autre ; elle avançait plus ou moins les doigts pour garantir les endroits le plus malades, mais jamais elle ne se décourageait..., et elle a continué pendant dix années consécutives, tout en faisant l'ouvrage de la maison, qui est rude à la campagne. Avec ses doigts déchirés,

il lui fallait tous les jours, par le froid ou par la chaleur, traire une vache, aller à l'herbe, etc.

Quand son père voyait ses doigts dépouillés, les larmes lui venaient aux yeux. « Ne recommence plus, Jeanne, lui disait-il. -- Mais, mon père, puisqu'il n'y a que cela qui vous fait revenir. Eh bien, laisse-moi mourir; pour ce que je fais à présent, cela vaudrait mieux.

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Rien ne faisait plus de peine à cette fille dévouée que d'entendre son père parler de la sorte: «Laisser mourir mon pauvre père ! s'écriait-elle; j'aurais donc été bien denaturée et abandonnée de Dieu!... Si j'avais servi un maitre qui aurait eu besoin du même service, je le lui aurais rendu. Pour mon père, il aurait fallu m'attacher pour m'empêcher de continuer. »

Quelquefois ses voisines voulaient la détourner : « Je le laisserais, à votre place, ce bonhomme, lui disait-on, il reviendrait peut-être de lui-même. » Elle répondait : «En attendant, je ne voudrais pas le risquer ; j'aurais, après cela, la mort de mon père à me reprocher.

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Bientôt la tâche de Jeanne devint plus difficile encore. La vue de son père s'était affaiblie ( il avait plus de soixante ans). Il finit par devenir presque aveugle. Plus de travail possible. On vendit la maisonnette pour avoir de l'argent.

La mère devenait aussi de plus en plus infirme; ses yeux se perdaient comme ceux de son mari; elle ne faisait plus rien du tout que de dire son chapelet toute la journée.

Enfin, après dix ans, le pauvre Jacques Parelle mourut, et Jeanne le pleura. « Vous devez vous trouver contente, lui disait-on, il ne pouvait aller loin, et vous aurez bien de la peine et du mal de moins. »

« Ceux qui me disaient ça croyaient me consoler, et ils ne faisaient que me faire de la peine; ils ne savaient pas comme j'aimais mon pauvre père !... Enfin, Dieu lui a donné sa récompense, et moi j'aurai la mienne. »

Jeanne resta scule avec sa mère quinze autres années. Elle filait, allait à l'herbe, et bientôt n'eut plus d'autre ressource que la charité publique.

Sa mère, qui jusque-là pouvait se traîner à l'aide d'un bà

ton, devint complétement aveugle; et la paralysie ne lui permit plus aucun mouvement: il fallait la lever, la coucher, L'asseoir.

Jeanne n'avait plus le temps de filer, et sa misère allait toujours croissant. Il y avait VINGT ANS que Jeanne suffisait à tout, vingt ans qu'elle n'avait passé une nuit sans se relever! ..

Sa sœur aînée, qui était mariée à Blois, l'engagea alors à venir dans cette ville, en l'assurant qu'elle y trouverait plus de ressources qu'à la campagne.

Jeanne, dans cet espoir, entreprit le voyage, et emmena avec elle sa mère, âgée de quatre-vingts ans. Une quête l'aida à faire ce voyage, et à transporter un chétif mobilier

Arrivée à Blois, Jeanne descendit chez sa sœur; mais cette sœur, qui avait trois enfants, et qui était obligée d'aller en journée pour vivre, ne put se charger longtemps d'une telle hospitalité.

Jeanne se trouva encore une fois seule avec sa mère. Elle loua une chambre, et obtint du bureau de charité trois pains et trois livres de viande par mois. C'était en 1830.

Depuis cette époque, on la voit toujours patiente, toujours douce, toujours religieuse, et reconnaissante envers ceux qui l'assistent.

Le détail des soins qu'elle donne à sa mère est à peine croyable. Cette femme a été très-religieuse. Depuis quelque temps, elle est tombée tout à fait en enfance; mais jusque-là, et tant qu'elle a eu un reste de connaissance, elle priait toute la journée dans son fauteuil. Une veille d'Assomption, elle dit à sa fille C'est demain la bonne Dame d'Août; je voudrais bien aller à l'église.

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Dans une meilleure position, et avec des moyens de transport, des enfants même dévoués croiraient pouvoir objecter la difficulté de conduire une personne si infirme......... mais Jeanne, qui prend sur elle toute la peine, ne sut rien dire, sinon « Vous voulez aller à l'église? eh bien! ma petite mère, j'irons; oui, ma mignonne, mon amie, je vous y mènerai, soyez tranquille. » Et elle lui prend la main et la baise; car c'est avec ces soins et ces douces attentions, et ce ton caressant,

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