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car des bâtiments qui s'étaient montrés à l'horizon, passèrent sans remarquer ou sans comprendre les signaux de détresse qui leur étaient adressés.

Enfin la Marianne fut aperçue sous le vent, et sa vue ranima le courage des infortunés naufragés.

Aussitôt que le capitaine Hervis eut reconnu le péril que courait le navire la Picardie, ce brave navigateur prit pour le secourir toutes les mesures que lui inspiraient son courage et son humanité; et, sans entrer ici dans le détail des obstacles qu'il a eu à surmonter, et de tous les dangers auxquels il s'est exposé, il suffira de savoir que sept hommes sur neuf, dont se composait l'équipage du navire la Picardie, ont dù la vie à cet intrépide marin, dont le dévouement est d'autant plus remarquable que, procédant à sa belle action par un temps

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épouvantable, une mer furieuse, et au moyen d'une frèle embarcation, il n'a pu la mettre à fin qu'en trois trajets (dont deux opérés par lui-même) de son navire au bâtiment naufragé, et qu'au prix de la perte de deux marins de son

propre équipage qui se sont noyés, et dont l'un était son beaufrère.

Sur le compte que le ministre de la marine a rendu au roi de la conduite méritoire du sieur Hervis dans cette circonstance, Sa Majesté a bien voulu, par une ordonnance datée de Fontainebleau, le 15 octobre 1841, conférer la décoration de la Légion d'Honneur à ce courageux navigateur, qui, antérieurement, s'était signalé par son concours à un acte de sauvetage accompli en 1837, sur la côte de Vannes.

ALIBEE OU LA FIDELITÉ.

HISTOIRE PERSANNE

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION

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ON roi de Perse eut le génie de se douter que ses flatteurs pouvaient mentir; il résolut de s'éloigner quelque temps de sa cour, et voulut parcourir les campagnes et les provinces, sans être connu, curieux d'ob

server son peuple dans sa simplicité naturelle, et de le voir agir et parler en pleine liberté; dans ce dessein, il ne prit pour l'accompagner que celui de ses courtisans qu'il connaissait le plus sincère; ils parcoururent ensemble plusieurs villages. Le prince vit les simples habitants dansant et folâtrant, et se livrant avec une naïve joie à mille amusements innocents; il fut charmé de trouver si loin de sa cour des plaisirs si faciles et si tranquilles. Un jour qu'il avait gagné un grand appétit à une longue promenade, il entra pour dîner dans une de ces humbles chaumières, et il trouva que la nourriture grossière qu'on lui offrait flattait plus agréablement son goût que tous les mets délicats dont on chargeait sa table.

Traversant un autre jour une prairie émaillée de fleurs, et

qu'arrosait un petit ruisseau, il aperçut, sous un ormeau, un jeune berger jouant de la flûte près de son troupeau qui paissait; il lui demanda son nom, et apprit qu'il s'appelait Alibée, que ses parents demeuraient dans le hameau voisin. Ce jeune homme avait une figure belle, sans être efféminée; il était plein de vivacité, sans étourderie ni pétulance; il ne se croyait supérieur en beauté ni en esprit aux autres bergers du canton; sans éducation, ses idées s'étaient étendues et cultivées d'elles-mêmes. Le roi eut un entretien avec lui, et fut charmé de sa conversation; il apprit de sa franchise bien des choses qui intéressaient l'état de son peuple, et que ne lui avaient jamais dit ses courtisans; il souriait quelquefois en voyant la simplicité ingénue de ce jeune homme, qui disait librement sa pensée sans ménager personne. Je vois bien, dit le monarque en se tournant du côté de son confident, que la nature n'est pas moins belle et ne plait pas moins dans les dernières conditions de la vie que dans les rangs les plus élevés; jamais prince ne me parut plus aimable que ce jeune berger, qui vit avec son troupeau : quel père ne se trouverait pas heureux d'avoir un fils d'une aussi belle figure et d'une âme aussi sensible? Je suis sûr qu'une éducation savante perfectionnera singulièrement son esprit, et développera mille talents qui me seront utiles. En conséquence, le monarque emmène avec lui Alibée, résolu de le faire instruire dans toutes les sciences et dans tous les arts agréables qui peuvent orner l'esprit.

A sa première entrée à la cour, Alibée fut ébloui de son. éclat et de tous les objets brillants, si nouveaux pour lui; ce changement de fortune, si subit et si imprévu, fit quelque effet sur son âme et sur son caractère; au lieu de sa houlette, de sa flûte et de ses habits de berger, il se vit revêtu d'une robe de pourpre, brodée en or, et portant un ruban enrichi de diamants. Bientôt ses idées s'étendirent, et son esprit se remplit de connaissances; il devint en peu de temps capable des affaires les plus sérieuses; il mérita toute la confiance de son maître, qui l'affectionnait comme son élève, et qui, lui trouvant surtout un goût exquis pour tout ce qui était curieux

et magnifique, lui donna une des charges des plus considérables de la Perse, celle de gardien des bijoux et des effets précieux de son palais.

Tant que le prince vécut, Alibée jouit d'une faveur qui ne faisait qu'augmenter de jour en jour; cependant, à mesure qu'il avançait en âge, l'idée de sa retraite et de la tranquillité de son premier état commençait à lui revenir plus souvent, et il le regrettait quelquefois : «Oh! jours heureux ! jours innocents! s'écriait-il, jours où j'ai goûté une joie pure, sans aucun mélange de peines et d'alarmes! jours les plus heureux de ma vie! Celui qui m'a privé de vous pour me donner toutes les richesses que je possède, m'a dépouillé de tout mon bien. Je ne vous retrouve point dans mon palais : heureux, mille fois heureux ceux qui n'ont jamais connu les misères de la cour des rois! Ici pourtant tous mes vœux sont prévenus et satisfaits; je n'ai pas le temps de désirer, tous mes sens sont agréablement flattés, et mon amour-propre jouit des respects de tout un peuple et des égards d'un grand roi; et cependant toutes ces jouissances multipliées n'ont pas la douceur d'un seul des sentiments que j'éprouvais, lorsque le matin d'un beau jour, au lever de l'aurore, j'entrais dans la prairie, suivi de mon chien fidèle et de mon troupeau : que serait-ce donc, si je ressemblais à quelques-uns de ces courtisans que je vois pâles et rongés d'une ambition que rien ne peut satisfaire? >>

Alibée, si peu sensible aux plaisirs de la cour des rois, ne fut pas longtemps à en essuyer les disgrâces. Le vieux monarque, qui l'aimait; descendit dans la tombe et fit place à son fils. Aussitôt des jaloux entreprirent de le perdre dans l'esprit du nouveau roi; ils lui insinuèrent qu'Alibée avait abusé de la confiance que son père lui accordait, qu'il avait amassé des richesses immenses, et détourné quantité d'effets précieux confiés à sa garde. Le roi était trop jeune pour n'être pas crédule: il avait d'ailleurs la vanité de croire qu'il pouvait réformer bien des choses dans ce qu'avait fait son père.

Pour avoir un prétexte de lui ôter sa place, il'ordonne à Alibée, par le conseil des courtisans, de lui apporter le cime

terre garni de diamants que le roi son père avait coutume de porter dans les batailles. Alibée l'apporte et le présente au roi; mais il était dégarni de ses pierreries. Le monarque le crut aussitôt coupable de ce vol; mais Alibée prouva qu'elles avaient été ôtées par l'ordre de son père, et avant qu'il fût encore en possession de sa charge. Les courtisans, honteux de ce mauvais succès, n'en furent que plus ardents à poursuivre l'homme de bien qu'ils voulaient perdre; ils conseillèrent au roi de se faire représenter, dans le délai de quinze jours, un répertoire de tous les effets dont il avait été établi gardien.

Le délai expiré, le roi voulut être présent lui-même à l'ouverture du dépôt. Alibée l'ouvre devant lui, et lui présente tous les bijoux qui lui avaient été confiés; chaque chose était rangée par ordre et conservée avec soin. Le roi, surpris de tant d'exactitude et de fidélité, lançait déjà des regards d'indignation sur les accusateurs, lorsqu'ils lui montrèrent au bout de la galerie une porte de fer, fermée avec trois grosses serrures. C'est sous cette porte, lui dirent-ils, qu'Alibée a enfermé les trésors qu'il a volés à votre père. Le roi redevint furieux, et ordonna que la porte fût ouverte sur-le-champ. Alibée se jette à ses pieds, et le conjure de ne pas lui ôter le seul bien dont il fît cas sur la terre : « Il n'est pas juste, lui dit-il, de me dépouiller, dans un moment, de tout ce que je possède, après avoir tant d'années servi fidèlement votre père : prenez tout ce qu'il m'a donné, mais laissez-moi tout ce que je possède ici. » Les courtisans triomphaient dans le secret de leur âme, et cette résistance ne fit qu'augmenter les soupçons du roi, qui le menaça, plein de colère, et le força d'obéir. Alibéc prend donc les clefs et ouvre cette porte mystérieuse.

Quelle fut la surprise de ses ennemis et du roi, lorsqu'ils n'aperçurent qu'une houlette, une flûte et des habits de berger! c'étaient ceux qu'avait autrefois portés Alibée, et qu'il visitait quelquefois pour entretenir le souvenir et l'amour de sa première condition. « Grand roi, dit-il, voyez les restes de mon premier bonheur : ce trésor va m'enrichir quand vous m'aurez dépouillé de tout ce que vous pouvez m'ôter; voilà les richesses

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