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Aubry avait pris son fils d'un bras, et de l'autre s'affermissait sur le train; mais la violence des flots les sépare, et les précipite dans le tourbillon.

Le fils aîné d'Aubry, militaire, privé entièrement du bras gauche qu'il a perdu au champ d'honneur, était témoin de cet affreux spectacle, et gémissait de ne pouvoir secourir ni son père ni son frère qu'il voyait périr.

Cependant le père est ramené à bord à l'aide d'une longue perche qu'on lui avait tendue à propos. Mais le fils, à qui on la présenta à plusieurs reprises, ne put la saisir; il allait être englouti, lorque son frère aîné, ne consultant que son cœur, s'élance à la nage, l'atteint, le place sur son dos et le ramène sain et sauf au rivage. Le nom d'Aubry fut proclamé par M. Rougier de la Bergerie, préfet du département, dans la fète donnée le 22 septembre 1801, et il reçut une médaille d'or décernée par le jury central d'instruction publique qui avait proposé cette belle action comme sujet du prix de poésie.

AMOUR FILIAL CHEZ LES JAPONAIS.

EXT. DE LA MORALE EN ACTION

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'EST dans les annales japonaises qu'on lit cet exemple extraordinaire d'amour filial. Une femme était restée veuve avec trois garçons, et ne subsistait que de leur travail. Quoique le prix de cette subsistance fût peu considérable, les travaux néanmoins de ces jeunes gens n'étaient pas toujours suffisants pour y subvenir. Le spectacle d'une mère qu'ils chérissaient, en proie au besoin, leur fit un jour concevoir la plus étrange résolution. On avait publié depuis peu que quiconque livrerait à la justice le voleur de certains effets, toucherait une somme assez considérable. Les trois frères s'accordent entre eux qu'un des trois passera pour ce voleur, et que les deux

autres le mèneront au juge. Ils tirent au sort, pour savoir qui sera la victime de l'amour filial, et le sort tombe sur le plus jeune, qui se laisse lier et conduire comme un criminel. Le magis

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trat l'interroge; il répond qu'il a volé; on l'envoie en prison, et ceux qui l'ont conduit touchent la somme promise. Leur cœur s'attendrit alors sur le danger de leur frère; ils trouvent le moyen d'entrer dans la prison, et, croyant n'être vus de personne, ils l'embrassent tendrement et l'arrosent de leurs larmes. Le magistrat, qui les aperçoit par hasard, surpris d'un spectacle si nouveau, donne commission à un de ses gens de suivre ces deux délateurs; il lui enjoint expressément de ne point les perdre de vue qu'il n'ait découvert de quoi éclaircir un fait si singulier. Le domestique s'acquitte parfaitement de la commission, et rapporte qu'ayant vu entrer ces deux jeunes gens dans une maison, il s'en était approché, et les avait entendus raconter à leur mère ce qu'on vient de lire; que la pauvre femme à ce récit avait jeté des cris lamentables, et qu'elle avait ordonné à ses enfants de reporter l'argent qu'on leur avait donné, disant qu'elle aimait mieux mourir de faim que de se conserver la vie au prix de son cher fils. Le

magistrat, pouvant à peine concevoir ce prodige de piété filiale, fait venir aussitôt son prisonnier, l'interroge de nouveau sur ses prétendus vols, le menace même du plus cruel supplice; mais le jeune homme, tout occupé de sa tendresse pour sa mère, reste immobile. Ah! c'en est trop, lui dit le magistrat en se jetant à son cou, enfant vertueux, votre conduite m'étonne. Il va aussitôt faire son rapport à l'empereur, qui, charmé d'une affection si héroïque, voulut voir les trois frères; il les combla de caresses, et assigna au plus jeune une pension considérable, et une moindre à chacun des deux autres.

LE GARÇON LIMONADIER. JACQUES SORBIER.

PRIX MONTYON 181

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ORBIER, Jacques, simple garçon de café, poussé par un instinct irrésistible à secourir ses concitoyens, a sauvé, en 1827, d'une mort presque certaine un soldat de la légion dite Hohenlohe, qui se baignait dans la Charente; en 1829, un sieur Spirkel, père de famille, qu'il va chercher au fond de la rivière, et qu'il

ramène asphyxié sur le rivage; en 1831, même service rendu à Charles Robillard, qui se baignait à dix heures du soir, et que le courant entraînait. En 1832, le 26 juillet, Louis Bellanger, père de famille, conduisait un cheval à l'abreuvoir pendant la nuit; le cheval perd pied, renverse son cavalier, qui pousse des cris horribles; ces cris de désespoir sont parvenus à Sorbier, dont la maison est près du rivage; il franchit un parapet de cinq mètres de haut, se jette tout habillé dans la rivière et, après des efforts inouïs, parvient à sauver Bellanger et son cheval.

En 1834, Sorbier renouvelle avec plus de mérite encore ce même acte d'un héroïque dévouement. Le nommé Guichou,

domestique du sieur Prouhet, tomba du haut du trottoir avec un cheval qu'il conduisait à l'abreuvoir, dans la rivière dont les eaux étaient alors très-hautes. Guichou courait le plus grand danger; le nommé Gouin, très-bon nageur, se trouvait là: il se jette à l'eau pour secourir Guichou; le courant l'entraîne, il périt. L'intrépide Sorbier arrive aux cris de détresse, saute par-dessus le parapet, plonge d'une hauteur de plus de cinq mètres, saisit le pauvre Guichou plus mort que vif, le dépose sur la grève, se rejette à l'eau et ramène le cheval à son propriétaire.

Ce qui ajoute quelque chose de sublime à ce dernier acte de dévouement, c'est qu'il se passait le 19 janvier, par un froid excessif, en présence de plus de .cinq cents personnes instruites que Sorbier était alors atteint d'un catarrhe et d'une fièvre continue qui faisait craindre pour ses jours. Pour dernier trait à son éloge, disons que Sorbier est dans l'indigence, qu'il n'a pour vivre que de misérables gages auxquels le réduit le plus inaltérable désintéressement.

MATTHIEU MOLÉ.

EXTRAIT DU PLUTARQUE FRANÇAIS

ATTHIEU MOLE, né en 1584, était fils d'Édouard Molé, procureur-général au Parlement pendant la Ligue, et dont Henri IV récompensa l'intrépidité et les services par une place de président à mortier au même Parlement. Les fureurs de la Ligue environnèrent son enfance. Il voyait son père exposer chaque jour sa vie, et il apprenait de lui à pratiquer ce courage austère qui se contente de mépriser la mort et de remplir ses devoirs. Tandis que, par son exemple, son père lui enseignait

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à ne pas s'abandonner au malheur et à se préserver de cette sorte de résignation dans laquelle il entre toujours plus de mollesse que de courage, il s'appliquait à cultiver, à orner son esprit et à former son cœur. Au sortir de ses études, Matthieu Molé était jurisconsulte éclairé, et le Parlement le reçut dans son sein aussitôt que son âge le lui permit. Il n'avait pas trente ans lorsque Louis XIII lui confia les fonctions de procureur-général.

Le public rendit hommage à un tel choix. On s'étonnait de voir dans un aussi jeune homme une gravité si naturelle, une raison si exercée, une fermeté si sage. On eût loué son intégrité et la pureté de ses mœurs, si ces vertus n'étaient inséparables de la dignité du magistrat.

Richelieu, comme tous les hommes de génie, savait distinguer le vrai mérite et le faire servir aux intérêts de la patrie; ce grand ministre avait dicté le choix du roi. Mais la vertu austère de Matthieu Molé trouva peu de sympathie dans le caractère de Richelieu, et, après la Journée des Dupes, le premier ministre le fit comprendre dans la liste des complices. Un arrêt du conseil l'interdit de ses fonctions, et lui ordonna de comparaître en personne. Il partit pour Fontainebleau où était la cour. Aussitôt qu'il parut dans le conseil, les préventions s'évanouirent, et il ne recueillit de tous côtés que des marques de déférence et d'estime. « Sa gravité naturelle (dit « Talon, qui ne l'aimait pas), dont il ne rabattait rien dans « cette circonstance, lui fit obtenir sur-le-champ arrêt de décharge », et il vint reprendre ses fonctions.

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Après la mort de Louis XIII, qui suivit de près celle de son ministre, les intrigues envahirent la cour, le désordre se mit dans le peuple. Les hommes paraissaient livrés, avec l'État, au gouvernement des femmes. Un seul homme retraçait le souvenir et les caractères de la grande époque que la mort de Richelieu venait de clore. Matthieu Molé conserva, au milieu de cette génération brillante, frivole et licencieuse, ces mœurs graves, ce tour d'esprit et de langage que donne le spectacle des grands événements joints à l'expérience du malheur. D'ailleurs, les convenances rigoureuses qui accompagnaient

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