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ont été frapper avec leurs crosses de fusil à la porte de Constantine.

Honneur au premier bataillon d'Afrique !

Voici la belle et digne récompense décernée par le général commandant d'Oran à cette poignée de braves qui a défendu avec tant d'intrépidité le poste de Mazagran contre les assauts furieux de douze mille Arabes :

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« Le lieutenant-général Gueheneuc autorise la 10e compagnie du 1er bataillon d'Afrique à conserver comme un glorieux trophée le drapeau qui flottait sur la place de Mazagran pendant les journées des 3, 4, 5 et 6 février, et qui,tout criblé par les projectiles de l'ennemi, atteste à la «fois l'acharnement de l'attaque et l'opiniâtreté de la dé«fense.

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«En outre, il ordonne que, le 6 février de chaque année, lecture du présent ordre du jour soit faite devant le bataillon

d'Afrique, si cela est possible, et que, dans le cas où cette « réunion ne pourrait s'effectuer, chaque commandant de dé

<tachement en fera faire lecture devant tous les hommes «assemblés sous les armes.

« Honneur à l'héroïque garnison de Mazagran !

« Le lieutenant-général, GUEHENEUC. »

Une souscription a été ouverte à Alger pour élever une

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colonne sur laquelle seront inscrits les noms des braves défenseurs de Mazagran.

LE VÉTÉRAN DES GUERRES DE LA RÉPUBLIQUE.

PRIX MONTYON, 1835.

L existe dans la commune de Reichshoffen, département du Bas-Rhin, un vétéran des guerres de la république nommé Joly, qui, au sein de sa pauvreté, s'est acquis, ainsi que sa femme, des droits à la vénération générale. Dans une chaumière voisine de la leur vivait une femme sujette à d'horribles convulsions prove

nant d'un goitre qui lui couvrait la moitié de la poitrine. Cette pauvre malade, délaissée par un mari livré au vice delivrognerie, restait sans soins et sans ressources. Instruits de ce déplorable abandon, Joly et sa femme, exposés eux-mêmes à toutes les privations de la misère, n'hésitèrent pas à partager avec l'infortu née le prix de leur travail journalier. A mesure que ses souffrances devinrent plus intolérables, son infirmité plus hideuse, elle se vit l'objet des soins les plus assidus de ses généreux voisins, qui passaient auprès d'elle tous les instants dérobés au travail, et se privaient tous les jours d'une portion de leur nourriture pour aller la déposer sur son lit de douleur.

Cette femme avait deux enfants, dont l'un (c'était un fils) était aussi atteint d'un goitre, mais qui s'annonçait d'une nature encore plus dangereuse que celui de sa mère. Une constitution débile, une surdité et un mutisme à peu près absolus, enfin un état presque complet d'idiotisme, faisaient de cet être informe un objet de dégoût et d'horreur. Sa mère l'aimait pourtant.

Quand elle sentit sa fin approcher, elle confia à Joly ses

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angoisses sur le sort de cette pauvre créature, que ses autres parents repoussaient et dont la commune ne voulait pas se charger. Joly et sa femme consolèrent cette mère désespérée,

en lui promettant d'adopter son fils La mourante n'avait pas osé parler d'une fille atteinte du mal héréditaire, et réduite à un état de faiblesse qui la rendait incapable de prêter le plus faible secours aux bienfaiteurs portés à la recueillir. Joly et sa femme, prévenant les vœux de la mère, promirent encore de se charger de sa fille. Rassurée désormais sur le sort des siens, la malade mourut tranquille et résignée.

A l'époque de cette double adoption, Joly et sa femme avaient passé l'un et l'autre l'âge de cinquante ans. Les infirmités augmentaient. Dénués de fortune, ils avaient pour toute propriété une chaumière, composée de deux petites chambres, située dans un endroit bas et humide, sans cour, sans étable, sans bétail, pas même une chèvre. C'est dans cette habitation à peine suffisante pour eux-mêmes qu'ils so décidèrent à recevoir leurs deux nouveaux hôtes. C'est là que l'existence de ces deux infortunés a été conservée par la vertu de deux anges de patience, de courage et de bonté.

Le frère parvint bientôt, comme on l'avait prévu, à l'état de crétinisme le plus repoussant; la sœur fut réduite, par l'accroissement de son goître, à un état d'immobilité presque complète, seul moyen d'éviter la suffocation; mais du moins elle n'a pas perdu l'usage de ses facultés intellectuelles et morales; elle sait aimer les bienfaiteurs qui lui ont conservé l'existence, et leur donner par ses prières la seule récompense qui soit en son pouvoir aussi inspire-t-elle la plus tendre pitié. Il n'en est pas de même du frère: hideux à l'aspect, exigeant avec violence ce que la pauvreté de Joly ne peut donner, sujet à des excès soudains d'une colère extrême, il menace sa sœur et leurs hôtes. Quand il souffre et que ses étouffements augmentent, il brise les meubles de la pauvre chaumière; il devient si furieux quelquefois, que les voisins, accourus au bruit. de ses emportements, invitent Joly à réprimer tant de méchanceté; mais le vieux soldat répond toujours: «Dieu l'a chàtié plus que je ne saurais le faire, » et alors il se contente d'empècher le furieux de frapper sa propre sœur et sa mère adoptive.

Pour céder son lit au malheureux idiot, Joly couche à terre ; sa femme ne dort qu'à moitié pour être toujours prête à secourir le malheureux infirme. Les nuits sont affreuses: vaincu par l'excès des plus cruelles douleurs, l'idiot entre en des convulsions de désespoir et pousse des cris horribles. Quelquefois il se cramponne après la pauvre vieille femme, sa seconde mère, et l'étouffe dans ses étreintes.

Au milieu de cet enfer de douleurs, de cris et de violences continuelles, comment peut-on admirer assez la vigilance, la · pitié tendre et profonde, le dévouement héroïque des deux vieillards? Endurer la faim, le froid, se priver de tout, supporter le spectacle des maux les plus dégoûtants, travailler le jour, passer les nuits presque sans sommeil, voilà leur sort affreux et volontaire depuis dix-huit années. Cependant ils le supportent avec patience et sans jamais se plaindre. Ils acceptent même, comme une épreuve de la vertu, l'espèce de mépris et d'humiliation que l'aversion générale du pays pour le crétinisme répand sur les personnes que leur pitié détermine à vivre dans le commerce de cette odieuse infirmité.

Joly et sa femme auront bientôt atteint l'un et l'autre l'àge de soixante-dix ans. Des travaux multipliés, le long et pénible exercice des plus difficiles vertus, ont usé leurs forces. Bientôt peut-être ce qui leur en reste s'épuisera dans les fatigues et les privations auxquelles les condamnent les besoins toujours croissants de leurs enfants adoptifs. Ils voient leur fin approcher sans la craindre; mais ils savent que, aussitôt leurs yeux fermés, ces malheureux resteront dans un effrayant abandon. Cette seule pensée remplit leurs jours d'amertume, et empoisonne ce bonheur tranquille et pur que la conscience des bonnes œuvres donne à ceux qui les font.

Ah! si saint Vincent de Paul vivait parmi nous, n'irait-il pas faire un pèlerinage au pays qui possède Joly et sa femme, visiter leur chaumière, et les bénir au nom de la religion et de T'humanité?

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