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que vous étiez tombé dans le fond de la mer, et je sais à présent qu'il n'est pas possible d'y vivre.-Je tombai effectivement dans la mer quand notre vaisseau s'entr'ouvrit, reprit Jean Maurice; mais m'étant saisi d'une planche, j'abordai heureusement dans une ile, et je vous crus perdus. » Alors Jean lui raconta tout ce dont il put se souvenir, et son père pleura beaucoup quand il apprit la mort de sa femme. Marie pleurait aussi, mais c'était pour un autre sujet. « Hélas! s'écria-t-elle, à quoi sert d'avoir retrouvé notre père, puisqu'il doit être tué et mangé dans peu de jours!-Il faudra couper ses chaînes, reprit Jean, et nous nous sauverons tous les trois dans la forêt. -Et qu'y ferons-nous, mes pauvres enfants? répliqua Maurice; les sauvages nous attraperont, ou bien il faudra mourir de faim. Laissez-moi faire, dit Marie, je sais un moyen infaillible de vous sauver. »

Elle sortit en finissant ces paroles, et alla trouver le roi. Lorsqu'elle fut entrée dans sa cabane, elle se jeta à ses pieds, et lui dit : « Seigneur, j'ai une grande grâce à vous demander, voulez-vous me promettre de me l'accorder? — Je vous le jure, reprit le roi, car je suis fort content de votre service. -Eh bien! vous saurez que cet homme blanc dont vous m'avez ordonné de prendre soin, est mon père et celui de Jean; vous avez résolu de le manger, et je viens vous représenter qu'il est vieux et maigre, et qu'en conséquence il ne sera pas fort bon; je suis jeune et grasse, et j'espère que vous voudrez me manger à sa place; je ne vous demande que huit jours pour avoir le plaisir de le voir avant de mourir. En vérité, reprit le roi, vous êtes une si bonne fille, que je ne voudrais pas pour toutes choses vous faire mourir ; vous vivrez et votre père aussi. Je vous avertis même qu'il vient ici tous les ans un vaisseau plein d'hommes blancs auxquels nous vendons nos prisonniers; il arrivera bientôt, et je vous donnerai la permission de vous en aller. »

Marie remercia beaucoup le roi, et dans son cœur elle rendait grâces à Dieu qui lui avait inspiré d'avoir compassion d'elle. Elle courut porter ces bonnes nouvelles à son père; et quelques jours après, le vaisseau dont le roi avait parlé étant

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arrivé, elle s'embarqua avec son père et son frère. Ils abordèrent dans une grande île habitée par les Espagnols. Le gouverneur, ayant appris l'histoire de Marie, dit en lui-même : « Cette fille n'a pas un sou, et elle est bien brûlée du soleil ; mais elle est si bonne et si vertueuse, qu'elle pourra rendre son mari plus heureux que si elle était riche et belle. » Il pria Maurice de lui donner sa fille en mariage; il s'unit avec elle, et fit épouser une de ses parentes à Jean; en sorte qu'ils vécurent tous fort heureux dans cette ile, admirant la sagesse de la Providence, qui n'avait permis que Marie fût esclave que pour lui donner occasion de sauver la vie à son père.

LA PEYROUSE.

EXTRAIT DES ANNALES MARITIMES ET COLONIALES 1822 1823.

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EAN-FRANÇOIS GALAUP DE LA PEYROUSE, chef d'escadre, naquit à Albi en 1741. Entré dès ses jeunes ans dans l'école de la marine, ses premiers regards se tournèrent vers les navigateurs cé-. lèbres qui avaient illustré leur patrie, et il prit dès lors la résolution de marcher sur leurs traces; mais, ne pouvant avancer qu'à pas lents dans cette route difficile, il se prépara, en se nourrissant d'avance de leurs travaux, à les égaler un jour. Il joignit de bonne heure l'expérience à la théorie. Il avait déjà fait dix-huit campagnes quand le commandement de sa dernière expédition lui fut confié. Garde de la marine en 1756, il fit d'abord cinq campagnes de guerre, la cinquième sur le Formidable, commandé par Saint-André du Verger. Ce vaisseau faisait partie de l'escadre aux ordres du maréchal de Conflans, lorsqu'elle fut jointe, à la hauteur de Belle-Isle, par l'escadre anglaise. Les vaisseaux de l'arrière-garde, le Magnifique, le Heros et le Formidable, furent attaqués et envi

ronnés par huit ou dix vaisseaux ennemis. Le combat fut si terrible, que huit vaisseaux anglais ou français coulèrent bas pendant l'action, ou allèrent se perdre et se brûler sur les côtes de France. Le seul vaisseau le Formidable, plus, maltraité que les autres, fut pris après la plus vigoureuse défense. La Peyrouse se conduisit avec une grande bravoure dans ce combat, où il fut grièvement blessé.

Rendu à sa patrie, il fit dans le même grade, sur le vaisseau le Robuste, trois nouvelles campagnes. Il s'y distingua dans plusieurs circonstances, et son mérite naissant commença à fixer les regards de ses chefs.

En 1764, il fut promu au grade d'enseigne de vaisseau. Un homme moins actif eût profité des douceurs de la paix; mais sa passion pour son état ne lui permettait pas de prendre du repos.

En 1765, il était sur la flûte l'Adour; en 1766, il était sur la flûte le Gave; en 1767, il commandait la flûte l'Adour; en 1768, il commandait la Dorothée; en 1769, il commandait le Bugalet; en 1771 et 1772, il était sur la Belle-Poule.

En 1773, 1774, 1775, 1776 et 1777, il commandait la flûte la Seine et les Deux-Amis sur la côte de Malabar.

Il était lieutenant de vaisseau depuis le 4 avril 1777. En 1778, les hostilités entre la France et l'Angleterre recommencèrent par le combat de la Belle-Poule.

En 1779, La Peyrouse commandait l'Amazone, qui faisait partie de l'escadre aux ordres du vice-amiral d'Estaing. Il prit sur la côte de la Nouvelle-Angleterre la frégate l'Ariel, et contribua à la prise de l'Experiment.

Nommé capitaine en 1780, il commandait la frégate l'Astrée, lorsque, se trouvant en croisière avec l'Hermione, commandée par le capitaine Latouche, il livra, le 21 juillet, un combat opiniâtre à six bâtiments de guerre anglais, à six lieues du cap nord de l'Ile-Royale. Cinq de ces bâtiments formèrent une ligne pour l'attendre; le sixième resta hors de la portée du canon. Les deux frégates coururent ensemble sur l'ennemi, et manœuvrèrent avec tant d'habileté, que le désordre se mit bientôt dans l'escadrille anglaise. Au bout d'une demi-heure,

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