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voir partir. Le rapport qu'ils en firent au commandant lui fit. comprendre qu'il ne pouvait, sans paraître plus féroce que les lions mêmes, se dispenser de faire grâce à une femme dont le ciel avait pris si vivement la défense.

L'ANGE DES PRISONS, SUZANNE GÉRAL, FEMME GUIRAUD.

PRIX MONTYON, 1833.

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ERSONNE ne peut nier qu'il n'y ait dans la société des conditions où la pratique des devoirs de l'humanité soit plus difficile, et par cela même plus méritoire que dans les autres. Telle est sans doute la condition de ces hommes à qui la justice confie la garde des prisons. Forcés par leur position de vivre au milieu de toutes les misères

humaines, exposés à la contagion de tous les vices, au spectacle de toutes les douleurs; condamnés par état à subir la même peine que leurs malheureux hôtes, les gardiens ne semblent avoir sur les détenus d'autre avantage que l'autorité dont ils sont investis. Doit-on s'étonner qu'ils abusent quelquefois d'un privilége où ils trouvent le seul dédommagement du pénible métier qu'ils exercent?... Eh bien! c'est dans cette classe que l'Académie-Française a trouvé un exemple de vertu qu'elle vient offrir à l'admiration publique, dans la personne de Suzanne Géral, femme du sieur Guiraud, concierge de la maison d'arrêt de la ville de Florac, dans le département de la Lozère. Depuis vingt-six ans, ces deux époux se sont partagé les soins et les devoirs de leur profession. Le mari s'est acquitté des siens par l'ordre qu'il a su maintenir dans cette maison de force et par une surveillance qui n'a jamais été mise en défaut.

Sa femme, chargée d'une nombreuse famille, sans autre ressource que les faibles appointements de la place de son

mari, s'est imposé volontairement la tâche de faire d'une prison le sanctuaire de la bienfaisance. S'il était honorable de l'avoir entreprise, il est admirable de l'avoir exécutée. Prodigue envers les prisonniers de secours et de consolations, cette femme éminemment vertueuse a constamment rempli à leur égard les plus saints devoirs de l'humanité, sans qu'aucun obstacle ait pu la détourner du but qu'elle se proposait d'atteindre.

Là ne se borne pas l'éloge de la dame Guiraud. La ville de Florac manque d'hôpital, et depuis seize ans la prison sert d'asile aux malades indigents. Cette circonstance n'a fait que multiplier pour elle les occasions d'épancher les trésors de son inépuisable bonté. Ce fut surtout en 1818 que cet ange des prisons (comme on l'a surnommée dans la ville) s'abandonna sans réserve à cet instinct charitable qui la dirige dans toutes les actions de sa vie.

Un détenu sorti des prisons de Milhau est amené dans la maison d'arrêt de Florac. Il était atteint d'un typhus chronique. La contagion se communique rapidement quatorze prisonniers sont frappés à la fois. Tout le monde fuit, personne n'ose approcher de cette maison empestée. Suzanne, restée seule, partage pendant deux mois son temps et ses secours entre les quatorze malades et son mari, que le typhus avait atteint. De ses six enfants, quatre sont en bas âge, et réclament les soins journaliers de sa tendresse maternelle. Elle suffit à tout, elle est partout, et trouve le moyen de remplir à la fois ses devoirs d'épouse, de mère, et de satisfaire à tous les vœux de l'humanité. Il est prouvé que, pendant plus de deux mois qu'a duré la contagion, Suzanne Géral n'a pas une seule fois reposé sur un lit.

A une époque plus récente, lorsqu'à la suite de la campagne d'Espagne on fit évacuer les hôpitaux des départements voisins pour y recevoir les militaires, la maison d'arrêt de Florac se trouva tout à coup encombrée de malheureux, parmi lesquels une fièvre épidémique sévit avec fureur. Seule encore, avec le secours de ses jeunes enfants, elle fit tête à la contagion, et parvint à en arrêter les progrès.

Entreprendre de raconter tous les actes de charité de cette vertueuse femme serait faire l'histoire entière de sa vie; il faudrait dire combien de fois elle se dépouilla de ses vêtements pour en couvrir des prisonniers réduits au dénuement le plus absolu, et des pauvres infirmes dont les haillons tombaient en lambeaux; combien de fois elle leur distribua les aliments préparés pour sa propre nourriture et celle de sa nombreuse famille; il faudrait la suivre, lorsqu'elle n'avait plus rien à donner, dans les maisons particulières où elle allait mendier, pour ses malheureux pensionnaires, le denier de l'aumône et le pain de la pitié.

TRAIT D'AMOUR FRATERNEL.

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION.

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N 1585, des troupes portugaises qui passaient dans les Indes firent naufrage. Une partie aborda dans le pays des Caffres, et l'autre se mit à la mer sur une barque construite des débris du vaisseau. Le pilote, s'apercevant que le bâtiment était trop chargé, avertit le chef, Édouard de Mello, que l'on va couler à fond si l'on ne jette dans l'eau une douzaine de victimes. Le sort tomba entre autres sur un soldat dont l'histoire n'a pas conservé le nom. Son jeune frère tombe aux genoux de Mello, et demande avec instance de prendre la place de son aîné. «Mon frère, dit-il, est plus capable que moi; il nourrit mon père, ma mère et mes sœurs s'ils le perdent, ils mourront tous de misère; conservez leur vie en conservant la sienne, et faites-moi périr, moi qui ne puis leur être d'aucun secours.» Mello y consent, et le fait jeter à la mer. Le jeune homme suit la barque pendant six heures; enfin il la rejoint; on le menace de mort s'il tente de s'y introduire. L'amour

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de la conservation triomphe de la menace; il s'approche; on veut le frapper avec une épée qu'il saisit et qu'il retient jus

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qu'à ce qu'il soit entré. Sa constance touche tout le monde; on lui permet enfin de rester avec les autres, et il parvient ainsi à sauver sa vie et celle de son frère.

LOUISE NALLARD

PRIX MONTYON. 1830.

à ses enfants.

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Antoinette Nallard, soeur de Louise, a déjà, en 1827, obtenu un des prix de vertu fondés par M. de Montyon.

L'active charité semble naturelle dans cette honnête famille.

Louise est connue à Pont-de-Veyle pour la protectrice et la bienfaitrice des infortunés; elle va au-devant du malheur; elle trouve le secret de pénétrer dans l'asile de ceux qu'un revers imprévu, une maladie, ou le défaut d'ouvrage a fait tomber dans le besoin; elle leur procure des secours qu'elle ne pourrait tirer de ses propres ressources.

On compte si bien sur ses charitables dispositions, que souvent les malheureux s'adressent à elle, certains qu'ils sont d'être bien accueillis; elle les veille, les soigne dans leurs infirmités, et fait pour eux des quêtes utiles. On lui donne avec confiance, parce qu'on sait le bon emploi qu'elle fera des aumônes qu'on lui confie. Ses malades succombent-ils à leur souffrance, c'est elle-mème bien souvent qui les ensevelit et qui se charge de les faire enterrer.

En 1795 (elle n'avait alors que dix-huit ans tout au plus), appelée pour procurer quelques secours à une fille mendiante qui venait d'accoucher dans une écurie, elle voulut être la marraine du nouveau-né, dans l'intention de sauver cet enfant de la honte et des peines de la mendicité à laquelle il semblait destiné; elle le fit élever, le plaça ensuite chez d'honnêtes gens, et elle est parvenue à en faire un artisan estimable, bon époux et bon père de famille.

En 1805, une pauvre fille que personne n'osait approcher, à cause de l'odeur fétide qu'exhalaient les ulcères dont elle était couverte, fut pendant plus de six mois, c'est-à-dire tant qu'elle vécnt, l'objet des soins assidus de Louise Nallard; elle seule la pansait, faisait son lit, et lui procurait des secours et des aliments.

En 1812, elle s'est dévouée pour soigner une femme paralytique; elle la levait, la couchait, et cela pendant cinq années consécutives.

En 1825, à l'époque où un incendie a ravagé une grande partie du faubourg de Pont-de-Veyle, sa sollicitude s'est étendue sur toutes les familles que cet événement avait réduites à la misère; elle leur a procuré toutes sortes de secours, vêtements, des couvertures qu'elle réparait elle-même, des métiers pour travailler, etc. Enfin son activité a secondé

des

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