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établissements. Les fléaux les plus redoutables sont ceux qui appellent son investigation la plus attentive: à Constantinople, dans le Levant, on le voit au milieu des pestiférés; sur les rivages de l'Europe, il étudie ces lazarets, espèce de remparts élévés par l'administration publique contre l'invasion des maladies pestilentielles ; il en décrit la forme, il en trace l'histoire, il en expose les règlements.

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Quel que soit l'établissement où l'introduit son zèle infatigable, rien n'échappe à son regard scrutateur : la situation et la construction des édifices, leur distribution intérieure, le mobilier, la circulation de l'air et l'accès de la lumière, les vêtements et la nourriture, la boisson, le coucher, les soins de propreté, la discipline, les travaux, la conduite des préposés, la classification des personnes, les exercices religieux. Ses connaissances médicales lui servent même à apprécier le mérite du traitement des malades, à proposer quelquefois les moyens de l'améliorer. Toutes ces circonstances sont notées, indiquées avec précision et méthode on sent la chaleur de son âme sous ces tableaux; on sent la douleur profonde qu'il éprouve lorsqu'il voit la souffrance aggravée inutilement, et la douce joie qui le pénètre lorsqu'il est témoin d'une belle action, lorsqu'il contemple les secours d'une charité éclairée.

C'était peu des sacrifices qu'il avait faits en quittant son pays : les dangers de tout genre qu'il avait prévus viennent en effet l'assaillir; il brave la tempête comme la contagion. Une fois, comme le navire qui le portait en Italie tombait au pouvoir d'un forban de Tunis, c'est lui qui, par sa présence d'esprit et son courage, dirigeant le canon de ses propres mains, triomphe du corsaire. En 1789, il parcourait de nouveau la Russie. Le voici à Moscou, où plus de soixante-dix mille malades avaient succombé l'année précédente dans les hôpitaux. « J'espère porter, dit-il dans une de ses lettres, vers ces contrées lointaines, le flambeau d'une philanthropie éclairée. » Il apprend que la Crimée est désolée par de cruelles épidémies, que les secours manquent, que les victimes succombent en foule : il accourt à Witowka, à Cherson,

à Saint-Nicolas. Le plus affreux spectacle s'offre à ses yeux. Il porte son assistance au foyer même de l'infection; il donne l'exemple en soignant les malades de sa personne. Il est saisi au milieu d'eux du souffle pestilentiel; il succombe (le 20 janvier 1790), héros admirable et modeste, par le plus beau des martyres!

Les derniers mots qu'il avait tracés sur son journal étaient ceux-ci : « Je suis ici étranger et pèlerin; mais j'espère, avec la grace d'en haut, me rendre dans une contrée remplie de mes pères, de mes parents et des amis de ma jeunesse. J'espère que mon âme se réunira à ces âmes pieuses, et ce sera toujours avec le Seigneur... >>

Cet homme de bien, dont le dévouement pour autrui était sans bornes, était pour lui-même de la plus rigide austérité; il n'usait ni de viande ni de vin; le pain, les pommes de terre, les fruits, le beurre et le thé, étaient ses seuls aliments. Il fuyait les réunions du monde, les divertissements publics. « Je trouve, disait-il, à faire mon devoir, plus de plaisir que tous les divertissements du monde ne pourraient m'en procurer. » Une sainte indignation contre les abus qui attentent à l'humanité s'alliait en lui à la vraie charité, et en était encore l'expression; il n'hésitait pas à la témoigner hautement et sans détour. L'empereur Joseph II recueillit de sa bouche, sur les hôpitaux et les prisons de Vienne, d'austères vérités que ce prince, d'ailleurs, était digne d'entendre. Jamais la cause du malheur ne fut plaidée avec une plus mâle éloquence.

Une souscription avait été ouverte et remplie en Angleterre pour lui ériger une statue. Il l'apprend : il écrit aux souscripteurs avec l'accent du plus vif mécontentement; il obtient que ce projet soit retiré. Le monument a été érigé, après sa mort, dans l'église de Saint-Paul. Un autre lui a été élevé en Crimée. L'illustre orateur Burke lui a consacré l'une de ses plus belles improvisations; mais le monument le plus digne de lui est la grande œuvre d'amélioration dont il a posé les bases.

RECONNAISSANCE DES ANIMAUX.

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION

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ES Espagnols étant assiégés dans BuenosAyres par les peuples du canton, le gouverneur avait défendu à tous ceux qui demeuraient dans la ville d'en sortir. Mais craignant que la famine, qui com

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mençait à se faire sentir, ne fît violer ses ordres, il mit des gardes de toutes parts avec ordre de tirer sur tous ceux qui chercheraient à passer l'enceinte désignée. Cette précaution retint les plus affamés, à l'exception d'une femme, nommée Maldonata, qui trompa la vigilance de ces gardes. Cette femme, après avoir erré dans les champs déserts, découvrit une caverne qui lui parut une retraite sûre contre tous les dangers; mais elle y trouva une lionne dont la vue la saisit de frayeur. Cependant les caresses de cet animal la rassurèrent un peu; elle reconnut même que ses caresses étaient intéressées la lionne était pleine et ne pouvait mettre bas; elle semblait demander un service que Maldonata ne craignit pas de lui rendre. Lorsqu'elle fut heureusement délivrée, sa reconnaissance ne se borna pas à des témoignages présents; elle sortit pour chercher sa nourriture, et, depuis ce jour, elle ne manqua pas d'apporter aux pieds de sa libératrice une provision qu'elle partageait avec elle. Ces soins durèrent aussi longtemps que ses petits lionceaux la retinrent dans la caverne. Lorsqu'elle les en eut retirés, Maldonata cessa de la voir, et fut réduite à chercher sa subsistance elle-même; mais elle ne put sortir souvent sans rencontrer les Indiens, qui la firent esclave. Le ciel permit qu'elle fût reprise par les Espagnols, qui la ramenèrent à Buénos-Ayres. Le gouverneur

en était sorti; un autre Espagnol qui commandait en son absence, homme dur jusqu'à la cruauté, savait que cette femme avait violé une loi capitale; il ne la crut pas assez punie par ses infortunes. Il donna ordre qu'elle fût liée en pleine campagne pour y mourir de faim, qui était le mal dont elle avait voulu se garantir par la fuite, ou pour y être dévorée par quelque bête féroce. Deux jours après il voulut savoir ce qu'elle était devenue; quelques soldats, qu'il chargea de cet ordre, furent surpris de la trouver pleine de vie, quoique environnée de tigres et de lions qui n'osaient s'approcher d'elle, parce qu'une lionne, qui était à ses pieds avec plusieurs lionceaux,

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semblait la défendre A la vue des soldats, la lionne se retira un peu, comme pour leur laisser la liberté de délier sa bienfaitrice. Maldonata lear raconta l'aventure de cet animal, qui l'avait reconnue au premier moment; et lorsqu'après lui avoir ôté ses liens, ils se disposaient à la reconduire à Buenos-Ayres, la lionne la caressa beaucoup en paraissant regretter de la

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