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Bientôt on lui enjoignit de ne plus faire ses visites qu'aux époques de l'année consacrées par la piété filiale; encore lui fut-il prescrit de ne paraître qu'aux heures où la famille était seule, et d'entrer par un escalier dérobé, réservé aux domestiques. Si son père était malade, elle obtenait à grand peine la faveur de s'établir à son chevet, mais sous la condition de

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passer, même

ne point se nommer devant les étrangers, et de aux yeux des médecins, pour une garde salariée.

У avait trente ans que M. Garden s'était remarié. Depuis quelque temps il habitait la campagne, et sa fille ignorait le lieu de sa résidence, lorsqu'un jour il se présente chez elle, lui dit que ses affaires l'obligent à un séjour de peu de durée à Paris, et qu'il a résolu d'habiter pendant ce temps son modeste asile. M. Garden avait perdu sa fortune; la dissension l'éloignait de son autre famille; il n'avait plus au monde qu'une seule amie, c'était sa fille. Elle le reçoit avec transport, et s'empresse de lui céder son lit. M. Garden, depuis ce moment jusqu'à sa mort, qui arriva deux ans après, ne parla plus de retourner chez lui. Jamais sa fille ne lui fit la moindre

question sur les motifs qui avaient pu l'engager à se séparer de sa femme et de son fils. Elle souffrait d'une maladie douloureuse; elle retrouva des forces pour servir et soigner son père.

Elle employait la matinée à raccommoder les habits de M. Garden, à blanchir son linge, à préparer ses repas. Les personnes chez lesquelles elle travaillait avaient consenti à ce qu'elle n'allât à sa journée qu'à midi; mais, pour regagner le temps perdu, elle y restait jusqu'à onze heures du soir. Son modique salaire ne pouvait suffire à la dépense de deux personnes, d'autant plus qu'une pieuse délicatesse lui faisait une loi de cacher à son père une partie de sa misère; elle se vit forcée de profiter de la bonne volonté de quelques voisins bienveillants, et de contracter envers eux des dettes qui, à la mort de son père, et grossies par les dépenses de sa dernière maladie, s'élevaient à cinq cents francs. Quelle somme pour une pauvre fille qui n'a que son travail pour vivre! Son père est mort entre ses bras.

La piété filiale est un devoir; mais n'est-il pas des circonstances qui donnent un caractère de haute vertu à une action mème obligatoire? et d'ailleurs, Mlle Garden a d'autres titres.

Dans le temps où elle vivait seule, et avant qu'elle eût le bonheur de revoir son père, elle recueillit chez elle Mlle Sophie de Vailly, son amie, ouvrière comme elle, comme elle pauvre et sans appui. Après huit ans, Mlle de Vailly fut attaquée d'une maladie de poitrine qui dura deux années. Mlle Garden, quoique malade elle-même, passait les nuits à veiller auprès de son amie, et les jours à travailler avec ardeur pour procurer à la pauvre poitrinaire les soulagements que réclamait son état, et même pour satisfaire ses fantaisies.

Un vieillard, parent de Mlle de Vailly, lui succéda dans l'affection de Mlle Garden; elle le recueillit à son tour, le soutint de son travail, et l'assista dans ses derniers moments.

Depuis la mort de son père, elle partage ses faibles ressources avec une pauvre veuve septuagénaire, Mme Brossette. Rien n'est plus touchant que l'union qui règne entre ces deux pauvres femmes. Cependant Mile Garden était déjà tourmentée.

par l'idée de cette dette de cinq cents francs, contractée pour subvenir aux derniers besoins de son père; mais comment fermer sa porte et son cœur à cette malheureuse Mme Brossette? Aussi elle travaille de toutes ses forces, elle s'impose des privations sans les imposer à sa compagne, afin de payer sa dette, et son vou le plus ardent est de ne point mourir sans y être parvenue.

Mlle Garden est restée tout à fait étrangère au dessein formé par des personnes charitables de la faire concourir au prix de vertu. Si on l'avait consultée, jamais elle n'aurait consenti à ce qu'on publiât sa bonne conduite envers son père.

LA MERE ADOPTIVE. REINE BEAUBIS, VEUVE BORDIER.

PRIX MONTYON, 1829.

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Ly a environ vingt ans qu'une dame bien mise, accompagnée d'un particulier qui paraissait être son mari, apporta à Reine Beaubis, veuve Bordier, laitière à Belleville, près Paris, département de la Seine, qui tenait chez elle des enfants en bas âge pour les sevrer, une petite fille de dix à onze mois, qu'elle voulait, disait-elle, laisser quelque temps à la campagne pour la fortifier. Quelque temps après, l'enfant tomba malade; la mère vint la voir, et dit à la veuve Bordier qu'une petite médecine serait nécessaire. Elle l'apporta bientôt, et la fit prendre ellemême à l'enfant, qui ne tarda pas à éprouver de violentes douleurs, accompagnées de vomissements. A force de soins, elle se rétablit; mais les convulsions lui restèrent et devinrent périodiques. La mère ne reparut point; celui qui avait accompagné la mère dans sa première visite, et qui s'est dit le père de l'enfant, vint voir la veuve Bordier, lui promit que ses soins pour la petite malade seraient libéralement

reconnus, et la pria de les lui continuer. C'est ce que cette excellente femme n'a pas manqué de faire; et ces soins sont devenus bien pénibles, car la jeune enfant est demeurée épileptique et dans un état d'aliénation mentale; elle ne peut lier deux idées ensemble, et son vocabulaire se borne à quelques mots péniblement articulés; elle y joint des gestes et des regards qui dénotent-qu'elle eût été d'un naturel heureux.

Depuis dix ans, la veuve Bordier n'a eu aucune nouvelle du père ni de la mère; on lui a conseillé plus d'une fois de mettre l'enfant dans un hospice; elle ne l'a pas voulu : « Je la garde«< rai, dit-elle; c'est une enfant que j'ai de plus (elle en a quatre), «<elle portera bonheur aux autres. Elle m'a donné tant de mal! « elle est d'ailleurs si bonne! si caressante! Ne me croit-elle « pas sa mère? je ne veux pas m'en séparer. »

Elle a fait, pour guérir cette enfant, tout ce qu'elle a pu, comme si elle eût été sa mère; ou plutôt elle n'a pas fait comme son père et sa mère qui l'ont abandonnée; elle a consulté les médecins, n'a point épargné les remèdes, et dans les dépenses qu'elle a faites, n'a consulté que son bon cœur. Aujourd'hui que la jeune fille est reconnue incurable, la veuve Bordier n'est rebutée ni par la nature effrayante de sa maladie, l'épilepsie, ni par la surveillance et par tous les soins qu'exige son triste état d'aliénation mentale.

Et cette brave femme ne possède au monde qu'une vache, qu'elle nourrit des herbes qu'elle va, de grand matin, arracher dans les champs; elle tient en sevrage quelques enfants qui lui sont confiés et dont elle a le plus grand soin. C'est là sa seule industrie avec la vente du lait de sa vache, dont une partie est consommée par les petits enfants qu'elle tient en garde. Tous ses moyens sont dans son courage, et elle trouve son bonheur dans la continuité de sa bonne action. Si ce récit tombe entre les mains des père et mère, ils sauront que leur fille est vivante, qu'elle est soignée, que, malgré son infirmité, elle est d'un caractère doux, qu'elle les aurait aimés, qu'elle les aimerait encore !...

DEVOUEMENT PATERNEL D'UN PAUVRE.

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION

N homme nommé Jacques exerçait une profession vile, s'il est quelque profession qui puisse humilier; il avait une femme et quatre enfants; son travail lui fournissait à peine de quoi procu

rer la subsistance à cette malheureuse famille. Il goûtait cependant le vrai bonheur; son cœur s'ouvrait à la joie quand ses enfants paraissaient contents et chantaient avec lui. Il employait les jours et les nuits à son travail ingrat. Jacques, malgré tous ses soins, ses veilles, son obstination à combattre son triste sort, se vit accablé de la plus affreuse misère sa femme, ses enfants, tombèrent dans le besoin; ils gémirent, ils demandèrent du pain. Jacques pleura avec eux, il sentit l'horreur de leur situation; il oubliait en quelque sorte que lui-même avait faim, pour se remplir des cris et de l'état horrible de sa famille. Il implora l'assistance de ses voisins; la plupart dédaignèrent même de le regarder. Il demanda l'aumône avec des larmes, on ne l'écouta pas, et l'on ne vit point ses pleurs; ou si quelqu'un à qui il arrivait par hasard d'avoir une légère émotion d'humanité, s'arrêtait pour lui donner du secours, c'était un si faible soulagement que sa femme et ses enfants ne faisaient que reculer leur fin de trèspeu d'instants. Ce malheureux, au désespoir, court égaré dans les rues; il rencontre un de ses camarades de la même profession, et à peu près aussi indigent que lui. Celui-ci est frappé de la douleur où il voit Jacques; il lui en demande le sujet : «Je suis perdu, répond le pauvre homme; ma femme, mes enfants, n'ont pas mangé depuis hier midi, et... je ne

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