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comment il raconte lui-même la cause qui le conduisit à se consacrer à l'éducation des sourds-muets :

« Le P. Vanin, prêtre de la doctrine chrétienne, avait commencé l'éducation de deux sœurs jumelles, sourdesmuettes de naissance. Ce respectable ministre étant mort, ces deux pauvres filles se trouvèrent sans aucun secours, personne n'ayant voulu, pendant un temps assez long, entreprendre de continuer ou de recommencer cet ouvrage. Croyant donc que ces deux enfants vivraient et mourraient dans l'ignorance de leur religion. si je n'essayais pas de la leur apprendre, je fus touché de compassion pour elles, et je dis qu'on pouvait me les amener, que j'y ferais tout mon possible. »

Quelle touchante simplicité unie à la charité la plus pure! Lorsque l'abbé de l'Épée conçut sa généreuse pensée, il ignorait les faibles tentatives de ses prédécesseurs; et, eussentelles été à sa connaissance, il n'en resterait pas moins l'inventeur de l'art d'instruire les sourds-muets car, le premier, il a su l'asseoir sur sa véritable base; le premier, il a su imprimer à son œuvre le caractère d'un bienfait général pour une classe nombreuse de la société.

Inventeur d'un art si utile à l'humanité, l'abbé de l'Épée en fut encore le plus zélé promoteur. Sa sollicitude ne se borna pas aux sourds-muets de sa patrie: il devint encore l'apôtre de leurs frères d'infortune dans les autres pays. C'est pour eux qu'il eut la patience d'apprendre plusieurs langues étrangères. <«< Puissent, dit-il, ces différentes nations ouvrir les yeux sur l'avantage qu'elles retireraient de l'établissement d'une école pour l'instruction des sourds-muets de leur pays! Je leur ai offert et je leur offre encore mes services, mais toujours à condition qu'elles n'oublieront pas que je n'en attends et que je n'en recevrais aucune récompense, de quelque nature qu'elle pût être. »

Pendant son séjour à Paris, l'empereur Joseph II assista aux leçons de l'abbé de l'Épée. Frappé d'admiration, il lui offrit une abbaye dans ses états. « Je suis déjà vieux, répondit de l'Épée; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur ma tête, déjà courbée vers la tombe, qu'il faut

le placer c'est sur l'œuvre même. >> L'empereur saisit la pensée de l'abbé de l'Épée : il lui envoya l'abbé Storck, qui, après avoir recueilli ses leçons, retourna dans sa patrie pour fonder l'institution des Sourds-Muets de Vienne.

En 1780, l'ambassadeur de Russie étant venu féliciter l'abbé de l'Épée de la part de l'impératrice Catherine II, et lui offrir de riches présents: « Monsieur l'ambassadeur, répondit l'abbé, dites à Sa Majesté que je ne lui demande, pour toute faveur, que de m'envoyer un sourd-muet que j'instruirai. >>

Trente sourds-muets étaient instruits gratuitement par l'abbé

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de l'Épée, à la fois l'instituteur et le père de ses élèves. C'était lui qui pourvoyait à tous leurs besoins; il vêtait les uns, et payait pour les autres des pensions, des maîtres, des apprentissages. Sa sollicitude les suivait dans tous les quartiers de la capitale; il continuait d'être leur patron après avoir cessé d'être leur instituteur. Jouissant d'un revenu de douze mille livres, il s'imposait des privations pour en épargner à ses enfants adoptifs. Pendant le rigoureux hiver de 1788, ce vieillard vénérable. restait sans feu pour ne pas augmenter sa dépense personnelle.

Ses élèves le forcèrent à s'acheter du bois. Souvent il leur disait Mes amis, je vous ai fait tort de cent écus. »

L'abbé de l'Épée mourut à l'âge de soixante-dix-sept ans, en 1789, le 23 décembre, jour anniversaire de la naissance de Montyon! Son oraison funèbre fut prononcée, le 23 février 1790, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, en présence d'une députation de l'Assemblée nationale. La loi des 21 et 29 juillet 1791 consacra les vœux du père des sourdsmuets en fondant l'institution de Paris.

Bénie soit la science quand elle se met ainsi au service de l'humanité! Qu'étaient ces leçons individuelles données, avant l'abbé de l'Épée, à un petit nombre de sourds-muets appartenant aux classes riches?... Pour lui, c'est la classe entière des sourds-muets qu'il embrasse dans sa sollicitude; il réunit ses élèves dans un enseignement collectif, et ce sont les pauvres qu'il appelle à lui de préférence. Il provoque la fondation d'instituts semblables; il forme des instituteurs, missionnaires zélés, habiles, qui vont propager l'art bienfaisant et l'appliquer en diverses contrées; il convie, il accueille les disciples qui lui arrivent, dans le même but, de Vienne, d'Espagne, d'Italie, de Suisse, de Hollande. C'est lui qui a imprimé le mouvement, déterminé l'essor qu'a pris, depuis un demi - siècle, ce mode d'enseignement dans les deux mondes. « C'était, disait-il, l'unique récompense qu'il désirat sur la terre. »

Ame généreuse, il s'attacha avec ardeur à ces infortunés précisément à raison de leur infortune; il leur dévoua trente années entières, sans réserve, et ne respira que pour eux jusqu'à son dernier soupir.

A un désintéressement aussi absolu sous le rapport de la fortune, ou plutôt à une libéralité si admirable, l'abbé de l'Epée joignit un autre genre de désintéressement non moins méritoire et non moins rare inventeur d'un nouvel art, créateur d'un établissement si utile à l'humanité, le voit-on élever aucune prétention, réclamer aucune faveur ?... Aussi simple que modeste, il s'efforce même d'affaiblir le mérite qu'on lui attribue. Loin de repousser les améliorations, il les

accueille, de quelque part qu'elles viennent. Il déclare qu'il n'a marché lui-même que par tâtonnements, qu'il s'est trompé plus d'une fois, et qu'il s'est réformé chaque fois qu'il a été éclairé sur l'une de ses erreurs.

Mais les méthodes ne sont entre ses mains qu'un instrument: son but est de faire du sourd-muet un chrétien, un sujet vertueux, « de le rendre, comme il l'a dit souvent, à la religion, à la patrie. » Cette vérité importante, et trop souvent méconnue, que l'instruction n'est rien sans l'education, fut parfaitement comprise par l'abbé de l'Épée. Il ne se borna pas au rôle d'instituteur en éveillant l'intelligence de ses élèves, il forma leur caractère; il eut sur eux un grand empire, dont il fit un digne usage. Cet empire, il le dut sans doute à l'autorité qu'il tenait de ses fonctions, de ses vertus et de son àge; mais il en fut aussi redevable à cette puissance d'affection qui sera toujours, dans l'éducation, le moyen le plus assuré de succès. Et qui porta jamais aux sourds-muets une affection plus vive, plus tendre, plus indulgente, plus constante que l'abbé de l'Épée?... Elle fut la passion de sa vie entière.

LE FUNAMBULE BIENFAISANT, JOSEPH-NICOLAS PLEGE.

PRIX MONTYON 1836

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L n'y a heureusement point de profession dont les devoirs ne puissent se concilier avec l'amour et la pratique de la vertu; mais il en est quelques-unes qui rendent cette alliance plus difficile et plus rare, et les obstacles que

la vertu rencontre dans ses développements, selon les circonstances où elle est placée, ajoutent à son mérite. Joseph-Nicolas Plège, né à Troyes, en 1808, et acrobate de province, avait manifesté dès l'enfance un excellent naturel, qui s'est fortifié avec l'âge. Le pauvre funambule, à peine

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