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L'ADOPTION, OU LE CINQUIÈME ENFANT.

PRIX MONTYON, 1839.

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N conducteur de cabriolet de remise, François Poyer, qui stationne depuis dix ans à l'hôtel des Fermes, rue de Grenelle-Saint-Honoré, s'est toujours fait remarquer dans sa profession par une conduite régulière et par des moeurs irréprochables. Il est marié, il a quatre enfants, et n'a, pour soutenir sa famille, que le salaire quotidien qu'il reçoit du propriétaire de sa voiture.

En 1829, une dame vient mettre son jeune fils en sevrage chez lui. Le premier mois fut payé d'avance; mais de longtemps la mère ne revient plus, et l'enfant abandonné reste à la charge de Poyer, dont le travail suffit à peine à nourrir et à élever les siens; mais il n'hésite pas à en garder un cinquième il supprime le vin de ses repas pour subvenir à cette nouvelle dépense.

Après deux ans, la mère du pauvre enfant reparaît enfin, mais pour le réclamer. On s'en sépare avec peine on le lui rend sans exiger un juste salaire; mais quand, quelques jours après, l'honnête conducteur va s'informer de la santé de son petit Louis, la mauvaise mère se trouble: elle balbutie, et répond avec embarras que la veille elle a envoyé son fils aux environs de Tours, chez de riches parents qui ont promis d'en prendre soin. La tendresse de Poyer s'inquiète : il soupçonne un mensonge. Il va s'informer à toutes les voitures publiques, et s'assure qu'aucun enfant n'est parti pour Tours à l'époque désignée. Infatigable dans ses recherches, il apprend qu'il en a été exposé un aux portes de la Préfecture de police;

que de là il a été transféré à l'hospice des Enfants-Trouvés. Il y court, et reconnaît son pauvre nourrisson, faible, souffrant,

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menacé de perdre la vue. Il le réclame, il veut reprendre son bien; mais les règlements s'y opposent: ils exigent qu'à sa majorité une somme de deux cent cinquante francs lui soit assurée par contrat. Que faire?... Poyer, désolé, consulte sa famille. Elle approuve sa résolution, et le lendemain, 14 septembre 1829, l'acte d'adoption est dressé par M. Champion, notaire. A d'anciennes privations s'ajouteront des privations nouvelles; le mari travaillera plus matin, la femme veillera plus tard, et les deux cent cinquante francs sont assurés. Oh! quel beau jour pour Poyer quand il ramène son cinquième enfant dans ses modestes foyers! Sa mère d'adoption, qui était bien sa véritable mère, le presse dans ses bras; ses tendres soins lui rendent la santé, et, après douze ans où il n'a reçu que de bonnes leçons et surtout de bons exemples, ses parents adoptifs l'ont mis en apprentissage dans un établissement de menuiserie. Poyer a aujourd'hui soixante-quatre ans. Si.son courage est toujours le même, ses forces peuvent le trahir; mais sa vieillesse ne sera point abandonnée il devra à un, des plus grands bienfaiteurs de l'humanité une part du trésor que sa

confiance a remis en nos mains, et jamais un plus digne usage n'en aura été fait. L'Académie a accordé à Poyer un prix de trois mille francs.

JOSEPH IGNACE, DIT NAXI.

PRIX MONTYON. 1839

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Ly a en Lorraine une petite ville peu connue, au milieu de plaines basses et marécageuses, à quelques lieues de Nancy. Une rivière la traverse qui, pendant la belle saison, a souvent peu d'eau; en quelques endroits on peut la passer alors à gué, on s'accoutume ainsi àla croire sans danger; mais l'eau y devient tout à coup très-haute, à la moindre pluie d'orage; elle a des places fort redoutées dans le pays et citées pour nombre d'accidents.

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Dans cette ville qu'on appelle Vic, au bord de la Seille, c'est le nom de la rivière, habite un homme que la Providence semble y avoir placé tout exprès pour répondre à tous ceux qui, dans les accidents que la crue des eaux amène, invoquent du secours. Joseph Ignace, dit Naxi, toujours prêt au moment du besoin, a en cela d'autant plus de mérite que ce n'est point un batelier, un homme de rivière. Son métier est de la ville: c'est un chapelier, un ancien soldat.

Le soin de sauver les malheureux surpris et entraînés par les eaux est devenu chez lui une habitude et presque une vocation, de telle sorte qu'on a fini par le considérer dans le pays comme le gardien de la rivière. Si un accident arrive, la première idée qui vient, c'est d'aller chercher Joseph Ignace. On dit: Si Joseph était là! et Joseph est toujours là: Dès qu'on l'appelle, il a quitté son travail, sa boutique, sa table, son lit, l'hiver comme l'été, par tous les temps et à toutes les heures.

Il a commencé dès l'enfance cette carrière de dévouement et d'humanité. A onze ans, il avait déjà sauvé un homme.

Beaucoup de faits sont signalés par la ville de Vic; et un grand nombre de gens qu'il a sauvés, de tous âges et de tous états, les appuient de leurs témoignages.

C'est un vigneron, Louis Vaultrin, qui pêchait au bord de la Seille et que la Seille avait entraîné; c'est un sellier, Nicolas Chaussier, qui tombe à l'eau, prêt à périr; un soldat qui se noie avec son cheval; des ouvriers qui chavirent avec leur bateau; deux écoliers se baignant dans un courant trop rapide, qui ont déjà disparu sous l'eau, et qu'il rend à leur famille. Une autre fois, c'est un malheureux aliéné qu'il sauve; c'est une femme âgée; c'est une petite fille de trois ans.

Cette enfant était tombée dans la rivière du haut d'un pont. Deux habitants de Vic, témoins de sa chute, s'étaient aussitôt élancés après elle; mais, inhabiles à nager, ils ne purent l'atteindre. L'eau, très-haute alors, l'avait entraînée déjà loin; l'enfant surnageait toujours; mais vers un endroit fort dangereux on voyait déjà l'eau tourbillonner autour d'elle, prête à l'engloutir. On accourt chez Joseph Ignace. Il venait de prendre son repas, il était malade, le froid de l'eau pouvait le tuer. II part, malgré sa femme qui se jette au-devant de lui pour le retenir. Aux supplications et aux larmes de sa femme il répond un seul mot : « Je veux sauver cette enfant-là. » Il l'a ramenée à son père, et maintenant, grâce à cet homme généreux, elle est vivante, elle grandit, elle joue, elle a cinq ans.

Mais un jour surtout fut le jour de triomphe de sa courageuse et persévérante humanité.

La rivière de Seille, enflée par de longues pluies, avait répandu l'inondation sur ses deux rives. Elle était entrée dans les rues de la ville, elle était montée de plusieurs pieds jusque dans les habitations. Beaucoup de gens appelaient du secours Joseph. Ignace entendit tout le monde. Il suit son impulsion, il fait son office accoutumé. Des ménages entiers, maris et femmes, parents âgés et petits enfants, lui durent leur sûreté, leur salut. Avec un dévouement infatigable, par le froid du mois de novembre, il resta dans l'eau depuis six'

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JOSEPH IGNACE DIT NAXI. Je veux sauver cet enfant-là.

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