Page images
PDF
EPUB

ses propres vêtements, et leur donnait même encore des se

cours.

C'eût été, au reste, beaucoup pour tout autre que le sieur Dacheux, que ce courage de s'élancer ainsi dans les flots pour en retirer les personnes qui y étaient tombées, d'affronter les périls d'une telle entreprise, de les surmonter même à force d'exposer sa vie; mais pour le sieur Dacheux, ce courage ne suffisait pas à l'ardeur de ce sentiment profond d'humanité qui l'emportait comme malgré lui et disposait de toutes ses facultés. Sur le rivage même, et au moment où le corps de l'asphyxié était déposé, le sieur Dacheux, collant sa bouche contre celle

[graphic][merged small]

de l'asphyxié, soufflait dans ses poumons un air pur qui réta blissait le mouvement de ses organes, et rappelait la vie presque éteinte de l'infortuné.

Certes, c'est là un dévouement dont le caractère est au-dessus de toute espèce d'appréciation, et dont on ne peut pas calculer l'effort; c'est le triomphe de l'humanité; c'en est, pour ainsi dire, le beau idéal.

On cherche quelle pourrait être l'espèce de récompense qu'il serait possible d'assigner à un dévouement semblable, on n'en trouve pas.

On est forcé, malgré soi, de respecter la grandeur d'un tel sacrifice.

On craindrait, pour ainsi dire, d'en affaiblir l'honneur par des récompenses.

Une vertu si élevée, et qui, en même temps, a des racines si profondes, ne peut trouver son prix qu'en elle seule.

Et cependant, une chose qui ajoute encore à cette vertu, quelque étonnante qu'elle puisse être, c'est que, pour la rendre en quelque sorte inutile, et pour qu'il fût possible de remplacer, dans les secours à donner aux asphyxiés par immersion pour les rappeler à la vie, l'incroyable travail que le sieur Dacheux ne craignait pas de faire lui-même dans le même objet, la passion de l'humanité lui a fait, par de profondes combinaisons, perfectionner une pompe destinée à le suppléer lui-même, en introduisant par la bouche, dans le corps des asphyxiés, un air doucement échauffé d'avance au degré de la température humaine, et qui rend de cette manière aux poumons l'élasticité de leurs mouvements.

Ainsi, par l'adoption de ce mécanisme ingénieux, le sieur Dacheux a pu espérer de suppléer, à force d'art, à ces secours bienfaisants qu'il avait le généreux courage de donner à ce genre de malheur, mais qu'on pouvait désespérer de voir

imiter.

Un service de cette nature, un service aussi immense, aussi fécond dans ses résultats, aussi utile à l'humanité, n'est-il pas au-dessus de toutes les récompenses?

Les peuples anciens s'étaient sentis eux-mêmes dans l'impuissance de les payer, ces services.

Le peuple romain n'avait trouvé qu'une couronne de chène poser sur la tête de celui qui avait sauvé un homme.

Si on en avait sauvé plusieurs, ce peuple célèbre ajoutait à la couronne des monnaies ou des médailles cette devise fameuse : Ob cives servatos.

Mais cette couronne, ces monnaies, ces médailles, c'était de la gloire.

Cette gloire n'est pas non plus étrangère au sieur Dacheux. Un regard du monarque est tombé sur lui.

Une médaille lui a été décernée en son nom.

Des dons de sa munificence lui ont été accordés aussi. Le sieur Dacheux est père de famille, il n'a aucune fortune; il a, à la vérité, une place, et qui était bien la seule qui pût lui convenir, celle de préposé à la surveillance des boîtes de secours aux noyés et aux asphyxiés, mais un traitement très-médiocre est attaché à cette place, et aussi n'a-t-il pu s'établir que dans une cabane qu'on lui a permis de construire sur le port Saint-Nicolas, et d'où, toujours semblable à luimême, il épie en quelque sorte, à chaque moment orageux ou seulement menaçant, tous les accidents qui peuvent réclamer son zèle, pour y remédier sur-le-champ.

LE BON GENDARME, JOSEPH TAINE

PRIX MONTYON. 1828

EAUCOUP de personnes sont portées à croire que les habitudes militaires n'inspirent d'autre zèle que celui de l'honneur et de la bravoure. Cette fermeté, ce mépris de la vie qu'elles donnent au soldat, semblent l'endurcir sur les calamités ordinaires, et l'affranchir de l'exercice des résignations circonscrites dans le foyer domestique. Les élans de la force l'emportent à de nobles périls plutôt qu'ils ne le soumettent aux patientes commisérations. Le département de la Haute-Saône recommande le beau-frère de Froux, petit marchand de toile, de qui la femme ne survécut que trois semaines à son mari. Son allié, le brave Philippe-Ferdinand-Joseph Taine, simple gendarme de la brigade de Rioz, chargé lui-même de six enfants en bas age, n'ayant d'autres moyens que sa solde et une faible rente de cent franes, ne craignit pas d'accroître sa pénurie et de devenir le

père des quatre orphelins, ses collatéraux indirects. A force

[graphic]

d'industrie et d'épargnes, il parvint à nourrir et à élever cette double et nombreuse famille. Deux de ses filles adoptives sont déjà couturières et lingères; il espère successivement pourvoir d'un état ses autres enfants, restés encore à sa charge. Joseph Taine n'a pas ralenti ses ponctuels et loyaux services en s'imposant un tel surcroît d'activité. Le charitable héroïsme de ce gendarme donne un bel exemple au corps de la gendarmerie, car, tandis qu'on outre-passait parfois les rigueurs de la discipline pour exécuter des mesures abusivement cruelles, lui, fidèlement soumis à la loi de l'humanité, se sacrifiait sans réserve au devoir de secourir le malheur et la faiblesse. C'était ennoblir les règles de l'obéissance.

SUR LA FÊTE DE LA ROSE, ÉTABLIE A SALENCY.

EXTRAIT DE L'ANCIENNE MORALE EN ACTION

[graphic]

INSTITUTION de la fête de la Rose 'est très-ancienne. On l'attribue à saint Médard, évêque de Noyon, qui vivait dans le cinquième siècle de notre ère, du temps de Clovis. Ce bon évêque, qui était en même temps seigneur de Salency, village à une demi-lieue de Noyon, avait imaginé de donner tous les ans à celles des filles de sa terre qui jouiraient de la plus grande réputation de vertu, une somme de vingt-cinq livres et une couronne ou chapeau de roses. On dit qu'il donna lui-même ce prix glorieux à une de ses sœurs, que la voix publique avait nommée pour être rosière. On voit encore au-dessus de l'autel de la chapelle de Saint-Médard, située à l'une des extrémités du village de Salency, un tableau où ce saint prélat est représenté en habits pontificaux, et mettant une couronne de roses sur la tête de sa sœur, qui est coiffée en cheveux et à genoux.

Cette récompense devint pour les filles de Salency un puissant motif de sagesse. Indépendamment de l'honneur qu'en retirait la rosière, elle trouvait infailliblement à se marier dans l'année. Saint Médard, frappé de ces avantages, perpétua cet établissement; il détacha des domaines de sa terre douze

« PreviousContinue »