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ger les petits Savoyards, à leur donner les premiers éléments de la religion, et à ajouter à des instructions utiles, le plus puissant moyen de persuasion, celui de leur procurer du travail et des secours, pour les préserver également de la misère et de l'oisiveté. La religion et la charité sont inséparables : l'une élève l'homme jusqu'au ciel, l'autre en descend pour consoler le malheur sur la terre.

Les regards paternels de l'abbé Duval pénétrèrent jusque dans l'obscurité des prisons. Il n'avait pas le pouvoir de briser les fers des détenus; mais il pensait que le défaut d'instruction et surtout d'une instruction religieuse, avait autant contribué que leur dépravation morale aux excès dont ils s'étaient rendus coupables. L'abbé Duval se flatta de pouvoir rendre à la vertu les plus jeunes d'entre eux, en leur rendant

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les goûts honnêtes et estimables qu'un certain degré d'instruction dispose toujours à cultiver, lorsque le cœur n'est pas entièrement corrompu.

Un ecclésiastique respectable, M. Arnoux, en avait conçu la première pensée. La connaissance qu'il avait prise de l'état des prisons, lui fit voir que le plus pressant besoin était de séparer les jeunes coupables de ceux d'un âge plus avancé, dont

les exemples et les discours ne pouvaient que les entretenir dans l'habitude des vices, et peut-être les familiariser avec le crime.

L'abbé Duval saisit fortement l'idée de M. Arnoux, et entrevit tous les avantages que la religion et la morale publique pouvaient en recueillir. Il concourut à son exécution par tous les moyens qui étaient en son pouvoir. Le gouvernement accueillit le plan de l'abbé Arnoux avec une grande satisfaction, et lui accorda l'ancien couvent des Dominicains de la rue SaintJacques, pour recevoir ces jeunes détenus. C'est là qu'on s'occupa à les rendre à la religion, à leurs familles et à la société, en leur procurant cette instruction religieuse et morale dont ils étaient dépourvus, et en leur faisant apprendre différents métiers, pour leur procurer, pour la suite de leur vie, une existence douce, honnête et indépendante. L'abbé Arnoux consentit à se charger de la direction de cet établissement. Le succès le plus heureux et le plus complet fut la récompense de ce ministère vraiment pastoral, et justifia les espérances des pieux institu

teurs.

Aussitôt que l'abbé Duval créait une institution, ou était appelé à lui donner la forme et les règles les plus propres à en assurer le succès et la stabilité, il formait en même temps une association pour en maintenir l'esprit et en perpétuer le bienfait; il en réunissait les membres de temps en temps auprès de lui, se faisait rendre compte de leurs travaux, les soutenait par ses encouragements et les dirigeait par ses utiles avis.

Mme la marquise de Croisy, l'une des principales coopératrices de l'abbé Duval dans ses œuvres de bienfaisance, acheta une maison à Issy pour y fonder une congrégation des religieuses de Saint-André, à l'instar de celles de Poitiers, qui se consacrent à l'instruction des enfants dans la campagne. L'abbé Duval ne se borna pas à seconder les vues saintes et utiles qui avaient présidé à cet établissement; il obtint en peu de temps tous les fonds nécessaires et tous les objets propres à répandre, parmi les jeunes filles des campagnes, cette instruction élémentaire dont elles étaient privées.

Mais l'entreprise la plus extraordinaire peut-être de l'abbé

Duval, celle dont la candeur la plus pure pouvait seule concevoir la pensée, et oser promettre le succès, ce fut de mettre en quelque sorte la vertu en présence habituelle du vice. Ce fut lui qui créa l'œuvre des Filles Repenties. Il excita des dames qui avaient une entière confiance en lui à aller dans les prisons, et à essayer de ramener à Dieu et à la vertu des âmes qui semblaient flétries par le vice, mais que l'ignorance et des occasions funestes avaient peut-être entraînées au mal. Son courage triompha de tous les obstacles, et passa dans le cœur de quelques personnes généreuses qui se dévouèrent à une tâche si effrayante avec une ardeur que la religion seule pouvait inspirer. Le succès qui a couronné leurs efforts a justifié les espérances et la sagacité de celui qui en avait conçu le projet, et qui en avait pressé l'exécution.

Il serait curieux de connaître le montant des sommes que la confiance publique a mises successivement à la disposition de l'abbé Duval; mais il avait, à cet égard, une sorte de pudeur qui donnait un charme de plus à la pureté de sa charité. C'était dans des assemblées publiques qu'il provoquait les dons d'une bienfaisance libre, secrète, volontaire; c'était ensuite dans des réunions particulières, entre des personnes connues par leur sagesse et leur bon esprit, qu'il concertait les mesures les plus propres à en assurer la destination. Les fonds ne passaient jamais par ses mains, il se contentait de les créer. Il n'avait par lui-même ni places, ni fortune; il était étranger au monde ; il vivait dans la retraite et n'en sortait que pour les devoirs de son ministère, et ce qui lui restait de son modique patrimoine n'aurait pas suffi aux premiers moyens de subsister. Mais quels étaient donc les moyens de cet homme qui a fait tant de choses en si peu de temps? Ses moyens se bornaient à la confiance qu'il savait inspirer, au charme d'une sensibilité douce et modeste, à la seule passion qu'il ait jamais éprouvée, celle de faire du bien aux hommes.

Il était écrit que l'apôtre de la charité en devait mourir le martyr. Appelé auprès d'une dame mourante dans les derniers jours de décembre, il alla au milieu de la nuit, par un froid rigoureux, et quoique déjà souffrant, porter ses prières et ses

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derniers secours à l'agonisante. Frappé lui-même à mort, il expira, à l'âge de cinquante-cinq ans, le 18 janvier 1819, entre les bras de l'abbé Desjardin, son digne ami.

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Le concours immense qui accompagna son cercueil, les larmes répandues, la douleur triste et silencieuse qui se remarquait sur toutes les physionomies, peignent mieux que les paroles les regrets qu'inspirait la mort de cet homme vertueux. Mais ce qui est le plus frappant dans ce concours unanime de louanges et de bénédictions, c'est que l'on n'entendit pas une seule voix malveillante troubler cette harmonie de la piété, de la douleur et de la reconnaissance; et, tandis qu'on voit les vertus les plus pures outragées par la calomnie, les réputations les plus honorables flétries par de viles accusations, les intentions les plus innocentes dénaturées par d'odieuses insinuations, l'abbé Duval jouit presque seul de cette honorable exception, qui n'a pas permis à un seul trait de l'envie et de la méchanceté d'arriver jusqu'à son nom et à sa mémoire.

GENEREUSE BIENFAISANCE D'UN REMOULEUR.

PRIX MONTYON, 1821

NTOINE BONAFOX, âgé de quarante ans, né dans le département du Cantal, exerçant à Paris le métier de rémouleur ou gagne-petit, logeait dans la même maison et au même étage que la veuve Drouillant, qui est âgée aujourd'hui de soixante

ans.

Des attestations nombreuses ont certifié le mérite et les malheurs de cette femme. Elle avait eu douze enfants, et les avait tous nourris; il lui restait seulement un garçon quand elle

perdit son mari.

Ce funeste événement la réduisait à la misère, et ne lui permettait plus de donner de l'éducation et un métier à son fils. Le rémouleur, qui n'a pour subsister lui-même que le produit de ce qu'il peut gagner chaque jour, fut touché de l'infortune de la mère et du sort de son fils. II commença par donner quelques secours, que cette bonne femme tâchait de reconnaître par son zèle et ses soins envers lui.

La veuve Drouillant ayant été atteinte d'une attaque d'apoplexie, Bonafox s'opposa à ce qu'elle fût transportée à l'hôpital, et fit des sacrifices pour qu'elle fût traitée chez elle.

Son fils avait été mis en apprentissage. Le bon rémouleur

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