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LES DOUZE FRERES.

EXTRAIT DU PEUPLE INSTRUIT PAR SES PROPRES VERTUS

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Ly a quelque temps, douze soldats, n'ayant que leur solde pour vivre, tous fils d'un vieillard presque centenaire, obtinrent un congé dont ils profitèrent pour venir voir leur père, qu'ils trouvèrent manquant de pain. «< Point de pain! s'écria l'un d'eux, et avoir donné douze défenseurs à la patrie! Il faut que notre bon père soit assiste. Mais comment? - N'y a-t-il pas un lombard (1) ici? dit le plus jeune après un moment de réflexion. Un lombard! qu'en ferions-nous? Avons-nous quelque chose à y porter? On ne prête rien sans sûreté. Nous n'avons rien ! reprit le jeune homme; vous allez voir. Notre père a été tailleur, il a exercé longtemps ce métier; il meurt de faim, cela prouve sa probité. Nous sommes tous au service depuis quelques années, personne ne peut nous reprocher la moindre chose contre l'honneur. Mettons cet honneur en gage; on nous confiera bien cinquante livres sterling sur ce dépôt. Cette idée fut approuvée unanimement, et les frères écrivirent et signèrent tous ce billet: « Douze Anglais, fils d'un tailleur réduit à la plus grande pauvreté à l'âge de près de cent ans, servant tous douze le roi et la patrie avec zèle, demandent à la direction du lombard la somme de cinquante livres pour soulager leur infortuné père. Pour sûreté de cette somme, ils engagent leur honneur, et promettent le remboursemennt dans le terme d'une année. » Ils firent porter ce billet à la direction du lombard, et allèrent eux-mêmes en chercher la réponse.

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* Mont-de-Piété.

Elle fut favorable. On leur donna les cinquante livres, on déchira le billet, et on promit de fournir aux besoins du vieillard pendant sa vie.

TRAIT DE JUSTICE.

EXTRAIT DE LA MORALE EN ACTION.

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ANS les rues de Vienne, l'empereur se promenant seul, vêtu comme un simple particulier, rencontra une jeune personne tout éplorée, qui portait un paquet sous son bras. « Qu'avez-vous? lui dit-il affectueusement; que portez-vous? où allez-vous? Ne pourrais-je calmer votre douleur?-Je porte des hardes de ma malheureuse mère, répondit la jeune personne au prince qui lui était inconnu; je vais les vendre; c'est, ajouta-t-elle d'une voix entrecoupée, notre dernière ressource. Ah! si mon père, qui versa tant de fois son sang pour la patrie, vivait encore, ou s'il avait obtenu la récompense due à ses services, vous ne me verriez pas dans cet état. Si l'empereur, lui répondit le monarque attendri, avait connu vos malheurs, il les aurait adoucis; vous auriez dû lui présenter un mémoire, et employer quelqu'un qui lui eût exposé vos besoins.- Je l'ai fait, répliqua-t-elle, mais inutilement; le seigneur à qui je m'étais adressée, m'a dit qu'il n'avait jamais pu rien obtenir.On vous a déguisé la vérité, ajouta le prince en dissimulant la peine qu'un tel aveu lui faisait; je puis vous assurer qu'on ne lui aura pas dit un mot de votre situation, et qu'il aime trop la justice pour laisser périr la veuve et la fille d'un officier qui l'a bien servi. Faites un mémoire, apportez-le-moi demain au château, en tel endroit, à telle heure; si tout ce que vous dites est vrai, je vous ferai parler à l'empereur, et vous en obtiendrez justice. » La jeune personne, en essuyant ses pleurs, prodiguait

des remerciements à l'inconnu, lorsqu'il ajouta : « Il ne faut cependant pas vendre les hardes de votre mère; combien comptiez-vous en avoir?-Six ducats, dit-elle. - Permettez que je

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vous en prête douze, jusqu'à ce que nous ayons vu le succès de nos soins. >> A ces mots, la jeune fille vole chez elle, remet à sa mère les douze ducats avec les hardes, et lui fait part des espérances qu'un seigneur inconnu vient de lui donner; elle le dépeint, et des parents qui l'ecoutaient reconnaissent l'empereur dans tout ce qu'elle en dit. Désespérée d'avoir parlé si librement, elle ne peut se résoudre à aller le lendemain au château : ses parents l'y entraînent; elle y arrive tremblante, voit son souverain dans son bienfaiteur, et s'évanouit. Cependant le prince, qui avait demandé la veille le nom de son père et celui du régiment dans lequel il avait servi, avait pris des informations, et avait trouvé que tout ce qu'elle lui avait dit était vrai. Lorsqu'elle eut repris ses sens, l'empereur la fit entrer avec ses parents dans son cabinet; il lui dit de la manière la plus obligeante: « Voilà, Mademoiselle, pour madame votre mère, le brevet d'une pension égale aux appointements qu'a

vait monsieur votre père, dont la moitié sera réversible sur vous, si vous avez le malheur de la perdre. Je suis fâché de n'avoir pas appris plus tôt votre situation, j'aurais adouci votre sort.» Depuis cette époque, ce prince a fixé un jour de la semaine où tout le monde est admis à son audience.

L'ABBÉ LEGRIS-DUVAL.

EXTRAIT D'UNE NOTICE SUR SA VIE, PAR LE CARDINAL DE BEAUSSET.

DMIRONS cet homme si puissant en œuvres et en paroles! C'est un simple ecclésiastique qui, né dans une condition ordinaire, n'a rien demandé ni aux hommes ni à la fortune. Il ne se présente point aux regards du monde et à la considération publique avec l'éclat des honneurs et des dignités; il n'a aucun titre pour exercer l'autorité et commander l'obéissance; il ne porte avec lui que des paroles de douceur, de paix et de charité; il fait rarement entendre le tonnerre des vengeances du ciel. Son évangile est celui de Jésus-Christ, qui attire et adoucit les cœurs, pardonne à la faiblesse en faveur du repentir, fait haïr le vice et aimer la vertu. Il a l'onction de Fénelon, T'active charité de saint Vincent de Paul.

René-Michel Legris-Duval naquit à Landernau (département du Finistère) en 1765. En 1790, il commence à exercer les fonctions du saint ministère vers lequel un penchant irrésistible l'avait attiré dès son enfance. Retiré à Versailles et à Meudon, pendant la tourmente révolutionnaire, il s'échappait souvent de sa retraite pour porter les secours de la religion dans la ville et dans les campagnes où il savait que son ministère était réclamé.

En s'engageant au pied des autels au service de Dieu, il s'engagea en même temps, par une promesse formelle, à se dévouer

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tout entier au bien de ses semblables, à s'oublier lui-même autant qu'il le pourrait, à ne travailler, à n'exister que pour lui et pour eux. « Ah! s'écriait-il, qu'elle est pénétrante, qu'elle <«<est heureuse, cette pensée que nous sommes utiles aux autres! « Partout on trouve des malheureux à consoler, des aveugles « à éclairer, des faibles à soutenir, des pauvres à secourir; «partout des amis et des frères. »

Les pieuses occupations de l'abbé Duval et les succès de son ministère avaient porté son nom à Paris. Il y fut appelé en 1796, et bientôt, telles furent la confiance et l'estime qu'on lui accordait, qu'on ne pouvait concevoir une pensée ou un plan de bienfaisance qu'on ne se crût obligé de le lui soumettre pour en diriger et en régler l'exécution. On le considérait en quelque sorte comme le premier ministre de la Providence, et son concours était regardé comme le garant de l'approbation publique et le gage infaillible du succès. Aussitôt qu'il consentait à attacher son nom à un établissement quelconque, les moyens, les agents, les instruments venaient s'offrir d'eux-mêmes à son inépuisable charité.

C'était sur les traces de saint Vincent de Paul que l'abbé Duval aspirait à marcher, sur celles du célèbre curé de SaintSulpice, M. Languet, dont l'ameublement consistait en un lit de serge et deux chaises de paille, et qui trouvait le moyen de distribuer, tous les ans, un million d'aumônes aux pauvres. Il ne prononça pas un seul sermon ou un seul discours, la dernière année de sa vie, qui n'eût pour objet quelque établissement utile.

Il prêcha dans l'église des Missions-Étrangères, le 22 décembre 1817, pour l'œuvre des pauvres Savoyards. Cette œuvre si respectable, commencée dans le dernier siècle par l'abbé de Pontbriant, continuée et perfectionnée par le vertueux abbé de Fénelon, digne du beau nom qu'il portait, unissait par un lien de confraternité commune, fondée sur l'habitude des pratiques religieuses et morales, ces jeunes étrangers, orphelins en France, sans amis et sans protecteurs. L'abbé Duval fit plus encore que ses respectables prédécesseurs. Excités et appelés par lui, d'estimables jeunes gens consentirent avec joie à diri

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