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de Théatre. Ils font réglez à huit chacun. Vous pourrez trouver quelque chofe d'étrange aux innovations en l'orthographe que j'ay hazardées icy, et je veux bien vous en rendre raison. L'usage de noftre Langue eft à prefent fi épandu par toute l'Europe, principalement vers le Nord, qu'on y voit peu d'Eftats où elle ne foit connuë; c'est ce qui m'a fait croire qu'il ne feroit pas mal à propos d'en faciliter la prononciation aux Eftrangers, qui s'y trouvent fouvent embarraffez par les divers fons qu'elle donne quelquefois aux mefmes lettres. Les Hollandois m'ont frayé le chemin, et donné ouverture à y mettre distinction par de différents Caractères, que juf

querons. L'édition de 1660 n'est précédée d'aucun avertissement. Comme ce morceau est un exposé du système d'orthographe que Corneille avait adopté, nous avons tenu à en donner une sorte de fac-simile: c'était le seul moyen de faire comprendre les règles qu'établit l'auteur et les détails où il entre. Les fautes et les inconséquences que l'on remarquera çà et là, montrent combien il était fondé à dire, à la fin de cet avis, que les imprimeurs avaient eu de la peine à suivre ses instructions. Dans les éditions de 1663, 1664, 1668, ils n'avaient même pas fait la distinction, dont notre poëte parle en commençant, de l'i et du j, de l'u et du v.

1. Dans l'édition de 1663, l'avis commence ainsi :

« Ces deux Volumes contiennent autant de Pieces de Theatre que les trois que vous auez veus cy-deuant imprimez in Octavo*. Ils 'sont réglez à douze chacun, et les autres à huit. Sertorius et Sophonisbe ne s'y joindront point **, qu'il n'y en aye assez pour faire vn troisiéme de cette Impression, ou vn quatriéme de l'autre. Cependant comme il ne peut entrer en celle-cy que deux des trois Discours qui ont seruy de Prefaces à la précedente, et que dans ces trois Discours j'ay tasché d'expliquer ma pensée touchant les plus curieuses et les plus importantes questions de l'Art Poëtique, cet Ouurage de mes reflexions demeureroit imparfait si j'en retranchois le troisiéme. Et c'est ce qui me fait vous le donner en suite du second Volume,

* Il s'agit ici de l'édition de 1660. Les deux premiers volumes contiennent huit pièces chacun, comme le dit Corneille, mais le troisième n'en renferme que sept: Rodogune, Héraclius, Andromède, Don Sanche d'Arragon, Nicomède, Pertharite et OEdipe.

** Ces deux pièces avaient été représentées en 1662 et en 1663.

qu'icy nos Imprimeurs ont employé indifféremment. Ils ont feparé les i et les u consones d'avec les i et les u voyelles, en fe fervant toufiours de l'j et de l'o, pour les premiéres, et laiffant l'i et l'u pour les autres, qui jusqu'à ces derniers temps avoient efté confondus'. Ainfi la

attendant qu'on le puisse reporter au deuant de celuy qui le suiura, si-tost qu'il pourra estre complet.

a Vous trouverez quelque chose d'étrange, etc. »

Le début de l'avis de l'édition de 1664, in-8°, est beaucoup plus

court:

« Ces trois volumes contiennent autant de Pieces de Theatre que les deux nouvellement imprimez in folio. Ils sont reglez à huit chacun, et les autres à douze. Sertorius, Sophonisbe et Othon* ne s'y joindront point, qu'il n'y en aye assez pour en faire vn quatrième.

«< Cependant vous pourrez trouuer quelque chose d'étrange, etc. » Dans l'édition de 1668, l'avis commence de même que dans celle de 1664; mais les mots : « Vous pourrez trouver, etc., » viennent immédiatement après les derniers mots de la seconde phrase: a les autres à douze; » et la phrase intermédiaire est omise.

1. On a prétendu, mais à tort, que Ramus avait proposé le premier de distinguer dans l'impression l'i du j et l'u du ø. Il faut remonter au moins jusqu'à Meigret, qui a dit en 1550 dans le Tretté de la grammere francoeze : « Rest'encores j consonante a laqell ie done double proporcion de celle qi et voyelle, e lui rens sa puissanc' en mon écritture. » (Folio 14 recto.) « Ao regard de l'u consonante, ell❜aoroet bien bezoin d'etre diuersifiée, attendu qe qant deus uu s'entresuyuet aveq qelq'aotre voyelle nou' pouuons prononcer l'un pour l'aotre. » (Folio 12 verso.) On voit, du reste, que Meigret, qui pourtant ne manquait pas de hardiesse, se borne à proposer cette distinction sans la mettre lui-même en pratique.

Les imprimeurs hollandais furent les premiers à l'établir. Elle est déjà très-nettement observée dans l'Argenis de Barclay imprimée en 1630 par les Elzévirs; les majuscules seules font exception. Quelques imprimeurs des confins de la France ne tardèrent pas à suivre cet exemple. Les Zetzner, de Strasbourg, introduisirent l'U rond et le J consonne dans les lettres capitales. On trouve déjà ces caractères dans le volume intitulé: Clavis artis Lullianæ.... opera et studio

* Cette dernière pièce a été représentée à Fontainebleau à la fin de juillet 1664, et l'achevé d'imprimer du Ier volume de l'édition de 1664 porte la date du 15 août.

prononciation de ces deux lettres ne peut estre douteuse, dans les impreffions où l'on garde le mesme ordre, comme en celle-cy. Leur exemple m'a enhardy à paffer plus avant. J'ay veu quatre prononciations differentes dans nos f, et trois dans nos e, et j'ay cherché les moyens d'en ofter toutes ambiguitez, ou par des caractères differens, ou par des régles generales, avec quelques exceptions. Je ne fçay fi j'y auray reüffi, mais fi cette ébauche ne déplaift pas, elle pourra donner jour à faire un travail plus achevé fur cette matiere, et peut-eftre que ce ne fera pas rendre un petit fervice à noftre Langue et au Public. Nous prononçons l'f de quatre diverfes manieres: tantoft nous l'afpirons, comme en ces mots, pefte, chafte; tantoft elle allonge la fyllabe, comme en ceux-cy, paste, teste; tantost elle ne fait aucun fon, comme à esbloüir, esbranler, il eftoit; et tantoft elle fe prononce comme un z, comme à prefider, prefumer. Nous n'avons que deux differens caracteres, f, et s, pour ces quatre differentes prononciations; il faut donc eftablir quelques maximes générales pour faire les diftinctions entieres. Cette lettre fe rencontre au commencement des mots, ou au milieu, ou à la fin. Au commencement elle afpire toujours foy, fien, fauver, fuborner; à la fin, elle n'a presque point de fon, et ne fait qu'allonger tant soit peu la fyllabe, quand le mot qui fuit fe commence par une confone; et quand il commence par une voyelle, elle fe détache de celuy qu'elle finit pour fe joindre avec elle, et fe prononce toûjours comme un z, foit qu'elle foit précedée par une confone, ou par une voyelle.

Dans le milieu du mot, elle eft, ou entre deux voyelles,

Johannis Henrici Alstedl, Argentorati, sumptibus heredum Lazari Zetzneri, 1633. Cependant il faut convenir que dans le texte courant on rencontre de temps à autre quelques infractions à la règle.

ou aprés une confone, ou avant une confone. Entre deux voyelles elle paffe toufiours pour z, et aprés une confone elle aspire toufiours, et cette difference fe remarque entre les verbes compofez qui viennent de la mefme racine. On prononce prezumer, rezifter, mais on ne prononce pas conzumer, ny perzifter. Ces régles n'ont aucune exception, et j'ay abandonné en ces rencontres le choix des caracteres à l'Imprimeur, pour se fervir du grand ou du petit, felon qu'ils fe font le mieux accommodez avec les lettres qui les joignent. Mais je n'en ay pas fait de mesme, quand l' eft avant une confone dans le milieu du mot, et je n'ay pù fouffrir que ces trois mots, refle, tempefle, vous eftes, fuffent efcrits l'un comme l'autre, ayant des prononciations fi differentes. J'ay refervé la petite s pour celle où la fyllabé est aspirée, la grande pour celle où elle eft fimplement allongée, et l'ay fupprimée entierement au troifiéme mot où elle ne fait point de fon, la marquant feulement par un accent fur la lettre qui la précede. J'ay donc fait ortographer ainfi les mots fuivants et leurs femblables, peste, funeste, chaste, refiste, espoir; tempefte, hafte, tefte; vous étes, il étoit, ébloüir, écouter, épargner, arréter. Ce dernier verbe ne laisse pas d'avoir quelques temps dans fa conjugaifon, où il faut luy rendre l'f, parce qu'elle allonge la fyllabe; comme à l'imperatif arreste, qui rime bien avec teste; mais à l'infinitif et en quelques autres où elle ne fait pas cet effet, il est bon de la fupprimer et efcrire, j'arrétois, jay arrété, j'arréteray, nous arrétons, etc.1.

1. Ce projet a failli être officiellement adopté. On trouve des renseignements à ce sujet dans les Observations de l'Académie françoise touchant l'orthographe, conservées au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, dont j'ai donné l'analyse dans l'Ami de la religion du 31 mai 1860.

Ces Observations, rédigées par Mézeray, furent soumises en 1673

Quant à l'e, nous en avons de trois fortes. L'e feminin, qui fe rencontre toufiours, ou feul, ou en diphtongue, dans toutes les derniéres fyllabes de nos mots qui ont la terminaifon féminine, et qui fait fi peu de fon, que cette fyllabe n'eft jamais contée à rien à la fin de nos vers féminins, qui en ont toufiours une plus que les autres. L'e masculin, qui fe prononce comme dans la langue Latine, et un troifiéme e qui ne va jamais fans l's, qui luy donne un fon eflevé qui fe prononce à bouche ouverte, en ces mots : fucces, acces, expres. Or comme ce feroit une grande confufion, que ces trois e, en ces trois mots, afpres, verite, et apres, qui ont une prononciation fi differente, euffent un caractére pareil, il est aifé d'y remédier, par ces trois fortes d'e que nous donne l'Imprimerie, e, é, è, qu'on peut nommer l'e simple, l'e

à l'examen de plusieurs académiciens, dont la liste se trouve en tête du volume. Corneille y figure, toutefois on ne rencontre dans ce manuscrit aucune note de lui; mais, dans son travail préparatoire, Mézeray avait rappelé en ces termes l'innovation introduite par l'illustre poëte : « M2. de Corneille a proposé que pour faire connoistre quand l'S est muette dans les mots où qu'elle sifle, il seroit bon de mettre une S ronde aux endroits où elle sifle, comme à chaste, triste, reste, et une f longue aux endroits où elle est muette, soit qu'elle fasse longue la voyelle qui la précède, comme en tempefte, feste, teste, etc., soit qu'elle ne la fasse pas, comme en efcu, efpine, defdire, efpurer, etc. »

« L'usage en seroit bon, objecte Segrais, mais l'innovation en est dangereuse. »

« Je n'y trouve point d'inconvenient, sur tout dans l'impression, réplique Doujat, et ce n'est plus une nouveauté puisque Mr. de Corneille l'a pratiqué depuis plus de dix ou douze ans. »

« Où est l'inconuenient? dit Bossuet; ie le suiurois ainsi dans le dictionnaire et l'en ferois une remarque expresse où l'alleguerois l'exemple de Mr. Corneille. Les Hollandois ont bien introduit u et v pour u voyelle et u consone, et de mesme i sans queue ou avec queue. Personne ne s'en est formalisé; peu à peu les yeux s'y accoustument et la main les suit. »

1. Contée, comptée. Voyez le Lexique.

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