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tude du droit, la pratique de la justice, si vous vous effrayez des orages d'un État libre, eussiez-vous les richesses de Carthage unies à la force de Rome, vous périrez!

Mars 1860.

MONTESQUIEU.

ESPRIT DES LOIS

MESSIEURS,

Le 25 août 1816, un an après la chute rapide et méritée du gouvernement impérial, l'Académie française couronnait un éloge de Montesquieu dans lequel on lit ces belles paroles :

<< Si toutes les nations de l'Europe, enfin réunies par l'intérêt de l'humanité et la fatigue « de la guerre, voulaient élever un monument << de leur réconciliation et choisir un grand << homme dont l'image, consacrée dans ce temple « nouveau, parût un symbole de justice et d'alliance, elles ne le chercheraient ni parmi les héros, ni parmi les rois. Mais si l'Europe avait produit un sage dont la gloire fût un

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titre pour le genre humain, et dont les hon«neurs au lieu de flatter une vanité nationale,

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paraîtraient un hommage décerné par tous « les peuples au génie qui les éclaire; un philosophe assez profond pour n'être pas novateur, qui eût bien mérité de tous les siècles par des << ouvrages composés avec tant de prévoyance et « de réserve, que, sans avoir jamais pu servir « de prétexte aux révolutions, ils pourraient en épurer les résultats, et devenir l'explication et l'apologie de cette liberté sociale qu'ils n'ont pas imprudemment réclamée; si ce grand « homme avait à la fois recommandé le patrio<tisme et la raison; s'il avait flétri le despotisme « d'un opprobre aussi durable que la raison humaine; s'il avait montré ce lien de politique

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qui doit rapprocher tous les peuples, et chan

ger le but de l'ambition, en rendant le com"merce et la paix plus profitables que ne l'était < autrefois la conquête; ne serait-ce pas l'image « de ce véritable bienfaiteur de l'Europe, ne se«rait-ce pas l'image de Montesquieu qu'il faudrait aujourd'hui placer dans le temple de la

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paix, ou dans le sénat des rois qui l'ont jurée?» (M. Villemain).

Messieurs, cet éloge du génie de la liberté politique et sociale prononcé au sein d'une académie qui venait d'échapper à peine au joug d'un despotisme ombrageux, à plus forte raison puisje le répéter ici, dans ce pays libre, au sein de cette Université où l'enseignement ne reconnaît d'autres limites et ne respecte d'autres règles que celles du bon sens, de la morale, de la vérité. Louer Montesquieu, c'est en quelque sorte vous louer vous-mêmes et avec vous toutes les nations soucieuses de leurs droits; car c'est lui qui a jeté les fondements de l'édifice sous lequel vous vivez en paix. Nous avons déjà étudié les deux premiers livres de ce grand esprit. Vous avez pu vous convaincre de sa souplesse, de sa grâce et de sa force. Les Lettres persanes vous ont montré les deux premières qualités; les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence vous ont appris la troisième unie à la profondeur. Il me reste à vous en enseigner la solidité et l'étendue. Nourri de sévères études, le génie du compatriote de Montaigne embrasse des idées de plus en plus vastes et générales. Il monte lentement, et d'un pied sûr, à de nouveaux som

mets, où, baigné d'une atmosphère plus transparente, il aperçoit et saisit de plus lointains horizons.

Les Lettres persanes, œuvre de sa jeunesse, sont empreintes, comme je l'ai dit, des qualités et des défauts de cet âge charmant, audacieux, mais ductile, malléable, facile aux entraînements, crédule aux séductions. Elles participent de la légèreté des mœurs du temps. A force de vouloir égayer la France, la distraire de l'ennui des dernières années du règne de Louis XIV, elles risquent de la faire glisser sur la pensée de l'indifférence et du scepticisme. Livre d'un homme d'infiniment d'esprit, quoique conseiller au Parlement de Bordeaux, elles jugent par un mot piquant, elles décident par une saillie, par un trait, par un sarcasme, en un style ingénieux et brillant sur les questions les plus épineuses. Belle audace de la jeunesse! spontanéité des premiers temps de l'intelligence! ce qu'ils ne savent pas ils le devinent; avant d'avoir pensé, ils prononcent; ils ne discutent pas, ils affirment. Souvent, ils rencontrent juste. Mais, d'aventure, la folle du logis chevauche et les emporte hors des sentiers du vrai où nous autres, les vieux,

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