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ce qui ne l'étoit point; vous n'avez rien prouvé; vous n'avez pas raisonné.

Que d'hommes, dans tous les élats, sont des raisonneurs impitoyables, qui nous accablent de donc, de par conséquent, en outrageant le sens commun et la droite raison! Ne voyons-nous pas tous les jours de ces disputeurs furieux, être du même sentiment et prêts à s'entre-déchirer? Ils s'attaquent, sans fixer l'état de la question; ils se battent avec les premières armes qui se présentent; ils ne font aucun choix des moyens, et cette escrime adroite, qu'on appelle Forme de l'Argumentation, ne fait que rendre leur combat plus long, plus opiniâtre et plus cruel : l'épuisement les sépare, et souvent dans le repos de la trève, ils reconnoissent avec confusion qu'un seul mot les eût mis d'accord. On ne peut trop prévenir les jeunes gens contre ces abus aussi pernicieux que fréquens de la Dialectique. Qu'ils s'appli quent donc, avec tout le soin dont ils sont capables, à s'assurer, dans leurs raisonnemens, de la bonté du principe qu'ils établissent et de la justesse des conséquences

qu'ils en déduisent. Si la conséquence est une suite nécessaire du principe avancé, et si ce qu'elle renferme est faux, c'est une preuve que le principe était mauvais ; et il faut alors, sans en rougir, revenir sur ses pas la honte est de s'égarer, et non de corriger ses erreurs.

Munis de ces notions simples et faciles faisons maintenant l'analyse des différentes espèces de Raisonnemens que propose la Logique. On en compte sept, qui sont : l'Induction, le Sorite, l'Exemple, le Dilemme, l'Épichérème, l'Enthymème et le Syllogisme.

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DE L'INDUCTION. (1)

Le mot même d'Induction annonce la nature de cette première sorte de Raisonnement, et iudique qu'il faut amener et

(1) Du verbe inducere, produire, mettre en

avant.

recueillir plusieurs parties dont on fasse c'est en effet la structure lo

un tout

gique de l'Induction. Elle consiste à rassembler des Propositions singulières, de l'union desquelles résulte une Conclusion générale. Par exemple, veux-je prouver que tout n'est que vanité sur la terre? Je dirai :

La santé n'est que vanité,
La vie n'est que vanité,
La gloire n'est que vanité,

Les grâces ne sont que vanité,
Les plaisirs ne sont que vanité,
Les richesses ne sont que vanité,
Donc tout n'est que vanité.

On voit toutes les Propositions singulières concourir à former un ensemble frappant, qui ne peut être terminé que par une Proposition universelle dont la vérité dépend des vérités partielles qui la précèdent. C'est une énumération dont l'exactitude fait la perfection du Raisonnement; et on n'a droit de conclure en grand, que quand on a rapproché toutes les particularités nécessaires. Mais ici le rapprochement s'est fait d'une manière stricte et sèche, telle que

l'exige le précepte: voyons donc comment les bons Auteurs savent l'embellir et le couvrir de fleurs, sans altérer sa force. C'est ainsi que s'exprime BOSSUET, dans son Oraison funèbre de MADAME, Duchesse d'Orléans:

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« Non, après ce que nous venons de voir, » la santé n'est qu'un nom, la vie n'est qu'un » songe, la gloire n'est qu'une apparence, les » grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux » amusement: tout est vain en nous, excepté le » sincère aveu que nous faisons devant Dien de >> nos vanités, et le jugement arreté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.

>>

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Comment prouve-t-il encore, dans son Oraison funèbre de MARIE-THÉRÈSE d'Autriche, qu'un vrai chrétien meurt tous les jours, selon le langage de l'Apôtre? Ecoutons-le :

« Un chrétien n'est jamais vivant sur la » terre, parce qu'il y est toujours mortifié, » et que la mortification est un essai, un » apprentissage, un commencement de la » mort. Vivons-nous, chrétiens, vivons-nous? » Cet âge que nous comptons, et où tout » ce que nous compions n'est plus à nous, >> est-ce une vie? et pouvons-nous n'aperce>> voir pas ce que nous perdons sans cesse » avec les années? Le repos et la nourri

»ture ne sont-ils pas de foibles remèdes de » la continuelle maladie qui nous travaille? » Et celle que nous appelons la dernière, qu'est-ce autre chose, à le bien entendre, qu'un redoublement et comme le dernier » accès du mal que nous apportons en nais

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>> sant! >>

Quelle noblesse ! quelle force! comme tout respire la vigueur et la grâce dans cette belle Induction! Avec quel art les règles n'y sont-elles pas cachées! Essayons de les reconnoître, et nous en serons convaincus. Nous dirions avec la rigueur logiqne :

Un chrétien se mortifie tous les jours, et c'est mourir ;

Un chrétien voit tous les jours que tout ce qu'il compte n'est plus à lui, et c'est mourir ;

Un chrétien sent tous les jours ce qu'il perd avec les années, et c'est mourir;

Un chrétien est dans une maladie continuelle, et c'est tous les jours mourir ;

Un chrétien ne termine sa vie que par un redoublement du mal qu'il apporte en naissant, et c'est tous les jours être mort: Donc un chrétien meurt tous les jours.

Le Raisonnement est sans doute le même, mais quelle différence dans la couleur !

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