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c'est dans Homère qu'on la trouvera, au Livre 11 de l'Iliade, depuis le vers 455 jusqu'au vers 483, où ce Prince des poètes se plaît à peindre l'ardeur des Grecs pour le combat, lorsque échauffés par les harangues d'Ulysse, et surtout par l'inspiration de Minerve, ils rejettent le dessein de retourner dans leur patrie.

DU DILEMME (1).

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PEUT-ON presser plus vivement un homme qui craindroit de s'expliquer, qu'en le forçant de répondre oui ou non? Peut-on plus l'embarrasser, qu'en lui prouvant que, quoi qu'il dise, il est coupable? Or voilà précisément la nature du Dilemme. Cet argument propose deux partis: il faut choisir; et de quelque côté qu'on veuille s'échapper, on est battu ; aussi les Logiciens l'ont-ils appelé Argument cornu, parce queses Propositions sont comme deux

(1) Aínμμa, dilemma, de dig, deux fois, et 2μμa, lèmma, hypothèse,

cornes qui frappent à droite et à gauche. Tel est le Dilemme que fait BOILEAU sur l'Amour de Dieu, dans son Epître XII à M. l'Abbé Renaudot:

<«< Docteurs, dites - moi donc, quand nous sommes absous,

» Le Saint-Esprit est-il ou n'est-il pas en nous? >> S'il est en nous, peut-il, n'étant qu'amour lui-même,

» Ne nous échauffer point de son amour su

prême ?

» Et s'il n'est pas en nous, Satan, toujours vainqueur,

»Ne demeure-t-il pas maître de notre cœur. »

Un Logicien, en démontrant ses règles, ou un Théologien, en disputant sur les bancs, n'eût point donné à ce Raisonnement une forme plus rigoureuse que n'a fait ici le poète. Les deux Propositions qui constituent la nature du Dilemme y sont nettes et saillantes: Ou le Saint-Esprit est en nous, ou le Saint-Esprit n'est pas en nous; point de milieu, le oui ou le non.

FÉNÉLON se sert aussi dans son Télémaque, en plusieurs endroits, de Dilemmes très-justes et très-naturels :

«Oh! que les rois sont à plaindre! dit-il en » faisant parler Philoclès, Lio. VI. Oh! que » ceux qui les servent sont dignes de compas»sion! S'ils sont méchans, combien font-ils » souffrir les hommes, et quels tourmens leur » sont préparés dans le noir Tartare! S'ils » sont bons, quelles difficultés n'ont-ils pas à » vaincre! quels piéges à éviter! que de maux » à souffrir! »

La même pensée se représente au Livre VIII, lorsque Télémaque, descendu aux Eufers, écoute les sages leçons d'Arcésius, son bisaïeul :

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« Quand elle est prise (la royauté), disoit-il, » pour se contenter soi-même, c'est une mons>> trueuse tyrannie, quand elle est prise pour remplir ses devoirs et pour conduire un peu>>ple innombrable, comme un père conduit » ses enfans c'est une servitude accablante, » qui demande un courage et une patience héroïques. >>

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Ainsi, de quelque côté qu'on envisage la condition des Rois, elle est triste et malheureuse :

Ou ils sont bons, ou ils sont méchans. S'ils sont bons, que de fatigues, que de peines n'ont-ils pas à supporter! S'ils sont méchans le , que comple qu'ils ont à rendre est terrible! Donc, etc.

Telle est la substance du premier Di

lemme. Le second n'est pas moins concluant, et se réduit à ce qui suit :

Ou ils prennent la royauté pour se contenter euxmêmes, et dans ce cas ils ne sont que de coupables tyrans ou ils prennent la royauté pour en remplir les devoirs, et alors ils ne sont que de malheureux esclaves. Donc, etc.

Mentor, au Livre v. raisonne de la même manière, quand il donne au fils d'Ulysse les préceptes dont il a besoin pour se bien conduire avec les Rois alliés, daus la guerre contre les Danniens :

<«< Enfin, dit-il, n'écoutez jamais des discours >> par lesquels on voudra exciter votre défiance

ou votre jalousie contre les autres chefs. Par» lez-leur avec confiance et ingenuité. Si vous - » croyez qu'ils aient manqué à votre égard, >> ouvrez-leur votre cœur, expliquez-leur tou>> tes vos raisons: s'ils sont capables de sentir >> la noblesse de cette conduite, vous les char>> merez et vous tirerez d'eux tout ce que vous >> avez droit d'en attendre. Si au contraireils ne » sont pas assez raisonnables pour entrer dans >> vos sentimens, vous serez instruit par vous» même de ce qu'il y aura en eux d'injuste à >> souffrir; vous prendrez vos mesures pour ne >> plus vous commettre jusqu'à ce que la guerre » finisse, et vous n'aurez rien à vous reprocher. »

Le Dilemme n'est pas tout le texte que

nous citons, mais il commence à ces mots, s'ils sont capables, etc., car Mentor y propose à Télémaque deux moyens de se rendre irréprochable; et l'un ou l'autre doit le faire triompher :

et.

Ou ils sont capables de sentir la noblesse de cette conduite, ou ils n'en sont pas capables. S'ils en sont capables, vous les charmerez vous tirerez d'eux tout ce que vous avez droit d'en attendre: s'ils n'en sont pas capables, vous serez instruit par vous-même de ce qu'il y aura en eux d'injuste ́à souffrir : vous prendrez vos mesures pour, etc. Donc, dans l'un et l'autre cas vous êtes exempt de tout reproche.

La haute poésie nous présente aussi des Dilemmes très-imposans; par exemple, Pyrrhus voulant presser son hymen avec Andromaque, parle ainsi à cette prin

cesse:

Mais ce n'est plus, Madame, une offre à dédaigner:

» Je vous le dis, il faut ou périr ou régner. » Mon cœur désespéré d'un an d'ingratitude, »Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude: » C'est craindre, menacer, et gémir trop long-temps.

» Je meurs si je vous perds; mais je meurs si j'attends. »

Acte III, scène VII.

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